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VIII.

L'incarnation montre à l'homme la grandeur. de sa misère, par la grandeur du remède qu'il a fallu.

IX.

On ne trouve pas dans la religion chrétienne un abaissement qui nous rende incapables du bien, ni une sainteté exempte du mal. Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

X.

Les philosophes ne prescrivoient point des sentiments proportionnés aux deux états. Ils inspiroient des mouvements de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiroient des mouvements de bassesse pure, et c'est aussi peu l'état de l'homme. Il faut des mouvements de bassesse, non d'une bassesse de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, mais d'une grandeur qui vienne de la grâce, et non du mérite, et après avoir passé par la bassesse.

XI.

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable. Avec

combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu ? avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre?

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nousmêmes des caractères ineffaçables d'excellence? Et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible d'y résister?

XII.

Ce qui détourne les hommes de croire qu'ils sont capables d'être unis à Dieu, n'est autre chose que la vue de leur bassesse. Mais s'ils l'ont bien sincère, qu'ils la suivent aussi loin que moi, et qu'ils reconnoissent que cette bassesse est telle en effet, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connoître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrois bien savoir d'où cette créature, qui se reconnoît si foible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est lui-même : et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrois lui

demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime et le connoisse; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connoissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connoissance. Car il est sans doute qu'il connoît au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connoître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira de se communiquer à lui? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils paroissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE VI.

SOUMISSION ET USAGE DE LA RAISON.

I.

La dernière démarche de la raison, c'est de connoître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle est bien foible, si elle ne va

PENSÉES.

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jusque-là. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi, n'entend pas la force de la raison. Il y en a qui pèchent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connoître en démonstrations; ou en doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre; ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger.

II.

Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux ni de surnaturel, Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

La raison, dit saint Augustin, ne se soumettroit jamais, si elle ne jugeoit qu'il y a des occasions où elle doit se soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle doit se soumettre; et qu'elle ne se soumette pas, quand elle juge avec fondement qu'elle ne doit pas le faire mais il faut prendre garde à ne pas

se tromper.

III.

La piété est différente de la superstition. Pousser la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse. C'est faire ce qu'ils nous reprochent, que d'exiger cette soumission dans les choses qui ne sont pas matière de sou

mission.

Il n'y a rien de si conforme à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui sont de foi. Et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui ne sont pas de foi. Ce sont deux excès également dangereux, d'exclure la raison, de n'admettre que

la raison.

IV.

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais jamais le contraire. Elle est au-dessus, et non pas contre.

V.

Si j'avois vu un miracle, disent quelques gens, je me convertirois. Ils ne parleroient pas ainsi, s'ils savoient ce que c'est que conversion. Ils s'imaginent qu'il ne faut pour cela que reconnoître qu'il y a un Dieu, et que l'adoration consiste à lui tenir de certains discours, tels à peu près que les païens en faisoient à leurs idoles. La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet Être souverain qu'on a irrité tant de fois, et qui peut nous perdre légitimement à toute heure; à reconnoître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a rien mérité de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connoître qu'il y a une opposition invincible entre Dieu et nous; et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de

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