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Mais, quatre mois après le sacrement,
D'un fruit de neuf elle s'est dépêchée.
Jean se lamente; Alix est bien fâchée :
Mais le public varie à leur égard.
L'un dit qu'Alix est trop tôt accouchée,
L'autre que Jean s'est marié trop tard.

IX.

J'ai depuis peu vu ta femme nouvelle,
Qui m'a paru si modeste en son air,
Si bien en point, si discrète, si belle,
L'esprit si doux, le ton de voix si clair,
Bref, si parfaite et d'esprit et de chair.
Que, si le ciel m'en donnait trois de même,
J'en rendrais deux au grand diable d'enfer,
Pour l'engager à prendre la troisième.

X.

Certain marquis, fameux par le grand bruit
Qu'il s'est donné d'homme à bonne fortune,
Se plaint partout que des voleurs de nuit
En son logis sont entrés sur la brune.
Ils m'ont tout pris, bagues, joyaux, pécune;
Mais ce que plus je regrette, entre nous,
C'est une recueil d'amoureux billets doux
De cent beautés, dont mon cœur fit capture.
Seigneur marquis, j'en suis fâché pour vous;
Car ces coquins connaîtront l'écriture.

XI.

Le vieux Ronsard, ayant pris ses besicles,
Pour faire fête au Parnasse assemblé,
Lisait tout haut ces odes par articles 1
Dont le public vient d'être régalé.

Ouais qu'est-ce ci? dit tout à l'heure Horace,
En s'adressant au maître du Parnasse :
Ces odes-là frisent bien le Perrault!
Lors Apollon, bâillant à bouche close:
Messieurs, dit-il, je n'y vois qu'un défaut,
C'est que l'auteur les devait faire en prose1.

XII.

Le traducteur qui rima l'Iliade 3,

1 Rousseau les appelle ailleurs, et avec la même justesse, de froids dizains rédigés par chapitres.

2 Le trait est d'autant meilleur ici, qu'il frappe plus juste, et que l'on connaît le système de la Motte en faveur des odes, et même des tragédies en prose.

3 Allusion à la traduction abrégée de l'Iliade, en vers francais, par la Motte-Houdart.

De douze chants prétendit l'abréger :
Mais par son style, aussi triste que fade,
De douze en sus il a su l'allonger.
Or le lecteur, qui se sent affliger,
Le donne au diable, et dit, perdant haleine :
Hé! finissez, rimeur à la douzaine!
Vos abrégés sont longs au dernier point.
Ami lecteur, vous voilà bien en peine;
Rendons-les courts en ne les lisant point.

XIII.

Houdart n'en veut qu'à la raison sublime
Qui dans Homère enchante les lecteurs;
Mais Arouet veut encor de la rime
Désabuser le peuple des auteurs.
Ces deux rivaux, érigés en docteurs,
De poésie ont fait un nouveau code;
Et, bannissant toute règle incommode,
Vont produisant ouvrages à foison,
Où nous voyons que, pour être à la mode,
Il faut n'avoir ni rime ni raison.

XIV.

Léger de queue, et de ruses chargé,
Maître Renard se proposait pour règle :
Léger d'étude, et d'orgueil engorgé,
Maître Houdart se croit un petit aigle.
Oyez-le bien : vous toucherez au doigt
Que l'Iliade est un conte plus froid
Que Cendrillon, Peau-d'Ane, ou Barbe-Bleue.
Maître Houdart, peut-être on vous croirait;
Mais par
malheur vous n'avez point de queue!

XV.

Depuis trente ans un vieux berger normand 2
Aux beaux esprits s'est donné pour modèle;
Il leur enseigne à traiter galamment
Les grands sujets en style de ruelle.
Ce n'est le tout : chez l'espèce femelle
Il brille encor, malgré son poil grison;
Et n'est caillette en honnête maison
Qui ne se pâme à sa douce faconde.
En vérité, caillettes ont raison;
C'est le pédant le plus joli du monde.

1 Voltaire, en effet, avait sur la rime des principes très-rclâchés; Delille, au contraire, s'en proclamait le Janseniste.

2 Bernard de Fontenelle, né à Rouen en 1658; mort à Paris le 29 janvier 1757, âgé de près de cent ans. Il ne s'agit ici que de ses églogues, très-dignes en effet de cette épigramme. Mais il a, comme savant et comme littérateur, d'autres titres à l'estime de la postérité.

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Vante Person le barbouilleur;

Et Person, peintre de taverne,
Prône Gacon le rimailleur.

Or, en cela certain railleur

Trouve qu'ils sont tous deux fort sages :
Car sans Gacon et ses ouvrages,

Qui jamais eût vanté Person?
Et sans Person et ses suffrages,
Qui jamais eût prôné Gacon?

XXIX.

AUX JOURNALISTES DE TRÉVOUX.

Petits auteurs d'un fort mauvais journal,
Qui d'Apollon vous croyez les apôtres,
Pour Dieu! tâchez d'écrire un peu moins mal;
Ou taisez-vous sur les écrits des autres.
Vous vous tuez à chercher dans les nôtres
De quoi blâmer, et l'y trouvez très-bien :
Nous, au rebours, nous cherchons dans les vôtres
De quoi louer, et nous n'y trouvons rien.

XXX.

AUX MÊMES.

Grands reviseurs, courage, escrimez-vous :
Apprêtez-moi bien du fil à retordre.
Plus je verrai fumer votre courroux,
Plus je rirai; car j'aime le désordre.
Et, je l'avoue, un auteur qui sait mordre,
En m'approuvant, peut me rendre joyeux :
Mais le venin de ceux du dernier ordre
Est un parfum que j'aime cent fois mieux.

XXXI.

SUR LES TRAGÉDIES DU SIEUR***. Cachez-vous, Lycophrons antiques et modernes, Vous qu'enfanta le Pinde au fond de ses cavernes Pour servir de modèle au style boursouflé. Retirez-vous, Ronsard, Baïf, Garnier, la Serre ; Et respectez les vers d'un rimeur plus enflé Que Rampale, Brébeuf, Boyer, ni Longepierre.

tions précédentes, par les noms de Griphon et de Siphon. Gacon, traducteur insipide d'Anacréon, et auteur d'un libelle scandaleusement satirique, intitulé l'Anti-Rousseau, peu près ignoré aujourd'hui.

Ce rimeur n'était autre que Crébillon, que l'auteur d'Électre, de Rhadamiste et Zénobie.

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