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toujours beaucoup la force et la portée d'une personne de son âge; l'effort étonnant et prodigieux de son imagination et de son esprit qui parut dans sa machine arithmétique, qu'il inventa, âgé seulement de dix-neuf à vingt ans; et enfin les belles expériences du vide qu'il fit en présence des personnes les plus considérables de la ville de Rouen, où il demeura quelque temps, pendant que le président Pascal son père y étoit employé pour le service du roi dans la fonction d'intendant de justice. Ainsi je ne répéterai rien ici de tout cela, et je me contenterai seulement de représenter en peu de mots comment il a méprisé toutes ces choses, et dans quel esprit il a passé les dernières années de sa vie, en quoi il n'a pas moins fait paroître la grandeur et la solidité de sa vertu et de sa piété, qu'il avoit montré auparavant la force, l'étendue et la pénétration admirable de son esprit.

Il avoit été préservé pendant sa jeunesse par une protection particulière de Dieu, des vices où tombent la plupart des jeunes gens ; et ce qui est assez extraordinaire à un esprit aussi curieux que le sien, il ne s'étoit jamais porté au libertinage pour ce qui regarde la religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses naturelles. Et il a dit plusieurs fois qu'il joignoit cette obligation à toutes les autres qu'il avoit à son père, qui, ayant luimême un très-grand respect pour la religion, le lui avoit inspiré dès l'enfance, lui donnant pour maxime, que tout ce qui est l'objet de la foi ne sauroit l'être de la raison, et beaucoup moins y être soumis.

Ces instructions, qui lui étoient souvent réitérées par un père pour qui il avoit une très-grande estime, et en qui il voyoit une grande science accompagnée d'un raisonnement fort et puissant, faisoient tant d'impression sur son esprit, que, quelques discours qu'il entendît faire aux libertins, il n'en étoit nullement ému; et,

quoiqu'il fût fort jeune, il les regardoit comme des gens qui étoient dans ce faux principe, que la raison humaine est au-dessus de toutes choses, et qui ne connoissoient pas la nature de la foi.

Mais enfin, après avoir ainsi passé sa jeunesse dans des occupations et des divertissements qui paroissoient assez innocents aux yeux du monde, Dieu le toucha de telle sorte, qu'il lui fit comprendre parfaitement que la religion chrétienne nous oblige à ne vivre que pour lui, et à n'avoir point d'autre objet que lui. Et cette vérité lui parut si évidente, si utile et si nécessaire, qu'elle le fit résoudre de se retirer, et de se dégager peu à peu de tous les attachements qu'il avoit au monde pour pouvoir s'y appliquer uniquement.

Ce désir de la retraite, et de mener une vie plus chrétienne et plus réglée, lui vint lorsqu'il étoit encore fort jeune ; et il le porta dès lors à quitter entièrement l'étude des sciences profanes pour ne s'appliquer plus qu'à celles qui pouvoient contribuer à son salut et à celui des autres. Mais de continuelles maladies qui lui survinrent le détournèrent quelque temps de son dessein, et l'empêchèrent de le pouvoir exécuter plus tôt qu'à l'âge de

trente ans.

Ce fut alors qu'il commença à y travailler tout de bon; et, pour y parvenir plus facilement, et rompre tout d'un coup toutes ses habitudes, il changea de quartier, et ensuite se retira à la campagne, où il demeura quelque temps; d'où, étant de retour, il témoigna si bien qu'il vouloit quitter le monde, qu'enfin le monde le quitta. Il établit le règlement de sa vie dans sa retraite, sur deux maximes principales, qui sont, de renoncer à tout plaisir et à toute superfluité. Il les avoit sans cesse devant les yeux, et il tâchoit de s'y avancer et de s'y perfectionner toujours de plus en plus.

