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Que sa constance est une roche, Que rien n'est égal à sa foi. Prêchez-moi ses vertus, contez-m'en des merveilles; C'est le seul entretien qui plaît à mes oreilles : Mais pour en dire mal n'approchez point de moi. XXIII '.

BALLET DE MADAME 2.

DE PETITES NYMPHES, QUI MÈNENT L'AMOUR PRISONNIER AU ROI 3.

1610.

A la fin, tant d'amants, dont les âmes blessées Languissent nuit et jour,

Verront sur leur auteur leurs peines renversées, Et seront consolés aux dépens de l'Amour.

Ce public ennemi, cette peste du monde;
Que l'erreur des humains

Fait le maître absolu de la terre et de l'onde,
Se trouve à la merci de nos petites mains.

Nous le vous amenons dépouillé de ses armes,
O roi, l'astre des rois !

Quittez votre bonté, moquez-vous de ses larmes,
Et lui faites sentir la rigueur de vos lois.

Commandez que sans grâce on lui fasse justice :
Il sera mal aisé

Que sa vaine éloquence ait assez d'artifice
Pour démentir les faits dont il est accusé.

Jamais ses passions, par qui chacun soupire,

Ne nous ont fait d'ennui; [pire Mais c'est un bruit commun que dans tout votre emIl n'est point de malheur qui ne vienne de lui.

Mars, qui met sa louange à déserter la terre

Par des meurtres épais,

N'a rien de si tragique aux fureurs de la guerre Comme ce déloyal aux douceurs de la paix.

Mais, sans qu'il soit besoin d'en parler davantage,
Votre seule valeur,

Qui de son impudence a ressenti l'outrage,
Vous fournit-elle pas une juste douleur?

Ne mêlez rien de lâche à vos hautes pensées;

J'ai appris de M. de Racan que Malherbe fit cette pièce en un jour. (MÉN.)

2 Élisabeth de France, depuis reine d'Espagne. 3 Henri IV.

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Henri, ce grand Henri, que les soins de nature Avaient fait un miracle aux yeux de l'univers, Comme un homme vulgaire est dans la sépulture A la merci des vers.

<< Belle âme, beau patron des célestes ouvrages,
Qui fus de mon espoir l'infaillible recours,
Quelle nuit fut pareille aux funestes ombrages
Où tu laisses mes jours?

« C'est bien à tout le monde une commune plaie,
Et le malheur que j'ai, chacun l'estime sien;
Mais en quel autre cœur est la douleur si vraie
Comme elle est dans le mien?

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' Cette pièce, qui ne fut point imprimée dans le Recueil de vers sur le trépas d'Henri le Grand, donné par du Peyrat en 1610, se trouve, pour la première fois dans l'édition de 1630; ce qui vient sans doute de ce que Malherbe, comme le dit Ménage d'après Racan, n'avait pas mis la dernière main à ses vers. (St. MARC.)

2 Malherbe, ordinairement si sensé et si juste, ne l'est pas toujours. Il est ampoulé quelquefois, ou plutôt, ce fleuve, égal et paisible dans sa course, devient tout à coup un torrent impétueux qui fait du fracas, et qui tombe dans des précipices. (BOUHOURS.)

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XXV '.

A LA REINE, MÈRE DU ROI,

PENDANT SA RÉGENCE.

1611.

Objet divin des âmes et des yeux,

Reine, le chef-d'œuvre des cieux, Quels doctes vers me feront avouer Digne de te louer?

Les monts fameux des vierges que je sers
Ont-ils des fleurs en leurs déserts,
Qui, s'efforçant d'embellir ta couleur,
Ne ternissent la leur?

Le Thermodon a vu seoir autrefois
Des reines au trône des rois :
Mais que vit-il par qui soit débattu
Le prix à ta vertu?

Certes nos lis, quoique bien cultivés,
Ne s'étaient jamais élevés
Au point heureux où les destins amis
Sous ta main les a mis 3.

A leur odeur l'Anglais se relâchant,
Notre amitié va recherchant ;
Et l'Espagnol (prodige merveilleux!)
Cesse d'être orgueilleux 4.

De tous côtés nous regorgeons de biens;
Et qui voit l'aise où tu nous tiens
De ce vieux siècle aux fables récité
Voit la félicité.

