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»ciales, vivront peut-être plus long-temps, parce qu'il y » a tout lieu de croire, quoi qu'en dise l'humble société, » que le christianisme durera plus long-temps qu'elle (*). Fidèle au plan de notre Essai sur les meilleurs ouvrages écrits en langue françoise, nous allons, 1o. esquisser sommairement l'histoire critique des Pensées de Pascal, ce qui embrasse les jugements qu'on en a portés, et les détails relatifs à leur publication. 2°. Nous en indiquerons les défauts et le mérite sous le rapport littéraire. 3o. Nous les comparerons ensuite avec les ouvrages sur le même sujet, qui font honneur à notre langue, et nous prouverons par le fait même que l'incrédulité, contre laquelle Pascal sentit la nécessité de s'élever dans le dix-septième siècle, n'a pas été, comme on affecte de le dire, un produit de l'esprit du dix-huitième. 4°. Nous examinerons l'influence que les ouvrages de Pascal, et surtout ses Pensées, ont pu exercer sur d'autres écrits. 5o. Enfin, nous ferons sentir celle que les bons livres de morale ont, en général, sur l'esprit et le cœur de ceux qui les lisent.

Heureux si, ayant à parler de l'ouvrage d'un philosophe éminemment religieux, nous réussissons à montrer que la philosophie, telle qu'on doit l'entendre, loin d'être l'ennemie de la religion, prise dans son vrai sens, en a toujours été une alliée fidèle et une sœur presque germaine, quoi qu'en disent des gens intéressés à les brouiller, et qui, par là, les calomnient et les noircissent l'une et l'autre ! C'est surtout au nom de Pascal qu'on peut les réconcilier. Cette idée sera l'âme de ce petit écrit. Puisse-t-il n'être pas indigne de son but, et se recommander, du moins par son intention, à l'indulgence des lecteurs!

S. Ier. Origine et publication des Pensées de Pascal; jugements divers qu'on en a portés.

La vérité de la religion chrétienne, objet principal de ces

(*) D'Alembert, de la Destruction des Jésuites.

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Pensées, avoit été le sujet d'un grand ouvrage que Pascal avoit fortement conçu, qu'il a médité long-temps, et qu'il n'a malheureusement pas eu le temps d'achever. Il n'en restoit après lui que des réflexions éparses, et des fragments jetés sur de petits morceaux de papier, à mesure que les idées lui en étoient venues pendant sa longue et cruelle maladie. Ces fragments étoient justement ce que Montaigne appelle « de petits brevets décousus, comme des feuilles sibyllines. » En 1668, on travailla à mettre en ordre ces matériaux informes. Arthus de Roannez, duc de Gouffier, eut la plus grande part à ce travail. Il fut secondé par Arnauld, Nicole, et plusieurs autres. On l'imprima sous le titre de Pensées de M. Pascal, en 1669. L'ouvrage eut un succès extraordinaire, et qui se soutint si bien, qu'en 1697, un livre assez commun réussit beaucoup, par la seule raison que l'auteur anonyme avoit eu la présomption, ou l'adresse, de donner son ouvrage comme « la Suite des Caractères de » La Bruyère et des Pensées de Pascal ».

« Ce dernier écrit, dit Tillemont, en parlant des Pensées, » a surpassé tout ce que j'attendois d'un esprit que je regar» dois comme le plus grand qui eût paru en notre siècle.... >> Je ne vois que saint Augustin qu'on puisse lui comparer. »

Les jésuites et plusieurs autres écrivains n'en ont pas parlé sur le même ton. Les jésuites, surtout, fâchés qu'un coryphée du jansénisme leur enlevât la gloire de plaider si bien la cause de la religion, avoient grand soin de contester ou de dissimuler le mérite de cet ouvrage. En 1687, le père Bouhours publia ses Entretiens sur la manière de bien penser dans les ouvrages d'esprit. Ce n'est que le Traité des idées d'Hermogènes, rhéteur grec, arrangé à la françoise, mais rendu plus instructif par le nombre et le choix des citations dont il est orné. Chaque règle y amène un tissu d'exemples brillants. Tous les grands écrivains de cette époque sont mis à contribution, et rappelés avec honneur dans ces dialogues. Madame Deshoulières fut d'abord piquée de n'y être pas citée; elle s'honora bientôt de cette omission,

parce qu'elle la partageoit avec Pascal. Elle adressa, conséquence, ces vers au père Bouhours:

Dans une liste triomphante

Des célèbres auteurs que votre livre chante,
Je ne vois point mon nom placé.

A moi, n'est-il pas vrai, vous n'avez point pensé ?
Mais aussi dans le même rôle

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en

Déjà un écrivain, ami des jésuites et champion du père Bouhours, l'abbé de Villars, avoit critiqué amèrement le chapitre où Pascal soutient, à l'exemple d'Arnobe, qu'il est plus avantageux de croire que de ne pas croire ce qu'enseigne la religion chrétienne. L'abbé de Villars appelle Pascal Pascase, et commence magistralement sa réfutation par ces mots : « Taisez-vous, Pascase! » ce qui ne laisse pas d'étonner de la part d'un auteur qui se pique surtout d'être poli, et dans un ouvrage qui a pour titre : Traité de la délicatesse!

