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» et vous nous ferez voir pour lors une architecture bien propre » et bien nette, et exempte de tout défaut. Cependant contentez» vous de ceci, et continuez de me prêter votre attention, pen» dant que je continuerai de satisfaire à vos demandes. J'ai com>> pris beaucoup de choses en peu de paroles, pour n'être pas long, » et n'en ai touché la plupart que légèrement, comme sont celles » qui concernent les voûtes, l'ouverture des fenêtres, les colonnes, » les portiques, et autres semblables. Mais voici le dessein d'une » nouvelle comédie. »

SI L'ON PEUT INVENTER UNE NOUVELLE ARCHITECTURE.

etc.

« Vous demandez, en troisième lieu, si l'on peut inventer, »

Comme il demandait cela, quelques-uns de ses amis, voyant que son extrême jalousie et la haine dont il était emporté étaient passées en maladie, ne lui permirent pas de déclamer ainsi davantage dans les places publiques, mais le firent aussitôt conduire chez le médecin.

Pour moi, je n'oserais pas, à la vérité, soupçonner rien de pareil de notre auteur; mais je continuerai seulement de faire voir ici avec quel soin il semble qu'il ait tâché de l'imiter en toutes choses. Il se comporte entièrement comme lui en juge très-sévère, et qui prend soigneusement et scrupuleusement garde de rien prononcer témérairement; car, après m'avoir onze fois condamné pour cela seul que j'ai rejeté tout ce qui est douteux pour fonder et établir ce qui est certain, de même que si j'avais creusé profondément pour jeter les fondements de quelque grand édifice, enfin, à la douzième fois, il commence à examiner la chose, et dit : 1o que si je l'ai entendue de la manière qu'il sait que je l'ai entendue, ainsi qu'il paraît par ces paroles : « Vous ne l'assurerez >> ni ne le nierez, » et qu'il m'a lui-même attribuées, qu'à la vé– rité j'ai dit quelque chose de bon, mais que je n'ai rien dit de

nouveau.

2o Que si je l'ai entendue de cette autre façon, d'où il a pris sujet de me rendre coupable de ces onze péchés précédents, et qu'il sait néanmoins être si éloignée du véritable sens que j'y ai donné, qu'un peu auparavant, dans le paragraphe III de sa première question, il m'introduit lui-même parlant d'elle avec risée et admiration en cette sorte : « Et comment cela pourrait-il venir en

» l'esprit d'un homme de bon sens ? » que pour lors j'ai bien dit quelque chose de nouveau, mais que je n'ai rien dit de bon. Qui a jamais été, je ne dirai pas si insolent en paroles ét si peu soucieux de la vérité, ou même de ce qui en a l'apparence, mais si imprudent et si oublieux que de reprocher, comme fait notre auteur, plus de cent fois à un autre, dans une dissertation étudiée, une opinion qu'il a confessée tout au commencement de cette dissertation même être si éloignée de la pensée de celui à qui il en fait le reproche, qu'il ne pense pas qu'elle puisse jamais venir en l'esprit d'un homme de bon sens ?

Pour ce qui est des questions qui sont contenues dans les nombres 3, 4 et 5, soit dans les réponses de notre auteur, soit dans celles de ce maçon, elles ne font rien du tout au sujet, et n'ont jamais été mues ni par moi ni par cet architecte; mais il est vraisemblable qu'elles ont premièrement été inventées par ce maçon, afin que, comme il n'osait pas toucher aux choses qui avaient été faites par cet architecte, de peur de découvrir trop manifestement son ignorance, l'on crût néanmoins qu'il reprenait quelque chose de plus que cette seule façon de creuser ; en quoi notre auteur l'a aussi parfaitement bien imité.

3o Car, quand il dit qu'on peut concevoir une chose qui pense sans concevoir ni un esprit, ni une âme, ni un corps, il ne philosophe pas mieux que fait ce maçon quand il dit qu'un homme qui est expérimenté dans l'architecture n'est pas pour cela plutôt architecte que maçon ou manœuvre, et que l'un se peut fort bien concevoir sans pas un des autres.

4° Comme aussi c'est une chose aussi peu raisonnable de dire qu'une chose qui pense existe sans qu'un esprit existe, que de dire qu'un homme versé dans l'architecture existe sans qu'un architecte existe, au moins quand on prend le nom d'esprit ainsi que du consentement de tout le monde j'ai dit qu'il le fallait prendre. Et il y a aussi peu de répugnance qu'une chose qui pense existe sans qu'aucun corps existe, qu'il y en a qu'un homme versé dans l'architecture existe sans qu'aucun maçon ou manœuvre existe.

