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c'est pourquoi ce sang étant arrêté autour de la face, il la rend rouge, et même plus rouge que pendant la joie, à cause que la couleur du sang paraît d'autant mieux qu'il coule moins vite, et aussi à cause qu'il s'en peut ainsi assembler davantage dans les veines de la face que lorsque les orifices du cœur sont plus oùverts. Ceci paraît principalement en la honte, laquelle est composée de l'amour de soi-même et d'un désir pressant d'éviter l'infamie présente, ce qui fait venir le sang des parties intérieures vers le cœur, puis de là par les artères vers la face; et avec cela d'une médiocre tristesse, qui empêche ce sang de retourner vers le cœur. Le même paraît aussi ordinairement lorsqu'on pleure; car, comme je dirai ci-après, c'est l'amour jointe à la tristesse qui cause la plupart des larmes; et le même paraît en la colère, où souvent un prompt désir de vengeance est mêlé avec l'amour, la haine et la tristesse.

Art. 118. Des tremblements.

Les tremblements ont deux diverses causes : l'une est qu'il vient quelquefois trop peu d'esprits du cerveau dans les nerfs, et l'autre qu'il y en vient quelquefois trop, pour pouvoir fermer bien justement les petits passages des muscles qui, suivant ce qui a été dit en l'article 11, doivent être fermés pour déterminer les mouvements des membres. La première cause paraît en la tristesse et en la peur, comme aussi lorsqu'on tremble de froid; car ces passions peuvent aussi bien que la froideur de l'air tellement épaissir le sang qu'il ne fournisse pas assez d'esprits au cerveau pour en envoyer dans les nerfs. L'autre cause paraît souvent en ceux qui désirent ardemment quelque chose, et en ceux qui sont fort émus de colère, comme aussi en ceux qui sont ivres : car ces deux passions, aussi bien que le vin, font aller quelquefois tant d'esprits dans le cerveau qu'ils ne peuvent pas être réglément conduits de là dans les muscles.

Art. 119. De la langueur.

La langueur est une disposition à se relâcher et être sans mouvement, qui est sentie en tous les membres; elle vient, ainsi que le tremblement, de ce qu'il ne va pas assez d'esprits dans les nerfs ; mais d'une façon différente: car la cause du tremblement est qu'il n'y en a pas assez dans le cerveau pour obéir aux déterminations de la glande lorsqu'elle les pousse vers quelque muscle, au lieu

que la langueur vient de ce que la glande ne les détermine point à aller vers aucuns muscles plutôt que vers d'autres.

Art. 120. Comment elle est causée par l'amour et par le désir.

Et la passion qui cause le plus ordinairement cet effet est l'amour joint au désir d'une chose dont l'acquisition n'est pas imaginée comme possible pour le temps présent; car l'amour occupe tellement l'âme à considérer l'objet aimé, qu'elle emploie tous les esprits qui sont dans le cerveau à lui en représenter l'image, et arrête tous les mouvements de la glande qui ne servent point à cet effet. Et il faut remarquer touchant le désir que la propriété que je lui ai attribuée de rendre le corps plus mobile ne lui convient que lorsqu'on imagine l'objet désiré être tel qu'on peut dès ce temps-là faire quelque chose qui serve à l'acquérir; car si au contraire on imagine qu'il est impossible pour lors de rien faire qui y soit utile, toute l'agitation du désir demeure dans le cerveau sans passer aucunement dans les nerfs, et, étant entièrement employée à y fortifier l'idée de l'objet désiré, elle laisse le reste du corps languissant.

Art. 121. Qu'elle peut aussi être causée par d'autres passions.