C'est l'application continuelle qu'il avoit à ces deux

grandes maximes qui lui faisoit témoigner une si grande patience dans ses maux et dans ses maladies, qui ne l'ont presque jamais laissé sans douleur pendant toute sa vie; qui lui faisoit pratiquer des mortifications très-rudes et très-sevères envers lui-même ; qui faisoit que non-seulement il refusoit à ses sens tout ce qui pouvoit leur être agréable, mais encore qu'il prenoit sans peine, sans dégoût, et même avec joie, lorsqu'il le falloit, tout ce qui leur pouvoit déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remèdes ; qui le portoit à se retrancher tous les jours de plus en plus tout ce qu'il ne jugeoit pas lui être absolument nécessaire, soit pour le vêtement, soit pour la nourriture, pour les meubles, et pour toutes les autres choses; qui lui donnoit un amour si grand et si ardent pour la pauvreté, qu'elle lui étoit toujours présente, et que, lorsqu'il vouloit entreprendre quelque chose, la première pensée qui lui venoit en l'esprit, étoit de voir si la pauvreté pouvoit être pratiquée, et qui lui faisoit avoir en même temps tant de tendresse et tant d'affection pour les pauvres, qu'il ne leur a jamais pu refuser l'aumône, et qu'il en a fait même fort souvent d'assez considérables, quoiqu'il n'en fît que de son nécessaire; qui faisoit qu'il ne pouvoit souffrir qu'on cherchât avec soin toutes ses commodités, et qu'il blâmoit tant cette recherche curieuse et cette fantaisie de vouloir exceller en tout, comme de se servir en toutes choses des meilleurs ouvriers, d'avoir toujours du meilleur et du mieux fait, et mille autres choses semblables qu'on fait sans scrupule, parce qu'on ne croit pas qu'il y ait de mal, mais dont il ne jugeoit pas de même ; et enfin qui lui a fait faire plusieurs actions très-remarquables et très-chrétiennes, que je ne rapporte pas ici, de peur d'être trop long, et parce que mon dessein n'est pas d'écrire sa vie, mais seulement de donner quelque idée de sa piété et de

sa vertu.

PREMIÈRE PARTIE,

Contenant les Pensées qui se rapportent à la philosophie, à la morale et aux belles-lettres.

LE

ARTICLE PREMIER.

DE L'AUTORITÉ EN MATIÈRE DE PHILOSOPHIE.

E respect que l'on porte à l'antiquité est aujourd'hui à tel point, dans les matières où il devroit avoir le moins de force, que l'on se fait des oracles de toutes ses pensées, et des mystères même de ses obscurités, que l'on ne peut plus avancer de nouveautés sans péril, et que le texte d'un auteur suffit pour détruire les plus fortes raisons. Mon intention n'est point de corriger un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens, parce que l'on en fait trop; et je ne prétends pas bannir leur autorité pour relever le raisonnement tout seul, quoique l'on veuille établir leur autorité seule au préjudice du raisonnement. Mais parmi les choses que nous cherchons à connoître, il faut considérer

que les unes dépendent seulement de la mémoire, et sont purement historiques, n'ayant alors pour objet que de savoir ce que les auteurs ont écrit; les autres dépendent seulement du raisonnement, et sont entièrement dogmatiques, ayant pour objet de chercher à découvrir les vérités cachées. Cette distinction doit servir à régler l'étendue du respect pour les anciens.

Dans les matières où l'on recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont écrit, comme dans l'histoire, dans la géographie, dans les langues, dans la théologie; enfin dans toutes celles qui ont pour principe, ou le fait simple, ou l'institution, soit divine, soit humaine, il faut nécessairement recourir à leurs livres puisque tout ce que l'on peut en savoir y est contenu d'où il est évident que l'on peut en avoir la connoissance entière, et qu'il n'est pas possible d'y rien ajouter. Ainsi, s'il est question de savoir qui fut premier roi des François, en quel lieu les géographes placent le premier méridien, quels mots sont usités dans une langue morte, et toutes les choses de cette nature, quels autres moyens que les livres pourroient nous y conduire? Et qui pourra rien ajouter de nouveau à ce qu'ils nous en apprennent, puisqu'on ne veut savoir que ce qu'ils contiennent? C'est l'autorité seule qui peut nous en éclaircir. Mais où cette autorité a la principale force, c'est dans la théologie, parce qu'elle y est inséparable de la vérité, et que nous ne la connoissons que par

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