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INTRODUCTION AUX PENSÉES DE PASCAL.

» cœur est inquiet, jusqu'à ce qu'il trouve en toi seul ce repos qu'il cherche partout, et dont le besoin le tourmente (*)! » Nous sommes heureux de saisir et de faire sentir l'accord qui existe toujours sur ces points importants, entre les vues philosophiques et les idées religieuses. Senèque dit expressément qu'il n'y a rien au monde de plus méprisable que l'homme, à moins qu'il ne s'élève au-dessus de l'humanité (**). Platon prononce que l'homme est tout entier dans son âme, et que cette âme doit aspirer à se mouler sur l'exemplaire éternel de la sagesse de Dieu (***). N'est-ce pas là précisément ce que Pascal avoit en vue?

Il n'est pas donné à tous les hommes de monter à cette hauteur; mais il est du devoir de tous les hommes de chercher à se connoître. Cette étude, plus rare, suivant Pascal, que celle même de la géométrie, est aussi beaucoup plus utile. Son livre en fait sentir fortement la nécessité. Tironsen la conclusion, en répétant ce qu'il a dit et ce qu'il a, surtout, prouvé par son exemple:

<< Toute notre dignité consiste dans la pensée : c'est de » là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. » Travaillons donc à bien penser! Voilà le principe de la » morale. »

(*) Fecisti nos ad te, Domine, et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te!

(**) O quàm contempta res est Homo, nisi supra humana se erexerit! Senec. natur. quæst., L. I, in Præfat. Montaigne cite ce passage et le commente à sa manière, à la fin du chapitre XII du second livre des Essais. Il termine ce qu'il en dit par ces paroles remarquables: « C'est à nostre foy chrestienne, non à sa vertu stoïque, de prétendre » à cette divine et miraculeuse métamorphose. »

(***) Il faut lire ce que J.-J. Barthélemi fait dire à Platon dans le 26 chapitre d'Anacharsis, et qui est tiré mot à mot des ouvrages de ce grand philosophe.

A Paris, le 30 octobre 1817.

FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

PRÉFACE,

Où l'on fait voir de quelle manière ces Pensées ont été écrites et recueillies; ce qui en a fait retarder l'impression; quel étoit le dessein de l'auteur dans cet ouvrage, et comment il a passé les dernières années de sa vie.

PASCAL, ayant quitté fort jeune l'étude des mathématiques, de la physique, et des autres sciences profanes, dans lesquelles il avoit fait un si grand progrès, commença, vers la trentième année de son âge, à s'appliquer à des choses plus sérieuses et plus relevées, et à s'adonner uniquement, autant que sa santé le put permettre, à l'étude de l'Écriture, des pères, et de la morale chrétienne.

Mais quoiqu'il n'ait pas moins excellé dans ces sortes de sciences, comme il l'a bien fait paroître par des ouvrages qui passent pour assez achevés en leur genre, on peut dire néanmoins que, si Dieu eût permis qu'il eût travaillé quelque temps à celui qu'il avoit dessein de faire sur la religion, et auquel il vouloit employer tout le reste de sa vie, cet ouvrage eût beaucoup surpassé tous les autres qu'on a vus de lui; parce qu'en effet les vues qu'il avoit sur ce sujet étoient infiniment au-dessus de celles qu'il avoit sur toutes les autres choses.

Je crois qu'il n'y aura personne qui n'en soit facilement persuadé en voyant seulement le peu que l'on en donne à présent, quelque imparfait qu'il paroisse ; et principalement sachant la manière dont il y a travaillé, et toute l'histoire du recueil qu'on en a fait. Voici comment tout cela s'est passé.

Pascal conçut le dessein de cet ouvrage plusieurs an

PENSÉES.

I

nées avant sa mort; mais il ne faut pas néanmoins s'étonner s'il fut si long-temps sans en rien mettre par écrit: car il avoit toujours accoutumé de songer beaucoup aux choses, et de les disposer dans son esprit avant que de les produire au dehors, pour bien considérer et examiner avec soin celles qu'il falloit mettre les premières ou les dernières, et l'ordre qu'il leur devoit donner à toutes, afin qu'elles pussent faire l'effet qu'il désiroit. Et comme il avoit une mémoire excellente, et qu'on peut dire même prodigieuse, en sorte qu'il a souvent assuré, qu'il n'avoit jamais rien oublié de ce qu'il avoit une fois bien imprimé dans son esprit ; lorsqu'il s'étoit ainsi quelque temps appliqué à un sujet, il ne craignoit pas que les pensées qui lui étoient venues lui pussent jamais échapper; et c'est pourquoi il différoit assez souvent de les écrire, soit qu'il n'en eût pas le loisir, soit que sa santé, qui a presque toujours été languissante, ne fût pas assez forte pour lui permettre de travailler avec application.

