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la Pensée de Pascal, qui prétend « que Dieu a laissé à des» sein de l'obscurité dans l'économie générale et dans les » preuves de la religion; qu'on se lasse de chercher Dieu >> par le raisonnement; qu'on voit trop pour nier, et trop » peu pour assurer ; que la nature ne marque pas Dieu sans équivoque; que Dieu seroit trop manifeste, s'il n'y avoit » de martyrs qu'en notre religion (*).

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Ces phrases singulières et quelques autres, dans lesquelles l'auteur n'avoit pas suffisamment développé ses idées, ne peuvent sans doute être prises à la lettre, ni jugées à la rigueur, puisqu'on n'en voit pas la suite, et qu'on ignore l'emploi que Pascal en auroit fait dans son ouvrage. Il ne faut donc pas être surpris du soin et du temps que l'on mit à choisir et à arranger les fragments restés dans ses papiers, incorrigés et informes, comme dit Montaigne.

Il paroît que ce triage embarrassa beaucoup ses amis. On trouve dans les OEuvres du docteur Arnauld plusieurs renseignements à ce sujet, et entre autres une lettre adressée par ce docteur à M. Perrier, le père, conseiller à la cour des aides de Clermont, le 20 novembre 1668, relativement aux changements à faire dans le livre des Pensées de M. Pascal.

<< Souffrez, monsieur, que je vous dise qu'il ne faut pas » être si difficile, ni si religieux à laisser un ouvrage comme » il est sorti des mains de l'auteur, quand on le veut exposer » à la censure publique. On ne sauroit être trop exact, quand on a affaire à des ennemis d'aussi méchante humeur » que les nôtres (**). Il est bien plus à propos de prévenir

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démie françoise, et l'un des membres les plus zélés de la commission du dictionnaire. Nous saisissons avec plaisir cette occasion de nous féliciter de l'honneur d'avoir un tel collègue.

(*) Encyclopédie, in-folio, tome VII, page 16.

(**) Les jésuites, dont la guerre avec Port-Royal étoit alors trèsenvenimée, et qui n'ont jamais pardonné à Pascal le succès, désolant pour eux, des Lettres Provinciales.

>> les chicaneries par quelque petit changement qui ne fait >> qu'adoucir une expression, que de se réduire à la nécessité » de faire des apologies......

>> Les amis sont moins propres à faire ces sortes d'examens » que les personnes indifférentes, parce que l'affection qu'ils » ont pour un ouvrage les rend plus indulgents et moins » clairvoyants....

Ainsi, monsieur, il ne faut pas vous étonner si, ayant » laissé passer de certaines choses sans en être choqués, nous >> trouvons maintenant qu'on les doit changer, en y faisant

plus d'attention, après que d'autres les ont remarquées. » Par exemple, l'endroit de la page 203 me paroît main» tenant souffrir de grandes difficultés; et ce que vous dites » pour le justifier, que, selon saint Augustin, il n'y a point » en nous de justice qui soit essentiellement juste, et qu'il >> en est de même de toutes les autres vertus, ne me satisfait point. Car vous reconnoîtrez, si vous y prenez garde, » que M. Pascal n'y parle pas de la justice, vertu qui fait dire » qu'un homme est juste, mais de la justice, quæ jus est, >> qui fait dire qu'une chose est juste; comme il est juste » d'honorer son père et sa mère, de ne point tuer, de ne

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point commettre d'adultère, de ne point calomnier, etc. Or, en prenant le mot de justice dans ce sens, il est faux » et très-dangereux de dire qu'il n'y ait rien parmi les » hommes d'essentiellement juste (*).

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» Ce

que dit M. Pascal à ce sujet peut être venu d'une impression qui lui est restée d'une maxime de Montaigne, >> que les lois ne sont point justes par elles-mêmes, mais parce qu'elles font loi (**): ce qui est vrai à l'égard de la plupart

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(*) Cette distinction entre la justice des hommes et la justice des choses, n'est pas une subtilité de dialectique. C'est un exemple heureux de l'utilité de la définition des mots, pour parvenir à l'éclaircissement des idées.

(**) « Or, les loix se maintiennent en crédit, non parce qu'elles sont » justes, mais parce qu'elles sont loix ; c'est le fondement mysticque de

» des lois des hommes qui règlent des choses indifférentes » d'elles-mêmes avant qu'on les eût réglées, comme, que les » aînés aient une telle part dans les biens de leurs pères et >> mères; mais cela est très-faux, si on le prend en général, » étant par exemple très-juste de soi-même, et non seule»ment parce que les lois l'ont ordonné, que les enfants n'outragent pas leurs pères, etc. C'est ce que saint Augustin dit expressément de certains désordres infâmes, qui serqient mauvais et défendus, quand toutes les nations » seroient convenues de les regarder comme des choses per» mises.

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» Ainsi, pour vous parler franchement, je crois que l'en>> droit est insoutenable; et on vous supplie de voir parmi » les papiers de M. Pascal, si on ne trouvera point quelque >> chose qu'on puisse mettre à la place (*). »

§. II. Du style des Pensées de Pascal.