5° De même, quand notre auteur dit qu'il ne suffit pas qu'une chose soit une substance qui pense pour être tout à fait spirituelle et au-dessus de la matière, laquelle seule il veut pouvoir être proprement appelée du nom d'esprit; mais qu'outre cela il est requis que, par un acte réfléchi sur sa pensée, elle pense qu'elle pense, ou qu'elle ait une connaissance intérieure de sa pensée; il

se trompe en cela comme fait ce maçon quand il dit qu'un homme expérimenté dans l'architecture doit, par un acte réfléchi, considérer qu'il en a l'expérience avant que de pouvoir être architecte : car, bien qu'il n'y ait point d'architecte qui n'ait souvent considéré, ou du moins qui n'ait pu considérer qu'il savait l'art de bâtir, c'est pourtant une chose manifeste que cette considération n'est point nécessaire pour être véritablement architecte ; et une pareille considération ou réflexion est aussi peu requise, afin qu'une substance qui pense soit au-dessus de la matière. Car la première pensée, quelle qu'elle soit, par laquelle nous apercevons quelque chose, ne diffère pas davantage de la seconde, par laquelle nous apercevons que nous l'avons déjà auparavant aperçue, que celle-ci diffère de la troisième, par laquelle nous apercevons que nous avons déjà aperçu avoir aperçu auparavant cette chose ; et l'on ne saurait apporter la moindre raison pourquoi la seconde de ces pensées ne viendra pas d'un sujet corporel, si l'on accorde que la première en peut venir. C'est pourquoi notre auteur pèche en ceci bien plus dangereusement que ce maçon; car en ôtant la véritable et très-intelligible différence qui est entre les choses corporelles et les incorporelles, à savoir, que celles-ci pensent et que les autres ne pensent pas; et en substituant une autre en sa place, qui ne peut avoir le caractère d'une différence essentielle, à savoir, que celles-ci considèrent qu'elles pensent et que les autres ne le considèrent point, il empêche autant qu'il peut qu'on ne puisse entendre la réelle distinction qui est entre l'âme et le corps.

6o Il est encore moins excusable de favoriser le parti des bêtes brutes, en leur accordant la pensée aussi bien qu'aux hommes, que l'est ce maçon de s'être voulu attribuer à soi et à ses semblables la connaissance de l'architecture aussi bien qu'aux architectes.

Et enfin il paraît bien que l'un.et l'autre n'ont point eu égard à ce qui était vrai ou même vraisemblable, mais seulement à ce qui pouvait être le plus propre pour décrier son adversaire, et le faire passer pour un homme de peu de sens auprès de ceux qui ne le connaissaient point, et qui ne se mettraient pas beaucoup en peine de le connaître. Et pour cela celui qui a fait le rapport de toute cette histoire a fort bien remarqné, pour exprimer la furieuse envie et jalousie de ce maçon, qu'il avait vanté comme un magnifique appareil la fosse qu'avait fait creuser cet architecte; mais

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que pour le roc que l'on avait découvert par son moyen, et pour la chapelle que l'on avait bâtie dessus, il l'avait négligée et méprisée comme une chose de peu d'importance, et que néanmoins, pour satisfaire à l'amitié qu'il lui portait et à la bonne volonté qu'il avait pour lui, il n'avait pas laissé de lui rendre grâce et de le remercier, etc.; comme aussi dans la conclusion il l'introduit avec ces belles acclamations en la bouche : « Enfin, s'il dit cela, >> combien y aura-t-il de choses superflues, combien d'exorbi» tantes quelle battologie! combien de machines qui ne servent qu'à la pompe ou à nous décevoir! » Et un peu après : « Vous » craignez ici, sans doute, et je vous le pardonne, pour votre art >> et manière de bâtir, laquelle vous chérissez, et que vous caressez » et embrassez comme votre propre production, etc.; ne craignez » pourtant point, je suis votre ami plus que vous ne pensez, » etc. Car tout cela représente si naïvement la maladie de ce maçon, que je doute qu'aucun poëte eût pu la mieux dépeindre. Mais je m'étonne que notre auteur l'ait si bien imité en toutes choses, qu'il semble ne prendre pas garde à ce qu'il fait, et avoir oublié de se servir de cet acte réfléchi de la pensée, qu'il disait tout à l'heure faire la différence de l'homme d'avec la bête. Car certainement il ne dirait pas qu'il y a un trop grand appareil de paroles dans mes écrits, s'il considérait que celui dont il s'est servi, je ne dirai pas pour impugner, car il n'apporte aucune raison pour le faire, mais pour aboyer (qu'il me soit ici permis d'user de ce mot un peu rude, car je n'en sais point de plus propre pour exprimer la chose) après ce seul doute métaphysique dont j'ai parlé dans ma première Méditation, est beaucoup plus grand que celui dont je me suis servi pour le proposer. Et il se serait bien empêché d'accuser mon discours de battologie, s'il avait pris garde de quelle longue, superflue et inutile loquacité il s'est servi dans toute sa dissertation, à la fin de laquelle il assure pourtant n'avoir pas voulu être long. Mais parce qu'en cet endroit-là même il dit qu'il est mon ami, pour le traiter aussi le plus amiablement qu'il m'est possible, de même que ce maçon fut conduit par ses amis chez le médecin, de même aussi j'aurai soin de le recommander à son supérieur.

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