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la jurisprudence, qui était la base principale des affaires de ce département. Il eut occasion de faire connaître dans cette place et la fermeté de son caractère et l'étendue de ses lumières. Orry, alors contrôleur général, lui confia, peu d'années après, la Direction des ponts et chaussées qui lui valut l'estime de la nation par l'étendue de ses projets, la suite qu'il mettait dans les détails et l'économie avec laquelle il en a dirigé tous les travaux.

Il remplit ces hautes fonctions pendant trente ans et forma pendant ce temps une école d'ingénieurs où tous les concurrents étaient également admis à venir essayer leur bonne volonté et leurs dispositions. Il plaça à la tête M. Perronnet, qui fut premier ingénieur des ponts et chaussées, membre de l'Académie des Sciences et d'architecture, qu'il crut propre à cet emploi de confiance. Le succès répondit pleinement à ses vues. Trudaine réussit à entreprendre et à achever plusieurs grands ouvrages, notamment :

Le pont d'Orléans, entrepris par Hupeau, mort depuis, premier ingénieur des ponts et chaussées;

Le pont de Moulins, construit avec la plus grande solidité par de Regemorte, premier ingénieur des turcies et levées et de l'Académie d'architecture, sur un fond de sable et sur l'Allier, rivière orageuse, qui avait déjà détruit plusieurs fois les ouvrages pareils entrepris dans le même lieu;

Celui de Tours, conduit par M. Bayeux, inspecteur général;

Celui de Saumur, conduit par M. de Voglie, ingénieur de Touraine; enfin les projets et les premiers fondements du pont de Neuilly, sur la Seine, par M. Perronnet, furent les fruits de l'affection particulière qu'il avait apportée à cet objet important.

Trudaine ne garda pas longtemps le département du Domaine dont il avait été chargé par la démission de M. de Gaumont; il eut celui des Fermes générales, après

M. de Fulvy, et fut chargé de la principale administration du commerce, lorsque M. Rouillé, qui avait ce détail, fut nommé à la place de secrétaire d'État de la marine. Il traita, dans ces fonctions, les affaires de finances avec cette franchise noble qui lui gagna toujours les cœurs. L'amour de la Patrie et celui de l'humanité en général le portaient à chercher les moyens de soulager le peuple sans nuire aux intérêts du roi. Il gémissait et s'attendrissait souvent sur cette multiplication d'impôts que les circonstances avaient rendus nécessaires. Il mettait tout en usage pour en adoucir la charge par la facilité de la perception.

Dans les discussions qu'il avait quelquefois avec les Fermiers généraux, ou sur le prix de leur bail, ou sur quelque perception qu'il trouvait trop onéreuse, il écoutait leurs raisons; il tâchait de les pénétrer de sa façon de penser et y réussissait souvent; aussi était-il fort aimé et en a-t-il été sincèrement regretté.

Dans le département du Commerce, il suivit avec zèle et exactitude toutes les branches de manufactures et ne manqua aucune occasion de relâcher insensiblement les gênes et de donner de l'essor à l'industrie.

Les fonds destinés depuis longtemps à encourager l'industrie dans le royaume, souvent mal distribués et alors presque entièrement épuisés, revenaient de toutes parts, en silence, à leur destination naturelle. Après quelques années entièrement consacrées au rétablissement de l'ordre, il se trouva par ce moyen en état d'appeler dans le royaume les branches d'industries les plus florissantes chez l'étranger. Souvent quelques avances faites à propos, quelques secours donnés à des artistes laborieux et intelligents, excitèrent le travail et l'émulation dans des provinces prêtes à tomber dans, la langueur. Ces secours, ménagés avec une économie attentive, paraissaient se multiplier. Il eut soin de ne confier, sous lui, cette administration qu'à des hommes honnêtes, actifs et intelligents;

il y ramena l'observation exacte des formes et des lois dans le détail.

Il s'attacha les négociants par la considération qu'il leur marqua et qu'il chercha à leur attirer de toutes parts. Il entretenait particulièrement une correspondance plus intime avec ceux qui étaient attachés au Conseil en qualité de députés des places commerçantes, et son nom était chéri dans ce corps respectable des représentants du commerce du royaume.

Indépendamment des différents départements de M. Trudaine, il était quelquefois appelé dans les Conseils pour y délibérer des affaires générales, et plusieurs ministres le consultèrent avec la plus entière confiance. Tous ceux enfin qui l'ont consulté en ont reçu des secours utiles et des lumières satisfaisantes.

Il avait été fait successivement conseiller d'État, conseiller au Conseil royal de commerce et au Conseil royal de finances.

