Page images
PDF
EPUB

n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes apprenez-les de ceux qui ont été tels que vous, et qui n'ont présentement aucun doute. Ils savent ce chemin que vous voudriez suivre; et ils sont guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé ; imitez leurs actions extérieures, si vous ne pouvez encore entrer dans leurs dispositions intérieures; quittez ces vains amusements qui vous occupent tout entier.

J'aurois bientôt quitté ces plaisirs, dites-vous, si j'avois la foi. Et moi je vous dis que vous auriez bientôt la foi, si vous aviez quitté ces plaisirs. Or, c'est à vous à commencer. Si je pouvois, je vous donnerois la foi : je ne le puis, ni par conséquent éprouver la vérité de ce que vous dites; mais vous pouvez bien quitter ces plaisirs, et éprouver si ce que je dis est vrai.

I. Ce discours me transporte, me ravit.

P. Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu'il est fait par un homme qui s'est mis à genoux auparavant et après pour prier cet être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre, pour votre propre bien et pour sa gloire; et qu'ainsi la force s'accorde avec cette bassesse (*).

(*) Ici finit le dialogue.

VI.

Il ne faut pas se méconnoître : nous sommes corps autant qu'esprit ; et de là vient que l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes (83); elle incline les sens, qui entraînent l'esprit sans qu'il y pense. Qui a démontré qu'il sera demain jour, et que nous mourrons? et qu'y a-t-il de plus universellement cru? C'est donc la coutume qui nous en persuade; c'est elle qui fait tant de turcs et de païens; c'est elle qui fait les métiers, les soldats, etc. Il est vrai qu'il ne faut pas commencer par elle pour trouver la vérité; mais il faut avoir recours à elle, quand une fois l'esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et de nous teindre de cette croyance qui nous échappe à toute heure; car d'en avoir toujours les preuves présentes, c'est trop d'affaire. Il faut acquérir une croyance plus facile, qui est celle de l'habitude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Ce n'est pas assez de ne croire que par la force de la conviction, si les sens nous portent à croire le contraire. Il faut donc faire marcher nos deux pièces ensemble : l'esprit, par les raisons qu'il

suffit d'avoir vues une fois en sa vie ; et les sens, par la coutume, et en ne leur permettant pas de s'incliner au contraire.

Les additions assez importantes qui se trouvent dans le cinquième paragraphe de cet article, ont été prises sur le manuscrit original de Pascal, qui probablement n'avoit point été consulté, pour cet endroit, depuis la première édition des Pensées. R.

ARTICLE IV.

MARQUES DE LA VÉRITABLE RELIGION.

I.

LA vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer Dieu. Cela est bien juste. Et cependant aucune autre que la nôtre ne l'a ordonné. Elle doit encore avoir connu la concupiscence de l'homme, et l'impuissance où il est par luimême d'acquérir la vertu. Elle doit y avoir apporté les remèdes, dont la prière est le principal. Notre religion a fait tout cela; et nulle autre n'a jamais demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre (84).

II.

Il faut, pour faire qu'une religion soit vraie, qu'elle ait connu notre nature; car la vraie na

ture de l'homme, son vrai bien, la vraie vertu et la vraie religion, sont choses dont la connoissance est inséparable. Elle doit avoir connu la grandeur et la bassesse de l'homme, et la raison de l'une et de l'autre. Quelle autre religion que la chrétienne a connu toutes ces choses?

III.

Les autres religions, comme les païennes, sont plus populaires; car elles consistent toutes en extérieur mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle seroit plus proportionnée aux habiles; mais elle ne serviroit pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur. Elle élève le peuple à l'intérieur, et abaisse les superbes à l'extérieur; et n'est pas parfaite sans les deux : car il faut que le peuple entende l'esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre, en pratiquant ce qu'il y a d'extérieur.

IV.

Nous sommes haïssables: la raison nous en convainc. Or, nulle autre religion que la chrétienne ne propose de se haïr. Nulle autre religion ne peut donc être reçue de ceux qui savent qu'ils ne sont dignes que de haine. Nulle autre religion que la chrétienne n'a connu que l'homme est la plus excellente créature, et en même temps la plus misérable. Les uns, qui ont bien connu

la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d'eux-mêmes; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d'une superbe (*) ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l'homme. Nulle religion que la nôtre n'a enseigné que l'homme naît en péché; nulle secte de philosophes ne l'a dit : nulle n'a donc dit vrai.

V.

Dieu étant caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n'est pas véritable (85); et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Cette religion, qui consiste à croire que l'homme est tombé d'un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d'éloignement de Dieu, mais qu'enfin il seroit rétabli par un Messie qui devoit venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses. Car Dieu voulant se former un peuple saint, qu'il sépareroit de toutes les autres nations, qu'il délivreroit de ses ennemis, qu'il mettroit dans un lieu de repos, a promis de le faire, et de venir au monde pour cela; et il a prédit par ses prophètes le temps et la ma

(*) Orgueil.

« PreviousContinue »