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Malherbe a cru qu'Achille, pendant le siége de Troie, qui dura dix ans, en avait été neuf dans ses vaisseaux; en quoi il s'est trompé. Achille ne se retira dans ses vaisseaux qu'après qu'on lui eût enlevé Briséis; et quand on lui enleva Briséis, il y avait déjà plus de neuf ans que les princes grecs étaient devant Troie.

2 Ces quatre stances valent mieux que tout ce que Malherbe a jamais fait, et prouvent qu'on travaille plus heureusement sur de beaux sujets que sur des niaiseries. (LANCELOT.)

3 Malherbe aime fort ces omissions de pronoms possessifs. Ainsi ildit glisser, pour se glisser; plaindre, pour se plaindre; évanouir, pour s'évanouir; renfermer, pour se renfermer. Pétrarque a dit de même muover pour muoversi. (MÉN.)

Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont, comme nous Véritablement hommes, [sommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers;
Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flat-
Et tombent avec eux d'une chute commune [teurs;
Tous ceux que leur fortune
Faisait leurs serviteurs'.

LIVRE TROISIÈME.

CHANSONS.

12.

1606.

Qu'autres que vous soient désirées,
Qu'autres que vous soient adorées,
Cela se peut facilement :
Mais qu'il soit des beautés pareilles
A vous, merveille des merveilles,
Cela ne se peut nullement.

Que chacun sous votre puissance
Captive son obéissance,
Cela se peut facilement :
Mais qu'il soit une amour si forte
Que celle-là que je vous porte,
Cela ne se peut nullement.

Que le fâcheux nom de cruelles

Semble doux à beaucoup de belles,
Cela se peut facilement.

'Malherbe n'a point paraphrasé la fin du psaume; il craignait de ne la pouvoir rendre en notre langue, ainsi qu'il l'a souvent dit à plusieurs personnes qui me l'ont répété. (MÉN.)

a Cette chanson fut faite par Malherbe, conjointement avec la duchesse de Bellegarde et Racan, à l'imitation d'une chanson espagnole dont le refrain était Bien puede ser, no puede ser. (MEN.)

Mais qu'en leur âme trouve place Rien de si froid que votre glace, Cela ne se peut nullement.

Qu'autres que moi soient misérables

Par vos rigueurs inexorables,
Cela se peut facilement :
Mais que de si vives atteintes
Parte la cause de leurs plaintes,
Cela ne se peut nullement.

Qu'on serve bien lorsque l'on pense
En recevoir la récompense,
Cela se peut facilement :

Mais qu'une autre foi que la mienne
N'espère rien, et se maintienne,
Cela ne se peut nullement.

Qu'à la fin la raison essaie
Quelque guérison à ma plaie,
Cela se peut facilement :
Mais que d'un si digne servage
La remontrance me dégage,
Cela ne se peut nullement.

Qu'en ma seule mort soient finies
Mes peines et vos tyrannies,
Cela se peut facilement :
Mais que jamais par le martyre
De vous servir je me retire,
Cela ne se peut nullement.

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En quel effroi de solitude Assez écarté

Mettrai-je mon inquiétude

En sa liberté?

Dieux, amis de l'innocence, etc.

Les affligés ont, en leurs peines,
Recours à pleurer :

Mais quand mes yeux seraient fontaines,
Que puis-je espérer ?

Dieux, amis de l'innocence, etc.

III.

POUR HENRI LE GRAND,

SUR LA Dernière absenCE DE LA PRINCESSE

de condé.

1609.

Que n'êtes-vous lassées,
Mes tristes pensées,
De troubler ma raison,

Et faire avecque blâme
Rebeller mon âme
Contre sa guérison!

Que ne cessent mes larmes,
Inutiles armes!

Et que n'ôte des cieux
La fatale ordonnance

A ma souvenance

Ce qu'elle ôte à mes yeux!

O beauté nonpareille,
Ma chère merveille,
Que le rigoureux sort
Dont vous m'êtes ravie
Aimerait ma vie
S'il me donnait la mort!

Quelles pointes de rage

Ne sent mon courage De voir que le danger,

En vos ans les plus tendres, Menace vos cendres

D'un cercueil étranger!

Je m'impose silence

En la violence

Que me fait le malheur :

Mais j'accrois mon martyre, Et n'oser rien dire

M'est douleur sur douleur.

Aussi suis-je un squelette;

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O qu'en ce triste éloignement,
Où la nécessité me traîne,

Les dieux me témoignent de haine,
Et m'affligent indignement!
Qui me croit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.
Quelles flèches a la douleur
Dont mon âme ne soit percée?
Et quelle tragique pensée
N'est peinte en ma pâle couleur?
Qui me croit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.