Ces grandes occupations affaiblirent la santé de Trudaine qui laissa à son fils, qu'on lui avait donné pour adjoint, la plupart des détails les plus fatigants jusqu'à ce que enfin sa santé devenant de jour en jour plus mauvaise, il le chargea presque de la totalité de ses départements, ne se réservant que celui des ponts et chaussées, que sa longue habitude lui avait rendu plus familier et auquel il était surtout attaché. Il mourut vivement regretté, le 19 janvier 1769.

Son fils l'informant, dans sa dernière maladie, de l'intérêt universel qu'on prenait à son état et de la considération dont il jouissait : « Eh bien! mon ami, lui dit-il, je te lègue tout cela! »

Trudaine, qui aimait les sciences, fut admis, en 1743, dans la Société des gens de lettres et des savants.

Trudaine avait rassemblé, pendant le cours de sa vie, tous les biens de sa famille. Il joignait à ce patrimoine des bienfaits considérables du roi, il sut ménager et arranger

sa fortune avec le même ordre qui l'avait dirigé dans les affaires publiques. Egalement éloigné de l'avarice et de la prodigalité, il destina ses revenus à tenir un état honorable et simple; il affectionnait surtout sa terre de Montigny, qu'il a passé beaucoup de temps à améliorer et à embellir; mais ce dont il s'occupait particulièrement était le bienêtre des habitants de cette terre; il leur a procuré, par ses soins, des moyens de faire valoir leur industrie (1).

La ville de Clermont, en souvenir des bienfaits de cet intendant, a donné son nom à un de ses boulevards.

AUJET DE MONTYON
(ANTOINE-JEAN-BAPTISTE-ROBERT)

Baron de Montyon, Chevalier,
Conseiller du Roy en tous ses Conseils,
Maistre des Requestes ordinaire de son hostel,
Intendant d'Auvergne de 1768 à 1773.

Le baron DE MONTYON, Antoine-Jean-Baptiste-Robert AUJET, né à Paris le 23 décembre 1733, était fils d'un maître des comptes qui jouissait d'une fortune considėrable.

Le jeune Montyon obtint de brillants succès aux concours généraux de l'Université de Paris, dans les classes de seconde et de rhétorique. Une bonne éducation étendit son esprit naturel, et lui apprit à diriger l'extrême sensibilité de son cœur, non vers les objets qui pouvaient le satisfaire en y répondant, mais vers ceux à qui elle pouvait être utile. Nommé en 1755 (å vingt-deux ans) avocat du roi au Châtelet, M. de Montyon se montra dès lors ce qu'il fut toute sa vie, laborieux, intègre, désintéressé. Sa probité inflexible et sa constance à repousser

(1) Sources: Eloge de Trudaine, lu à l'assemblée de l'Académie des Sciences le 5 avril 1769. Bibliothèque de Clermont, cat. Auvergne, no 2973.

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rudement toute espèce de sollicitations, l'avaient fait surnommer le Grenadier de la Robe. Nommé bientôt conseiller au Grand Conseil, il était déjà maître des requêtes en 1760. Il fallait avoir trente-et-un ans pour remplir cette place; il n'en avait que vingt-sept; mais le roi Louis XV lui accorda des dispenses d'âge motivées « sur ses talents précoces et sa haute capacité ». Ses nouvelles fonctions le firent entrer au bureau du Conseil d'Etat chargé de la législation des colonies françaises. Il passa ensuite aux affaires de la librairie, dont M. de Malesherbes était directeur. Il s'opposa seul, en 1766, à ce que le Conseil fût transformé en Commission criminelle pour juger M. de la Chalotais.

Appelé, en 1768, à l'intendance d'Auvergne, M. de Montyon y obtint la reconnaissance, le respect et l'amour de tous les habitants, surtout des pauvres.

Quoiqu'il fût loin d'avoir la grande fortune qu'il a possédée plus tard, il avait pris jusqu'alors, régulièrement, sur ses revenus, 20,000 francs pour les pauvres; mais ces dépenses, il les faisait comme il aimait à les faire, sans que personne en fût instruit; les sommes étaient inscrites dans ses livres, sans désignation; seulement, il mettait en marge un signe que l'on a su depuis être celui qui indiquait ses belles actions. Dans le nouveau poste où il était appelé, il ne lui était plus possible de cacher le bien qu'il faisait. Toutes les horreurs d'une grande famine, prévenue, non par des aumônes, mais par des travaux publics qu'une sollicitude paternelle dirige; les agriculteurs, les artisans, objets d'un luxe de bienfaisance inconnu jusqu'alors; les riches, entraînés par l'exemple le plus touchant; voilà le spectacle de l'Auvergne administrée par M. de Montyon (1).

Pour donner du travail aux pauvres, il embellit les villes d'Aurillac et de Mauriac, de promenades auxquelles

(1) Voir Fernand Labour. M. de Montyon, Paris, Hachette, 1880.

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