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XXIII.

a grande différence entre repos et sûreté de conscience. Rien ne doit donner le repos, que la recherche sincère de la vérité; et rien ne peut donner l'assurance que la vérité.

Il y a deux vérités de foi également constantes: l'une, que l'homme, dans l'état de la création, ou dans celui de la grâce, est élevé au-dessus de toute la nature, rendu semblable à Dieu, et participant de la Divinité; l'autre, qu'en l'état de corruption et du péché, il est déchu de cet état, et rendu semblable aux bêtes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines. L'Écriture nous les déclare manifestement, lorsqu'elle dit en quelques lieux: Deliciæ meæ, esse cum filiis hominum. ( Prov. 8, 31.) Effundam spiritum meum super omnem carnem. (Joël, 2, 28.) Dii estis, etc. (Psal. 81, 6.) Et qu'elle dit en d'autres: Omnis caro fœnum. (Is. 40, 6.) Homo comparatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis. (Psal. 48, 13.) Dixi in corde meo de filiis hominum, ut probaret eos Deus, et ostenderet similes esse bestiis, etc. (Eccles. 3, 18.)

XXIV.

Les exemples des morts généreuses des Lacédémoniens et autres ne nous touchent guère; car qu'est-ce que tout cela nous apporte? Mais l'exemple de la mort des martyrs nous touche; car ce sont nos membres. Nous avons un lien

commun avec eux : leur résolution peut former la nôtre. Il n'est rien de cela aux exemples des païens nous n'avons point de liaison à eux; comme la richesse d'un étranger ne fait pas la nôtre, mais bien celle d'un père ou d'un mari.

I

.XXV.

On ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien, quand on suit volontairement celui qui entraîne, comme dit saint Augustin; mais quand on commence à résister et à marcher en s'éloignant, on souffre bien; le lien s'étend, et endure toute la violence; et ce lien est notre propre corps, qui ne se rompt qu'à la mort. Notre Seigneur a dit que, depuis la venue de Jean-Baptiste, c'est-à-dire, depuis son avénement dans chaque fidèle, le royaume de Dieu souffre violence, et que les violents le ravissent. ( Matth. 11, 12.) Avant que l'on soit touché, on n'a que le poids de sa concupiscence, qui porte à la terre. Quand Dieu attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence que Dieu seul peut faire surmonter. Mais nous pouvons tout, dit saint Léon, avec celui sans lequel nous ne pouvons rien. Il faut donc se résoudre à souffrir cette guerre toute sa vie ; car il n'y a point ici de paix. Jésus-Christ est venu apporter le couteau, et non pas la paix. (Matth. 10, 34.) Mais néanmoins il faut avouer que, comme l'Écriture dit que la sagesse des hommes n'est que folie devant Dieu (1 Cor. 3, 19) aussi on peut dire que cette guerre,

qui paroît dure aux hommes, est une paix devant Dieu; car c'est cette paix que Jésus-Christ a aussi apportée. Elle ne sera néanmoins parfaite que quand le corps sera détruit; et c'est ce qui fait souhaiter la mort, en souffrant néanmoins de bon cœur la vie pour l'amour de celui qui a souffert pour nous et la vie et la mort, et qui peut nous donner plus de biens que nous ne pouvons ni en demander, ni imaginer, comme dit saint Paul. (Eph. 3, 20.)

XXVI.

Il faut tâcher de ne s'affliger de rien, et de prendre tout ce qui arrive pour le meilleur. Je crois que c'est un devoir, et qu'on pèche en ne le faisant pas. Car enfin, la raison pour laquelle les péchés sont péchés, est seulement parce qu'ils sont contraires à la volonté de Dieu : et ainsi l'essence du péché consistant à avoir une volonté opposée à celle que nous connoissons en Dieu, il est visible, ce me semble, que, quand il nous découvre sa volonté par les événements, ce seroit un péché de ne pas s'y accommoder.

XXVII.

Lorsque la vérité est abandonnée et persécutée, il semble que ce soit un temps où le service que l'on rend à Dieu en la défendant, lui est bien agréable. Il veut que nous jugions de la grâce par la nature, et ainsi il permet de considérer que, comme un prince chassé de son pays par

ses sujets a des tendresses extrêmes pour ceux qui lui demeurent fidèles dans la révolte publique, de même il semble que Dieu considère avec une bonté particulière ceux qui défendent la pureté de la religion, quand elle est combattue. Mais il y a cette différence entre les rois de la terre et le roi des rois, que les princes ne rendent pas leurs sujets fidèles, mais qu'ils les trouvent tels: au lieu que Dieu ne trouve jamais les hommes qu'infidèles sans sa grâce, et qu'il les rend fidèles quand ils le sont. De sorte qu'au lieu que les rois témoignent d'ordinaire avoir de l'obligation à ceux qui demeurent dans le devoir et dans leur obéissance, il arrive, au contraire, que ceux qui subsistent dans le service de Dieu lui en sont eux-mêmes infiniment redevables.

XXVIII.

Ce ne sont ni les austérités du corps, ni les agitations de l'esprit, mais les bons mouvements du cœur, qui méritent, et qui soutiennent les peines et du corps et de l'esprit. Car enfin il faut ces deux choses pour sanctifier peines et plaisirs. Saint Paul a dit que ceux qui entreront dans la bonne vie trouveront des troubles et des inquiétudes en grand nombre. (Act. 14, 21.) Cela doit consoler ceux qui en sentent, puisque, étant avertis que le chemin du ciel qu'ils cherchent en est rempli, ils doivent se réjouir de rencontrer des marques qu'ils sont dans le véritable chemin. Mais ces peines-là ne sont pas

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sans plaisirs, et ne sont jamais surmontées que par le plaisir. Car de même que ceux qui quittent Dieu pour retourner au monde ne le font que parce qu'ils trouvent plus de douceurs dans les plaisirs de la terre que dans ceux de l'union avec Dieu, et que ce charme victorieux les entraîne, et, les faisant repentir de leur premier choix, les rend des pénitents du diable, selon la parole de Tertullien de même on ne quitteroit jamais les plaisirs du monde pour embrasser la croix de Jésus-Christ, si on ne trouvoit plus de douceur dans le mépris, dans la pauvreté, dans le dénuement et dans le rebut des hommes, que dans les délices du péché. Et ainsi, comme dit Tertullien, il ne faut pas croire que la vie des Chrétiens soit une vie de tristesse. On ne quitte les plaisirs que pour d'autres plus grands. Priez toujours, dit saint Paul, rendez grâces toujours, réjouissez-vous toujours. (I Thess. 5, 16, 17, 18.) C'est la joie d'avoir trouvé Dieu, qui est le principe de la tristesse de l'avoir offensé, et de tout le changement de vie. Celui qui a trouvé un trésor dans un champ en a une telle joie, selon Jésus-Christ, qu'elle lui fait vendre tout ce qu'il a pour l'acheter (Matth. 13, 44.) Les gens du monde ont leur tristesse; mais ils n'ont point cette joie que le monde ne peut donner, ni ôter, dit Jésus-Christ même. (Joan. 14, 27 et 16, 22.) Les bienheureux ont cette joie sans aucune tristesse; et les Chrétiens ont cette joie mêlée de la tristesse d'avoir suivi d'autres plaisirs, et de

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