Certes, où l'on peut m'écouter
J'ai des respects qui me font taire;
Mais en un réduit solitaire
Quels regrets ne fais-je éclater!
Qui me croit absent, il a tort;
Je ne le suis point, je suis mort.
Quelle funeste liberté

' Il s'agit peut-être ici de la jeune reine Anne d'Autriche, femme de Louis XIII. Le duc de Bellegarde, qui n'avait pas craint d'être le rival de Henri IV auprès de la belle Gabrielle, était bien capable de former des vœux téméraires pour cette princesse. (ST-MARC.)

Ne prennent mes pleurs et mes plaintes, Quand je puis trouver à mes craintes

Un séjour assez écarté!

Qui me croit absent, il a tort;

Je ne le suis point, je suis mort.

Si mes amis ont quelque soin De ma pitoyable aventure, Qu'ils pensent à ma sépulture; C'est tout ce de quoi j'ai besoin. Qui me croit absent, il a tort; Je ne le suis point, je suis mort.

VII.

POUR LE MÊME'.

1616.

C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser
Trop peu discrètement vous ait fait adresser
Au plus haut objet de la terre;
Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez
Qu'on ne voit jamais le tonnerre
Pardonner au dessein que vous entreprenez.

Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés,
Ne connaissez-vous pas qu'en ce que vous tentez
Toute raison vous désavoue,

Et que vous allez faire un second Ixion'
Cloué là-bas sur une roue

Pour avoir trop permis à son affection?

Bornez-vous, croyez-moi, dans un juste compas,
Et fuyez une mer qui ne s'irrite pas
Que le succès n'en soit funeste.
Le calme jusqu'ici vous a trop assurés,
Si quelque sagesse vous reste,
Connaissez le péril, et vous en retirez.

Mais, ô conseil infâme! ô profanes discours
Tenus indignement des plus dignes amours
Dont jamais âme fut blessée!

Quel excès de frayeur m'a su faire goûter
Cette abominable pensée

Que ce que je poursuis ne peut assez coûter?
D'où s'est coulée en moi cette lâche poison 3

1 Cette chanson et celle qui suit étaient destinées à M. de Bellegarde, alors amoureux d'une dame de la plus haute con dition qui fût en France, et même en Europe. (MÉN.)

2 Ixion, puni dans les enfers pour avoir attenté à Junon. 3 Du temps de Malherbe, et avant lui, poison s'employait ordinairement au féminin; ce qui était plus conforme à l'étymologie, puisqu'il vient de potio. L'usage a également pré

D'oser impudemment faire comparaison

De mes épines à mes roses;

Moi de qui la fortune est si proche des cieux,
Que je vois sous moi toutes choses,

Et tout ce que je vois n'est qu'un point à mes yeux?

Non, non, servons Chrysante; et, sans penser à moi,
Pensons à l'adorer d'une aussi ferme foi

Que son empire est légitime.
Exposons-nous pour elle aux injures du sort;

Et, s'il faut être sa victime,

En un si beau danger moquons-nous de la mort.

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Comme d'un crime hors de raison, Que mon ardeur insensée En trop haut lieu borne sa guérison; Et voudriez bien, pour la finir, M'ôter l'espérance de rien obtenir.

Vous vous trompez : c'est aux faibles courages Qui toujours portent la peur au sein

"De succomber aux orages,

Et se lasser d'un pénible dessein.
De moi, plus je suis combattu,

Plus ma résistance montre sa vertu.

Loin de mon front soient ces palmes communes Où tout le monde peut aspirer;

Loin les vulgaires fortunes,

Où ce n'est qu'un, jouir et désirer.

Mon goût cherche l'empêchement;

Quand j'aime sans peine, j'aime lâchement.

Je connais bien que dans ce labyrinthe Le ciel injuste m'a réservé

Tout le fiel et tout l'absynthe Dont un amant fut jamais abreuvé : Mais je ne m'étonne de rien;

Je suis à Rodanthe, je veux mourir sien.

IX.

C'est faussement qu'on estime
Qu'il ne soit point de beautés
Où ne se trouve le crime
De se plaire aux nouveautés.

Si ma dame avait envie
D'aimer des objets divers,
Serait-elle pas suivie
Des yeux de tout l'univers?

Est-il courage si brave Qui pût avecque raison Fuir d'être son esclave Et de vivre en sa prison?

Toutefois cette belle âme, A qui l'honneur sert de loi, Ne hait rien que le blâme D'aimer un autre que moi.

Tous ces charmes de langage
Dont on s'offre à la servir
Me l'assurent davantage,

Au lieu de me la ravir.

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