Quelque discord murmurant bassement Nous fit peur au commencement:

1 Ces stances, dont tous les vers sont masculins, ne purent être chantées, parce que le premier vers est trop court d'une syllabe. J'ai appris cette particularité de M. de Racan, de qui j'ai appris aussi que Malherbe n'avait point d'oreille pour la musique, et qu'il n'a jamais pu faire des vers sur les airs que les musiciens lui donnaient. (MÉN.)

2 Fleuve de Thémiscyre, province de Cappadoce, voisine du pays des Amazones.

3 Ce défaut d'accord, entre le verbe et son nominatif, a été regardé par Ménage et Saint-Marc comme une faute d'impression: il n'y faut voir peut-être qu'une licence poétique autorisée par l'exemple des Grecs et des Latins, qui mettent souvent au singulier un verbe régi par un pluriel neutre. Quoi qu'il en soit, Ménage n'a pas osé toucher ici au texte de Malherbe. 'On venait d'entamer les négociations relatives au double mariage qui fut conclu, l'année suivante, entre Louis XIII et l'infante d'Espagne, le prince d'Espagne et madame Élisabeth de France.

Mais sans effet presque il s'évanouit Plus tôt qu'on ne l'ouït.

Sa fabuleuse royauté.

Tu menaças l'orage paraissant,
Et tout soudain obéissant,

Il disparut comme flots courroucés
Que Neptune a tancés.

Que puisses-tu, grand soleil de nos jours,
Faire sans fin le même cours,

Le soin du ciel te gardant aussi bien
Que nous garde le tien!

Puisses-tu voir sous le bras de ton fils

Trébucher les murs de Memphis, Et de Marseille au rivage de Tyr Son empire aboutir!

Les vœux sont grands : mais avecque raison
Que ne peut l'ardente oraison!

Et, sans flatter, ne sers-tu pas les dieux
Assez pour avoir mieux?

XXVI'.

LES SIBYLLES,

SUR LA FÊTE DES ALLIANCES DE FRANCE

ET D'ESPAGNE.

1612.

LA SIBYLLE PERSIQUE.

Que Bellone et Mars se détachent,
Et de leurs cavernes arrachent
Tous les vents des séditions;
La France est hors de leur furie,
Tant qu'elle aura pour alcyons
L'heur et la vertu de Marie ".

LA SIBYLLE LIBYQUE.

Cesse, Pô, d'abuser le monde : Il est temps d'ôter à ton onde

Ces stances furent mises en musique par Boisset, et chantées le premier jour des fêtes du Camp de la place Royale, données les 5, 6 et 7 avril 1612, pour la publication des mariages arrêtés du roi Louis XIII avec l'infante d'Espagne Anne d'Autriche, et de madame Élisabeth, sœur du roi, avec le prince depuis roi d'Espagne, Philippe IV. (ST MARC.)

Il existe une relation imprimée de ces fêtes; elle a pour titre. LE CAMP DE LA PLACE ROYALE, et renferme toutes les stances comprises ict sous le no 26.

2 De Médicis.

L'Arne, sans en faire autres preuves,
Ayant produit cette beauté,
S'est acquis l'empire des fleuves.

LA SIBYLLE DELPHIQUE.

La France à l'Espagne s'allie;
Leur discorde est ensevelie,
Et tous leurs orages finis.
Armes du reste de la terre'
Contre ces deux pleuples unis
Qu'êtes-vous que paille et que verre!

LA SIBYLLE CUMÉE.
Arrière ces plaintes communes,
Que les plus durables fortunes
Passent du jour au lendemain !
Les nœuds de ces grands hyménées
Sont-ils pas de la propre main
De ceux qui font les destinées ?

LA SIBYLLE Érythrée.

Taisez-vous, funestes langages,
Qui jamais ne faites présages
Où quelque malheur ne soit joint;
La Discorde ici n'est mêlée,
Et Thétis n'y soupire point
Pour avoir épousé Pélée.

LA SIBYLLE SAMIENNE.

Roi, que tout bonheur accompagne,
Vois partir du côté d'Espagne
Un soleil qui te vient chercher.
O vraiment divine aventure,
Que ton respect fasse marcher
Les astres contre leur nature!

