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NOTES

DE

VOLTAIRE ET DE CONDORCET

SUR

LES PENSÉES DE PASCAL.

Les notes marquées C sont celles que Condorcet a jointes à son édition in-8°., et celles après lesquelles est un V sont de Voltaire. De ces dernières, les unes ont été publiées pour la première fois dans l'édition in-8°. que Voltaire fit faire à Genève en 1778; les autres avoient été déjà employées par Condorcet dans l'édition de 1776.

DE VOLTAIRE ET DE Condorcet SUR LES PENSÉES

DE PASCAL.

(1) Er je m'y sens tellement disproportionné, que je crois pour moi la chose absolument impossible.

Il l'a trouvée très-possible dans les Provinciales. V.

(2) Cet art que j'appelle l'art de persuader...... consiste en trois parties essentielles.

Mais ce

n'est pas là l'art de persuader, c'est l'art d'argumenter. V. (3) Je voudrois que la chose fût véritable, et qu'elle fût si connue, que je n'eusse pas eu la peine de rechercher avec tant de soin la source de tous les défauts des raisonnements.

Locke, le Pascal des Anglois, n'avoit pu lire Pascal. Il vint après ce grand homme, et ces pensées paroissent, pour la première fois, plus d'un demi-siècle après la mort de Locke. Cependant Locke, aidé de son seul grand sens, dit toujours : Définissez les termes. V.

(4) Les meilleurs livres sont ceux que chaque lecteur croit qu'il auroit pu faire.

Cela n'est pas vrai dans les sciences: il n'y a personne qui croie qu'il eût pu faire les principes mathématiques de Newton. Cela n'est pas vrai en belles-lettres; quel est le fat qui ose croire qu'il auroit pu faire I'lliade et l'Énéide? V.

(5) Je les voudrois nommer basses, communes, familières; ces noms-là leur conviennent mieux; je hais les mots d'enflure.

C'est la chose que vous haïssez ; car pour le mot, il vous en faut un qui exprime ce qui vous déplaît. V.

Voici un moyen de découvrir la vérité, qui me paroît avoir échappé à tous les philosophes. Il est tiré de la relation d'un voyage fait aux Moluques, en 1760, par le capitaine Dryden.

« On emploie dans ces îles une singulière méthode de découvrir la » vérité; voici en quoi elle consiste : quand on veut savoir si un homme

>> a commis ou n'a pas commis une certaine action, et que des gens >> qui ont acheté, pour une somme assez modique, le droit de s'en >> informer, n'ont pas eu l'esprit de découvrir la vérité, ils font lier » fortement les jambes de l'accusé entre des planches; ensuite on serre >> entre ces planches un certain nombre de coins de bois, à force de bras >> et de coups de maillet. Pendant ce temps-là les rechercheurs inter>> rogent tranquillement le patient, font écrire ses réponses, ses cris, >> les demi-mots que les tourments lui arrachent, et ils ne le laissent >> en repos qu'après être parvenus à le faire évanouir deux ou trois fois >> par la force de la douleur, et que le médecin, témoin de l'opération, » a déclaré que, si on continue, le patient mourra dans les tourments. >> Quelquefois il arrive que les rechercheurs n'ont pas eu besoin de >> recourir à ce moyen pour se croire sûrs de la vérité, mais qu'il leur >> reste un léger scrupule; alors ils ordonnent, qu'avant de punir » l'accusé, on recourra à la méthode infaillible des maillets et des > coins. A la vérité, ils remplissent de tourments horribles les derniers >> moments de cet infortuné; mais ces aveux, extorqués par la torture, >> rassurent leur conscience, et au sortir de là, ils en dînent bien plus >> tranquillement : quand ils voient que l'accusé a pu avoir des com» plices, ils ont grand soin de recourir à leur méthode favorite. Enfin, >> il y des crimes pour lesquels on l'ordonne par pure routine, et où >> cette clause est de style.

>> Ces rechercheurs, aussi stupides que féroces, ne se sont pas encore >> avisés d'avoir le moindre doute sur la bonté de leur méthode. Ils >> forment une caste à part. On croit même, dans ces îles, qu'ils sont >> d'une race d'hommes particulière,

et que les organes de la sensibilité

>> manquent absolument à cette espèce. En effet, il y a des hommes fort >> humains dans les mêmes îles. La première caste même est formée » de gens très-polis, très-doux et très-braves. Ceux-là passent leur vie » à danser; et portant de grand chapeaux de plumes, ils se croiroient » déshonorés, s'il dansoient avec un homme de la caste des recher» cheurs; mais ils trouvent très-bon que ces rechercheurs gardent le >> privilége exclusif d'écraser, entre des planches, les jambes de toutes >> les castes.

>> On m'a assuré que, quelques personnes de la caste des lettrés » s'étant avisées de dire tout haut qu'il y avoit des moyens plus » humains et plus sûrs de découvrir la vérité, les rechercheurs à >> maillets les ont fait taire, en les menaçant de les brûler à petit feu, » après leur avoir préalablement brisé les jambes; car le crime de » n'être pas du même avis que les rechercheurs est un de ceux pour » lesquels ils ne manquent jamais d'employer leur méthode.

» Des politiques profonds prétendent que, depuis ce temps-là, les >> rechercheurs sont eux-mêmes convaincus de l'absurdité de leur » méthode; que, s'ils l'emploient encore de temps en temps sur des

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