Cet ouvrage, demeuré imparfait dans les papiers de Pascal, est un de ceux qui montrent le plus l'inconvénient, presque inévitable, des OEuvres posthumes. On les débrouille comme on peut; on croit bien faire, en les grossissant de tout ce qu'on trouve dans les portefeuilles d'un auteur qui n'est plus là pour corriger ce qui est défectueux, éclaircir ce qui est louche, resserrer ce qui est diffus, distinguer les objections des réponses, séparer les citations du texte, etc.

» leur auctorité, elles n'en ont point d'aultres, qui bien leur sert. Elles >> sont souvent faictes par des sots; plus souvent par des gents qui, » en haine d'égualité, ont faulte d'équité; mais toujours par des hommes, >> aucteurs vains et irrésolus. Il n'est rien si lourdement et largement >> faultier que les loix; ni si ordinairement. Quiconque leur obéit, >> parce qu'elles sont justes, ne leur obéit pas justement par où il doibt. >>> Les nostres, françoises, prestent aulcunement la main, par leur desréglement et deformité, au désordre et corruption qui se voit en >> leur dispensation et execution, etc. » Essais de Montaigne, L. III, Ch. XIII.

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(*) OEuvres de Messire Antoine Arnauld, tome Ier, in-4。, page 642.

Ainsi, les éditeurs de Pascal n'ont pas été assez sévères, et n'ont pas rendu service à sa mémoire, en adoptant, par exemple, ses erreurs sur la beauté poétique, erreurs qui ont scandalisé l'érudition de Dacier et le goût de Voltaire; en employant indistinctement, sous le nom de Pascal, beaucoup de passages, copiés presque mot à mot des Essais de Montaigne, de sorte que l'auteur des Pensées, censeur sévère de l'auteur des Essais, auroit pourtant l'air d'être son plagiaire; enfin, en exposant à des critiques fondées ce même style qu'on avoit tant admiré, et qu'on avoit trouvé si châtié dans les Provinciales.

A ce dernier égard, on peut se rappeler ce que nous avons dit, d'après Nicole (*), de la manière dont Pascal travailloit, des principes de goût qu'il s'étoit faits, et de sa coutume de polir et de repolir ses écrits, jusqu'à ce qu'il en fût content. Ce qui satisfaisoit les autres, ne lui suffisoit pas. On peut donc demander si l'ordre qu'on a voulu mettre, après coup, dans ces fragments, trouvés épars et décousus, est bien celui qui eût résulté de l'idée de l'auteur? Il n'avoit laissé que des pierres d'attente; ne les auroit-il pas taillées, placées, cimentées d'une autre manière? Se seroit-il dispensé de la servitude des transitions, regardées par Boileau comme la pierre d'achoppement de tous les écrivains? D'ailleurs, ce n'est pas tout que l'ordre et l'enchaînement des pensées ; car ce qui les rend lumineuses, c'est la manière de les rendre. Leur éclat naît surtout du style, qui suppose des préparations et commande des sacrifices, double secret de l'art d'écrire, exclusivement dépendant du goût de l'écrivain. En voulant arranger les Pensées de Pascal, a-t-on pu suppléer, et au défaut d'ensemble de sa conception première, et aux lacunes des détails? Voilà des questions auxquelles il nous semble que les illustres éditeurs auroient été embarrassés de répondre.

(*) Essai sur les meilleurs ouvrages écrits en prose dans la langue françoise, à la tête des Provinciales, §. V.

L'abbé de Condillac, voulant donner un exemple d'un défaut d'ordre et d'arrangement dans le tissu du style, choisit précisément une des Pensées, d'ailleurs les plus remarqua

bles de notre auteur.

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Ce ne seroit pas faire une période, dit-il, ce seroit écrire » une suite de phrases mal liées, que de dire avec Pascal :

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« 1. Qu'est-ce que nous crie cette avidité ( d'acquérir des " connoissances), sinon qu'il y a eu autrefois en l'homme » un véritable bonheur dont il ne lui reste maintenant que » la marque et la trace toute vide ; 2. qu'il essaie de remplir de tout ce qui l'environne ; 3. en cherchant dans les choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présen»tes, et que les unes et les autres sont incapables de lui » donner; 4. parce que ce gouffre infini ne peut étre rempli » que par un objet infini et immuable? »

Condillac a distingué les phrases par des chiffres, afin de montrer aux yeux que la seconde modifie le dernier nom de la première, que la troisième modifie la seconde, et que la quatrième modifie la dernière partie de la seconde. Il décide avec raison que ce n'est certainement pas là une période arrondie (*).

On peut y relever encore une autre négligence, dont Condillac ne parle pas : c'est que, lorsqu'on arrive à la fin de la période, si l'on ne trouvoit pas le point d'interrogation, l'on ne se ressouviendroit plus que l'auteur avoit commencé par une question, qu'il a ensuite abandonnée pour rentrer dans une formule expositive et ordinaire. Mais ces légères taches, suite d'un premier jet, sont trop excusables sans doute! Pascal sentoit sa fin prochaine; il traçoit à la hâte des lignes qu'il avoit raison de craindre que sa maladie ne lui laissât pas le loisir de revoir et de mettre en ordre : le spectre de la mort étoit toujours sur son pupitre. On dit même qu'il croyoit voir un abîme ouvert devant lui : situation douloureuse, qu'il ne pouvoit perdre de vue lorsqu'il

(*) De l'Art d'écrire, Ch. IX.

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