C'est ce qui a été cause que l'on a perdu à sa mort la plus grande partie de ce qu'il avoit déjà conçu touchant son dessein; car il n'a presque rien écrit des principales raisons dont il vouloit se servir, des fondements sur lesquels il prétendoit appuyer son, ouvrage, et de l'ordre qu'il vouloit y garder ; ce qui étoit assurément très-considérable. Tout cela étoit parfaitement bien gravé dans son esprit et dans sa mémoire; mais, ayant négligé de l'écrire lorsqu'il l'auroit peut-être pu faire, il se trouva, lorsqu'il l'auroit bien voulu, hors d'état d'y pouvoir du tout travailler.

Il se rencontra néanmoins une occasion, il y a environ dix ou douze ans, en laquelle on l'obligea, non pas d'écrire ce qu'il avoit dans l'esprit sur ce sujet-là, mais d'en dire quelque chose de vive voix. Il le fit donc en présence et à la prière de plusieurs personnes très-consi

dérables de ses amis. Il leur développa en peu de mots le plan de tout son ouvrage : il leur représenta ce qui en devoit faire le sujet et la matière : il leur en rapporta en abrégé les raisons et les principes, et il leur expliqua l'ordre et la suite des choses qu'il y vouloit traiter. Et ces personnes, qui sont aussi capables qu'on le puisse être de juger de ces sortes de choses, avouent qu'elles n'ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ni de plus convaincant; qu'elles en furent charmées ; et que ce qu'elles virent de ce projet et de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsi sur-le-champ, et sans avoir été prémédité ni travaillé, leur fit juger ce que ce pourroit être un jour, s'il étoit jamais exécuté et conduit à sa perfection par une personne dont elles connoissoient la force et la capacité ; qui avoit accoutumé de travailler tellement tous ses ouvrages, qu'il ne se contentoit presque jamais de ses premières pensées, quelque bonnes qu'elles parussent aux autres ; et qui a refait souvent, jusqu'à huit ou dix fois, des pièces que tout autre que lui trouvoit admirables dès la première.

Après qu'il leur eut fait voir quelles sont les preuves qui font le plus d'impression sur l'esprit des hommes, et qui sont les plus propres à les persuader, il entreprit de montrer que la religion chrétienne avoit autant de marques de certitude et d'évidence que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables.

Il commença d'abord par une peinture de l'homme, où il n'oublia rien de tout ce qui le pouvoit faire connoître et au dedans et au dehors de lui-même, et jusqu'aux plus secrets mouvements de son cœur. II supposa ensuite un homme qui, ayant toujours vécu dans une ignorance générale, et dans l'indifférence à l'égard de toutes choses, et surtout à l'égard de soi-même, vient

enfin à se considérer dans ce tableau, et à examiner ce qu'il est. Il est surpris d'y découvrir une infinité de choses auxquelles il n'a jamais pensé; et il ne sauroit remarquer, sans étonnement et sans admiration, tout ce que Pascal lui fait sentir de sa grandeur et de sa bassesse, de ses avantages et de ses foiblesses, du peu de lumières qui lui reste, et des ténèbres qui l'environnent presque de toutes parts, et enfin de toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il ne peut plus après cela demeurer dans l'indifférence, s'il a tant soit peu de raison; et quelque insensible qu'il ait été jusque alors, il doit souhaiter, après avoir ainsi connu ce qu'il est, de connoître aussi d'où il vient et ce qu'il doit devenir.

Pascal, l'ayant mis dans cette disposition de chercher à s'instruire sur un doute si important, l'adresse premièrement aux philosophes, et c'est là qu'après lui avoir développé tout ce que les plus grands philosophes de toutes les sectes ont dit sur le sujet de l'homme, il lui fait observer tant de défauts, tant de foiblesses, tant de contradictions, et tant de faussetés dans tout ce qu'ils en ont avancé, qu'il n'est pas difficile à cet homme de juger què ce n'est pas là où il doit s'en tenir.

Il lui fait ensuite parcourir tout l'univers et tous les âges, pour lui faire remarquer une infinité de religions qui s'y rencontrent; mais il lui fait voir en même temps, par des raisons si fortes et si convaincantes, que toutes ces religions ne sont remplies que de vanité, de folies, d'erreurs, d'égarements et d'extravagances, qu'il n'y trouve rien encore qui le puisse satisfaire.

Enfin il lui fait jeter les yeux sur le peuple juif; et il lui en fait observer des circonstances si extraordinaires, qu'il attire facilement son attention. Après lui avoir représenté tout ce que ce peuple a de singulier, il s'arrête

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