Il est vrai que la haine, la tristesse, et même la joie, peuvent causer aussi quelque langueur lorsqu'elles sont fort violentes, à cause qu'elles occupent entièrement l'âme à considérer leur objet, principalement lorsque le désir d'une chose à l'acquisition de laquelle on ne peut rien contribuer au temps présent est joint avec elle. Mais pour ce qu'on s'arrête bien plus à considérer les objets qu'on joint à soi de volonté que ceux qu'on en sépare et qu'aucuns autres, et que la langueur ne dépend point d'une surprise, mais a besoin de quelque temps pour être formée, elle se rencontre bien plus en l'amour qu'en toutes les autres passions.

Art. 122. De la pamoison.

La pamoison n'est pas fort éloignée de la mort, car on meurt lorsque le feu qui est dans le cœur s'éteint tout à fait, et on tombe seulement en pamoison lorsqu'il est étouffé en telle sorte qu'il demeure encore quelques restes de chaleur qui peuvent par après le rallumer. Or il y a plusieurs indispositions du corps qui peuvent faire qu'on tombe ainsi en défaillance, mais entre les passions il

n'y a que l'extrême joie qu'on remarque en avoir le pouvoir : et la façon dont je crois qu'elle cause cet effet est qu'ouvrant extraordinairement les orifices du cœur, le sang des veines y entre si à coup et en si grande quantité qu'il n'y peut être raréfié par la chaleur assez promptement pour lever les petites peaux qui ferment les entrées de ces veines : au moyen de quoi il étouffe le feu, lequel il a coutume d'entretenir lorsqu'il n'entre dans le cœur que par mesure.

Art. 123. Pourquoi on ne pâme point de tristesse.

Il semble qu'une grande tristesse qui survient inopinément doit tellement serrer les orifices du cœur qu'elle en peut aussi éteindre le feu, mais néanmoins on n'observe point que cela arrive, ou s'il arrive c'est très-rarement; dont je crois que la raison est qu'il ne peut guère y avoir si peu de sang dans le cœur qu'il ne suffise pour entretenir la chaleur lorsque ses orifices sont presque fermés.

Art. 124. Du ris.

Le ris consiste en ce que le sang qui vient de la cavité droite du cœur par la veine artérieuse, enflant les poumons subitement et à diverses reprises, fait que l'air qu'ils contiennent est contraint d'en sortir avec impétuosité par le sifflet, où il forme une voix inarticulée et éclatante; et tant les poumons en s'enflant, que cet air en sortant, poussent tous les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge, au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage qui ont quelque connexion avec eux; et ce n'est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu'on nomme le ris.

Art. 128. Pourquoi il n'accompagne point les plus grandes joies.

Or, encore qu'il semble que le ris soit un des principaux signes de la joie, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu'elle est seulement médiocre et qu'il y a quelque admiration ou quelque haine mêlée avec elle car on trouve par expérience que lorsqu'on est extraordinairement joyeux, jamais le sujet de cette joie ne fait qu'on éclate de rire, et même on ne peut pas si aisément y être invité par quelque autre cause que lorsqu'on est triste; dont la raison est que, dans les grandes joies, le poumon est toujours si plein de sang qu'il ne peut être davantage enflé par reprises.

Art. 126. Quelles sont ses principales causes.

Et je ne puis remarquer que deux causes qui fassent ainsi subitement enfler le poumon. La première est la surprise de l'admiration, laquelle, étant jointe à la joie, peut ouvrir si promptement les orifices du cœur, qu'une grande abondance de sang, entrant tout à coup en son côté droit par la veine cave, s'y raréfie, et, passant de là par la veine artérieuse, enfle le poumon. L'autre est le mélange de quelque liqueur qui augmente la raréfaction du sang; et je n'en trouve point de propre à cela que la plus coulante partie de celui qui vient de la rate, laquelle partie du sang étant poussée vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l'admiration, et s'y mêlant avec le sang qui vient des autres endroits du corps, lequel la joie y fait entrer en abondance, peut faire que ce sang s'y dilate beaucoup plus que l'ordinaire : en même façon qu'on voit quantité d'autres liqueurs s'enfler tout à coup étant sur le feu lorsqu'on jette un peu de vinaigre dans le vaisseau où elles sont; car la plus coulante partie du sang qui vient de la rate est de nature semblable au vinaigre. L'expérience aussi nous fait voir qu'en toutes les rencontres qui peuvent produire ce ris éclatant qui vient du poumon, il y a toujours quelque petit sujet de haine, ou du moins d'admiration. Et ceux dont la rate n'est pas bien saine sont sujets à être non-seulement plus tristes, mais aussi, par intervalles, plus gais et plus disposés à rire que les autres d'autant que la rate envoie deux sortes de sang vers le cœur, l'un fort épais et grossier, qui cause la tristesse; l'autre fort fluide et subtil, qui cause la joie. Et souvent, après avoir beaucoup ri, on se sent naturellement enclin à la tristesse, pour ce que, la plus fluide partie du sang de la rate étant épuisée, l'autre, plus grossière, la suit vers le cœur.