On attribua, dans le temps, à Fontenelle un petit écrit anonyme sur la même matière, et qui est dirigé à la fois contre Pascal et contre Locke. Ce sont des Réflexions sur l'argument concernant la possibilité d'une vie à venir. Feu M. Naigeon les a insérées dans le Supplément au Dictionnaire de la Philosophie ancienne et moderne, qui fait partie de l'Encyclopédie méthodique. Les nouveaux éditeurs des OEuvres de Fontenelle ont cru devoir aussi reproduire cet opuscule, quoiqu'il ne soit pas du sage et discret Fontenelle, mais du savant et hardi Fréret.

Fréret disserte froidement et sérieusement; mais, dans sa Lettre sur l'enthousiasme, le comte Shaftesbury a pris un autre ton; il s'est beaucoup moqué de cet argument du plus sûr, qui est pourtant le même raisonnement dont Socrate se sert dans le Phédon, au sujet de l'immortalité de l'âme.

On sait comment Voltaire a qualifié Pascal,

Ce fameux écrivain, misanthrope sublime!

Tout en convenant que ce même Pascal est un écrivain du premier ordre dans ses Pensées comme dans les Provinciales, Voltaire ne veut voir dans les Pensées qu'un plaidoyer contre l'espèce humaine, et un livre écrit uniquement pour montrer l'homme sous un jour odieux. Cependant Voltaire n'étoit enthousiasmé ni du Tout est bien, de Pope, ni du Meilleur des mondes possibles, de Leibnitz et de Wolf.

Saint-Lambert, disciple de Pope et de Voltaire, s'est exprimé sur Pascal avec plus d'irrévérence, dans cette épître, au prince de Beauvau :

si connue,

A vivre au sein du jansénisme,
Cher prince, je suis condamné!
Dans le vieux château de Ternai,
Je répète mon catéchisme :

Du Vatican, du Port-Royal,

J'entends conter les vieilles guerres;
J'entends mettre au rang des Saints-Pères
Nicole, Quesnel et Pascal.

J'en lis un peu par complaisance;
Ces fous, remplis d'extravagance,
Souvent ne raisonnoient pas mal.
Ils ont eu l'art de bien connoître
L'homme qu'ils ont imaginé;
Mais ils n'ont jamais deviné
Ce qu'il est, ni ce qu'il doit être,

etc.

Traiter Pascal de fou, c'est, à ce qu'il semble, passer la mesure des licences poétiques; mais on est allé beaucoup plus loin. Le père Hardouin, jésuite, abusant de quelques passages où la piété de Pascal lui fait dire qu'il ne se sent pas assez fort par les seules armes de la raison pour convaincre des athées endurcis, n'a pas hésité d'accuser ce grand homme d'athéisme. A la vérité, le jésuite met Pascal en bonne compagnie. Les athées, par lui démasqués, sont d'abord tous les pères de l'Église; ensuite, tous les philo

sophes modernes, non pas ceux du dix-huitième siècle, mais bien ceux du dix-septième. Cette dénonciation générale avoit paru en françois, dès 1715: elle reparut ensuite en latin (Athei detecti, 1733). Les imaginations du père Hardouin n'ont pas beaucoup de poids; en général, ce sont des folies: cependant, on ne sait comment il s'est fait que d'Alembert

se soit attaché à recueillir dans les Pensées de Pascal celles qui avoient pu servir de prétexte à l'assertion du jésuite (*). Il y insère à dessein les Pensées suivantes, qui ne se trouvent que dans les Mémoires de littérature du père Desmolet.

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>>

<< Selon les lumières naturelles, s'il y a un Dieu, il est >> infiniment incompréhensible, puisque, n'ayant ni parties, » ni bornes, il n'a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connoître ni ce qu'il est, ni s'il est. Cela étant » ainsi, qui osera entreprendre de résoudre cette question? » Ce n'est pas nous, qui n'avons aucun rapport à lui (**). Qui blâmera les chrétiens de ne pouvoir rendre raison >> de leur créance, eux qui professent une religion dont ils » ne peuvent rendre raison? Ils déclarent au contraire, en » l'exposant aux gentils, que c'est une folie. Stultitiam, etc. » Et puis, vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent » pas! s'ils la prouvoient, ils ne tiendroient pas parole. C'est >> en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. » Oui, mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle qu'elle est, et que cela les affranchisse du blâme de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui, sur l'exposition qu'ils en font, refusent de la croire (***).

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>>

Le savant et respectable auteur de l'article Foi, dans l'Encyclopédie (****), disoit, en 1757, qu'il ne sauroit approuver

(*) D'Alembert, Histoire des Membres de l'Académie, note 9, sur l'éloge de Houtteville.

(**) Mém. de littér., tome V, page 310.

(***) Mém. de littér., tome V, page 310. Nous abrégeons beaucoup les citations malicieuses de d'Alembert.

(****) M. Morellet, qui est encore aujourd'hui l'ornement de l'Aca

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