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est misérable. Il est donc misérable, puisqu'il le connoît; mais il est bien grand, puisqu'il connoît qu'il est misérable.

Quelle chimère est-ce donc que l'homme (70)! Quelle nouveauté, quel chaos, quel sujet de contradiction! Juge de toutes choses, imbécille ver de terre, dépositaire du vrai, amas d'incertitude, gloire et rebut de l'univers : s'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante; et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible.

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ARTICLE II.

NÉCESSITÉ D'ÉTUDIER LA RELIGION.

UE ceux qui combattent la religion apprennent au moins quelle elle est, avant que de la combattre. Si cette religion se vantoit d'avoir une vue claire de Dieu, et de la posséder à découvert et sans voile, ce seroit la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu'elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu (71); qu'il s'est caché à leur connoissance; et que c'est même le nom qu'il se donne dans les Écritures, Deus absconditus et enfin si elle travaille également à établir ces deux choses; que Dieu a mis des marques sensibles dans l'Église pour se faire

reconnoître à ceux qui le chercheroient sincèrement; et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte, qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur : quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque, dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre; puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils objectent à l'Église, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et confirme sa doctrine, bien loin de la ruiner?

Il faudroit, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour la chercher partout, et même dans ce que l'Église propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parloient de la sorte, ils combattroient, à la vérité, une de ses prétentions. Mais j'espère montrer ici qu'il n'y a point de personne raisonnable qui puisse parler de la sorte; et j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils ont employé quelques heures à la lecture de l'Écriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je ne puis m'empêcher de leur dire ce que j'ai dit souvent, que cette négligence n'est pas supportable. Il ne s'agit pas ici de l'intérêt léger de

quelque personne étrangère; il s'agit de nousmêmes et de notre tout.

L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort, et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être notre premier objet (72).

Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi, parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser.

Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupation. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher ailleurs,

et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très-solide; je les considère d'une manière toute différente. Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. Je prétends, au contraire, que l'amour-propre, que l'intérêt humain, que la plus simple lumière de la raison doit nous donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela que ce que voient les personnes les moins

éclairées.

Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction. véritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont que vanité; que nos maux sont infinis; et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit nous mettre dans peu d'années, et peut-être en peu de jours, dans un état éternel de bonheur, ou de malheur, ou d'anéantissement (73). Entre nous et le ciel, l'enfer ou le néant, il n'y a donc que la vie, qui est la chose du monde la plus fragile; et le ciel n'étant pas certainement pour ceux qui doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à attendre que l'enfer,

ou le néant.

Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus

terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.

C'est en vain qu'ils détournent leur pensée de cette éternité qui les attend, comme s'ils pouvoient l'anéantir en n'y pensant point. Elle subsiste malgré eux, elle s'avance; et la mort, qui doit l'ouvrir, les mettra infailliblement, dans peu de temps, dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis, ou malheureux.

Voilà un doute d'une terrible conséquence; et c'est déjà assurément un très-grand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble, et bien injuste, et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature.

Où peut-on prendre ces sentiments? Quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressource? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables? Quelle consolation de n'attendre jamais de consolateur ?

Ce repos, dans cette ignorance, est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur

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