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mépris et l'aversion des hommes, et de les faire passer pour des personnes sans esprit et sans jugement. Et en effet, si on leur fait rendre compte de leurs sentiments, et des raisons qu'ils ont de douter de la religion, ils diront des choses si foibles et si basses, qu'ils persuaderont plutôt du contraire (77). C'étoit ce que leur disoit un jour fort à propos une personne : Si vous continuez à discourir de la sorte, leur disoit-il, en vérité, vous me convertirez. Et il avoit raison; car qui n'auroit horreur de se voir dans des sentiments où l'on a pour compagnons des personnes si méprisables?

Ainsi, ceux qui ne font que feindre ces sentiments sont bien malheureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus impertinents des hommes. S'ils sont fâchés dans le fond de leur cœur de ne pas avoir plus de lumière, qu'ils ne le dissimulent point. Cette déclaration ne sera pas honteuse. Il n'y a de honte qu'à ne point en avoir. Rien ne découvre davantage une étrange foiblesse d'esprit que de ne pas connoître quel est le malheur d'un homme sans Dieu; rien ne marque davantage une extrême bassesse de cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles; rien n'est plus lâche que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils laissent donc ces impiétés à ceux qui sont assez mal nés pour en être véritablement capables; qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent encore être chrétiens (78) : et qu'ils reconnoissent enfin

qu'il n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler raisonnables; ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur, parce qu'ils le connoissent; ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur, parce qu'ils ne le connoissent pas

encore.

C'est donc pour les personnes qui cherchent Dieu sincèrement, et qui, reconnoissant leur misère, désirent véritablement d'en sortir, qu'il est juste de travailler, afin de leur aider à trouver la lumière qu'ils n'ont pas.

Mais pour ceux qui vivent sans le connoître et sans le chercher, ils se jugent eux-mêmes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des autres; et il faut avoir toute la charité de la religion qu'ils méprisent pour ne pas les mépriser jusqu'à les abandonner dans leur folie. Mais parce que cette religion nous oblige de les regarder toujours, tant qu'ils seront en cette vie, comme capables de la grâce, qui peut les éclairer ; et de croire qu'ils peuvent être dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes; et que nous pouvons, au contraire, tomber dans l'aveuglement où ils sont il faut faire pour eux ce que nous voudrions qu'on fit pour nous si nous étions à leur place, et les appeler à avoir pitié d'eux-mêmes, et à faire au moins quelques pas pour tenter s'ils ne trouveront point de lumière. Qu'ils donnent à la lecture de cet ouvrage quelques-unes de ces heures qu'ils emploient si inutilement ailleurs; peut

être y rencontreront-ils quelque chose, ou du moins ils n'y perdront pas beaucoup. Mais pour ceux qui y apporteront une sincérité parfaite et un véritable désir de connoître la vérité, j'espère qu'ils y auront satisfaction, et qu'ils seront convaincus des preuves d'une religion si divine que l'on y a ramassées.

ARTICLE III.

Quand il seroit difficile de démontrer l'existence de Dieu lumières naturelles, le plus sûr est de la croire (*).

I.

par les

I. PARLONS selon les lumières naturelles. S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible,

(*) Cet article, dans toutes les éditions, excepté celle de 1787, a pour titre : Qu'il est difficile de démontrer l'existence de Dieu par les lumières naturelles ; mais que le plus sûr est de la croire. Ce titre annonce une proposition affirmative qu'on ne peut supposer dans l'intention de l'auteur des Pensées. C'est ce que l'éditeur de 1787 a très-bien senti. Il n'a vu, dans les premiers paragraphes de cet article, qu'une suite d'objections que Pascal met dans la bouche d'un incrédule pour y répondre victorieusement. J'ai, en conséquence, adopté la forme d'un dialogue régulier qui m'a paru évidemment le but de l'auteur, et qui justifie le titre que j'ai mis en tête de l'article. J'ai distingué, par les lettres I et P, l'incrédule et Pascal. (Note de l'Editeur.)

puisque, n'ayant ni parties', ni bornes, il n'a nul rapport à nous nous sommes donc incapables de connoître ni ce qu'il est, ni s'il est (79). Cela étant ainsi, qui osera entreprendre de résoudre cette question? Ce n'est pas nous, qui n'avons aucun rapport à lui.

II.

P. Je n'entreprendrai pas ici de prouver, par des raisons naturelles, ou l'existence de Dieu, ou la Trinité, ou l'immortalité de l'âme, ni aucune des choses de cette nature, non-seulement parce que je ne me sentirois pas assez fort (80) pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis (*); mais encore parce que cette connoissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. Quand un homme seroit persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes d'une première vérité en qui elles subsistent, et qu'on appelle Dieu, je ne le trouverois pas beaucoup avancé pour son salut.

III.

I. C'est une chose admirable, que jamais

(*) Ce n'est pas que Pascal n'aperçût dans la nature des preuves convaincantes de l'existence de Dieu, et qu'il n'en sentit toute la force. (Voyez part. 1, art. 4, §. 11.) Il n'entend parler ici que de l'endurcissement des athées, qui seul est capable de résister à la force de ces preuves. (Note de l'Editeur.)

auteur canonique ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu tous tendent à le faire croire; et jamais ils n'ont dit: Il n'y a point de vide; donc il y a un Dieu (81). Il falloit qu'ils fussent plus habiles que les plus habiles gens qui sont venus depuis, qui s'en sont tous servis.

P. Si c'est une marque de foiblesse de prouver Dieu par la nature, ne méprisez pas l'Écriture: si c'est une marque de force d'avoir connu ces contrariétés, estimez-en l'Écriture (*).

IV.

I. L'unité jointe à l'infini ne l'augmente de rien, non plus qu'un pied à une mesure infinie. Le fini s'anéantit en présence de l'infini et devient un pur néant. Ainsi notre esprit devant Dieu; ainsi notre justice devant la justice divine. Il n'y a pas si grande disproportion entre l'unité et l'infini qu'entre notre justice et celle de Dieu.

V.

P. Nous connoissons qu'il y a un infini, et

(*) C'est-à-dire, ne méprisez pas l'Écriture, où vous prétendez ne pas trouver ce genre de preuves; mais estimez l'Écriture, qui tend tout entière à faire croire l'existence de Dieu, sans employer, selon vous, ces preuves, et qui

semble ainsi se contrarier en voulant nous faire croire ce qu'elle vous paroît ne pas prouver. Elle parle à un peuple qui reconnoît l'existence de Dieu, et elle sait tirer de la nature même les preuves de ce dogme, quand l'occasion s'en présente. (Note de l'édit. de 1787.)

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