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ARTICLE V..

Véritable religion prouvée par les contrariétés qui sont dans l'homme, et par le péché originel.

I.

Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne qu'il y a en lui quelque grand principe de grandeur, et en même temps quelque grand principe de misère. Car il faut que la véritable religion connoisse à fond notre nature; c'est-à-dire, qu'elle connoisse tout ce qu'elle a de grand et tout ce qu'elle a de misérable, et la raison de l'un et de l'autre. Il faut encore qu'elle nous rende raison des étonnantes contrariétés qui s'y rencontrent (90). S'il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout, il faut que la vraie religion nous enseigne à n'adorer que lui et à n'aimer lui. Mais comme nous nous trouvons dans l'impuissance d'adorer ce que nous ne connoissons pas, et d'aimer autre chose que nous, il faut que la religion, qui instruit de ces devoirs, nous instruise aussi de cette impuissance, et qu'elle nous en apprenne les remèdes.

que

Il faut, pour rendre l'homme heureux, qu'elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé

de l'aimer; que notre véritable félicité est d'être à lui, et notre unique mal d'être séparé de lui; qu'elle nous apprenne que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connoître et de l'aimer; et qu'ainsi, nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et notre concupiscence nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de l'opposition que nous avons à Dieu et à notre propre bien; il faut qu'elle nous en enseigne les remèdes, et les moyens d'obtenir ces remèdes. Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Serace celle qu'enseignoient les philosophes (91), qui nous proposent pour tout bien un bien qui est en nous? Est-ce là le vrai bien? Ont-ils trouvé le remède à nos maux? Est-ce avoir guéri la présomption de l'homme, que de l'avoir égalé à Dieu ? Et ceux qui nous ont égalés aux bêtes, et qui nous ont donné les plaisirs de la terre pour tout bien, ont-ils apporté le remède à nos concupiscences? Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns voyez celui auquel vous ressemblez, et qui vous a fait pour l'adorer; vous pouvez vous rendre semblable à lui; la sagesse vous y égalera, si vous voulez la suivre. Et les autres disent : Baissez vos yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes, et regardez les bêtes dont vous êtes le compagnon.

Que deviendra donc l'homme? Sera-t-il égal à

Dieu ou aux bêtes? Quelle effroyable distance! Que serons-nous donc ? Quelle religion nous enseignera à guérir l'orgueil et la concupiscence? Quelle religion nous enseignera notre bien, nos devoirs, les foiblesses qui nous en détournent, les remèdes qui peuvent les guérir, et le moyen d'obtenir ces remèdes? Voyons ce que nous dit sur cela la sagesse de Dieu qui nous parle dans la religion chrétienne.

C'est en vain, ô homme! que vous cherchez dans vous-même le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu'à connoître que ce n'est point en vous que vous trouverez mi la vérité ni le bien. Les philosophes vous l'ont promis, ils n'ont pu le faire (*). Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état. Comment auroient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu'ils ne les ont pas seulement connus? Vos maladies principales sont l'orgueil, qui vous soustrait à Dieu, et la concupiscence, qui vous attache à la terre; et ils n'ont fait autre chose qu'entretenir au moins une de ces maladies. S'ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n'a été que pour exercer votre orgueil. Ils vous ont fait penser que vous lui êtes semblable par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention, vous ont jeté dans l'autre précipice, en vous

(*) C'est-à-dire, n'ont pu trouver la vérité à l'aide des lumières de la raison. (Note de l'Éditeur.)

faisant entendre que votre nature étoit pareille à celle des bêtes, et vous ont porté à chercher votre bien dans les concupiscences, qui sont le partage des animaux. Ce n'est pas là le moyen de vous instruire de vos injustices. N'attendez donc ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formé, et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes. Mais vous n'êtes plus maintenant en l'état où je vous ai formé. J'ai créé l'homme, saint, innocent, parfait; je l'ai rempli de lumière et d'intelligence; je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L'oeil de l'homme voyoit alors la majesté de Dieu. Il n'étoit pas dans les ténèbres qui l'aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l'affligent. Mais il n'a pu sontenir tant de gloire sans tomber dans la présomption (92). Il a voulu se rendre centre de lui-même, et indépendant de mon secours. Il s'est soustrait à ma domination; et s'égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même, je l'ai abandonné à lui; et révoltant toutes les créatures qui lui étoient soumises, je les lui ai rendues ennemies : en sorte qu'aujourd'hui l'homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi, qu'à peine lui reste-t-il quelque lumière confuse de son auteur: tant toutes ses connoissances ont été éteintes ou

troublées! Les sens indépendants de la raison, et souvent maîtres de la raison, l'ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures

ou l'affligent, ou le tentent, et dominent sur lui, ou en le soumettant par leur force, ou en le charmant par leurs douceurs; ce qui est encore une domination plus terrible et plus impérieuse.

Voilà l'état où les hommes sont aujourd'hui. Il leur reste quelque instinct puissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence, qui est devenue leur seconde

nature.

II.

De ces principes que je vous ouvre, vous pouvez reconnoître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes, et qui les ont partagés. Observez maintenant tous les mouvėments de grandeur et de gloire que le sentiment de tant de misères ne peut étouffer, et voyez s'il ne faut pas que la cause en soit une autre

nature.

III.

Connoissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez-vous, raison impuissante; taisez-vous, nature imbècille; apprenez que l'homme passe infiniment l'homme,

et entendez de votre maître votre condition véritable, que vous ignorez.

Car enfin, si l'homme n'avoit jamais été corrompu, il jouiroit de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avoit jamais été

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