Art. 127. Quelle est sa cause en l'indignation.

Pour le ris qui accompagne quelquefois l'indignation, il est ordinairement artificiel et feint; mais, lorsqu'il est naturel, il semble venir de la joie qu'on a de ce qu'on voit ne pouvoir être offensé par le mal dont on est indigné, et, avec cela, de ce qu'on se trouve surpris par la nouveauté ou par la rencontre inopinée de ce mal : de façon que la joie, la haine et l'admiration y contribuent. Toutefois je veux croire qu'il peut aussi être produit, sans aucune joie, par le seul mouvement de l'aversion, qui envoie du sang de la

rate vers le cœur, où il est raréfié et poussé de là dans le poumon, lequel il enfle facilement lorsqu'il le rencontre presque vide; et généralement tout ce qui peut enfler subitement le poumon en cette façon cause l'action extérieure du ris, excepté lorsque la tristesse la change en celle des gémissements et des cris qui accompagnent les larmes. A propos de quoi Vivès écrit de soi-même que lorsqu'il avait été longtemps sans manger, les premiers morceaux qu'il mettait en sa bouche l'obligeaient à rire; ce qui pouvait venir de ce que son poumon, vide de sang par faute de nourriture, était promptement enflé par le premier suc qui passait de son estomac vers le cœur, et que la seule imagination de manger y pouvait conduire avant même que celui des viandes qu'il mangeait y fût parvenu.

Art. 128. De l'origine des larmes.

Comme le ris n'est jamais causé par les plus grandes joies, ainsi les larmes ne viennent point d'une extrême tristesse, mais seulement de celle qui est médiocre et accompagnée ou suivie de quelque sentiment d'amour, ou aussi de joie. Et, pour bien entendre leur origine, il faut remarquer que bien qu'il sorte continuellement quantité de vapeurs de toutes les parties de notre corps, il n'y en a toutefois aucune dont il en sorte tant que des yeux, à cause de la grandeur des nerfs optiques et de la multitude des petites artères par où elles y viennent; et que comme la sueur n'est composée que des vapeurs qui, sortant des autres parties, se convertissent en eau sur leur superficie, ainsi les larmes se font des vapeurs qui sortent des yeux.

Art. 129. De la façon que les vapeurs se changent en eau.

Or, comme j'ai écrit dans les Météores, en expliquant en quelle façon les vapeurs de l'air se convertissent en pluie, que cela vient de ce qu'elles sont moins agitées ou plus abondantes qu'à l'ordinaire, ainsi je crois que lorsque celles qui sortent du corps sont beaucoup moins agitées que de coutume, encore qu'elles ne soient pas si abondantes, elles ne laissent pas de se convertir en eau, ce qui cause les sueurs froides qui viennent quelquefois de faiblesse quand on est malade; et je crois que lorsqu'elles sont beaucoup plus abondantes, pourvu qu'elles ne soient pas avec cela plus agitées, elles se convertissent aussi en eau, ce qui est cause de la sueur qui vient quand on fait quelque exercice. Mais alors les yeux ne

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