LA SIBYLLE CUMANE.

O que l'heur de tes destinées
Poussera tes jeunes années
A de magnanimes soucis!
Et combien te verront répandre
De sang des peuples circoncis
Les flots qui noyèrent Léandre 2!

LA SIBYLLE Hellespontique.

Soit que le Danube t'arrête,

Les anciens regardaient cette sibylle comme l'auteur des livres sibyllins, et l'honoraient sous le nom d'Amalthee. Il ne faut pas la confondre avec la sibylle Cumée, ou de Cumes, ville de l'Ionie.

2 Léandre périt dans l'Hellespont, en traversant le détroit à la nage pour aller voir Héro renfermée dans une tour à Sestos.

Soit que l'Euphrate à sa conquête
Te fasse tourner ton désir,
Trouveras-tu quelque puissance
A qui tu ne fasses choisir
Ou la mort ou l'obéissance?

LA SBIYLLE PRHYGIenne.

Courage, reine sans pareille!
L'esprit sacré qui te conseille
Est ferme en ce qu'il a promis.
Achève, et que rien ne t'arrête;
Le ciel tient pour ses ennemis
Les ennemis de cette fête.

LA SIBYLLE TIBURTINE.

Sous ta bonté s'en va renaître
Le siècle où Saturne fut maître;
Thémis les vices détruira;
L'Honneur ouvrira son école ;
Et dans Seine et Marne luira
Même sablon que dans Pactole.

Une sibylle, au nom de tous les Français.

Donc après un si long séjour,
Fleurs de lis, voici le retour
De vos aventures prospères;
Et vous allez être à nos yeux

Fraîches comme aux yeux de nos pères,
Lorsque vous tombâtes des cieux.

A ce coup s'en vont les destins
Entre les jeux et les festins
Nous faire couler nos années,
Et commencer une saison
Où nulles funestes journées
Ne verront jamais l'horizon.

Ce n'est plus comme auparavant,
Que, si l'Aurore en se levant
D'aventure nous voyait rire,
On se pouvait bien assurer,
Tant la Fortune avait d'empire,
Que le soir nous verrait pleurer.

De toutes parts sont éclaircis
Les nuages de nos soucis ;
La sûreté chasse les craintes;
Et la Discorde, sans flambeau,
Laisse mettre avecque nos plaintes
Tous nos soupçons dans le tombeau.

O qu'il nous eût coûté de morts,
O que la France eût fait d'efforts,
Avant que d'avoir par les armes
Tant de provinces qu'en un jour,

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* La grammaire voulait : Vous nous en acquérez. (MÉN.) 2 On dit bien abattu d'un coup; mais je ne pense pas qu'on puisse dire abattu d'une victoire. (MEN.)

3 Nous avons déjà remarqué que Malherbe affectionnait singulièrement fatal, et le prenait ordinairement en bonne part.

4 J'ai appris de M. de Racan, l'ami particulier et le disciple favori de Malherbe, que ces vers avaient été faits au nom du roi Louis XIII, à l'occasion de la première guerre des princes, en 1614. (MÉN.)

Les princes mécontents de la régence étaient Henri II,

Ont d'un commun assaut mon repos offensé. Leur rage a mis au jour ce qu'elle avait de pire: Certes, je le puis dire; .

Mais je puis dire aussi qu'ils n'ont rien avancé.

J'étais dans leurs filets, c'était fait de ma vie ;
Leur funeste rigueur, qui l'avait poursuivie,
Méprisait le conseil de revenir à soi;

Et le coutre aiguisé s'imprime sur la terre
Moins avant que leur guerre
N'espérait imprimer ses outrages sur moi.

Dieu, qui de ceux qu'il aime est la garde éternelle,
Me témoignant contre eux sa bonté paternelle,
A selon mes souhaits terminé mes douleurs.
Il a rompu leur piége; et, de quelque artifice
Qu'ait usé leur malice,

Ses mains, qui peuvent tout, m'ont dégagé des leurs.

La gloire des méchants est pareille à cette herbe
Qui, sans porter jamais ni javelle ni gerbe1,
Croît sur le toit pourri d'une vieille maison.
On la voit sèche et morte aussitôt qu'elle est née ;
Et vivre une journée

Est réputé pour elle une longue saison.

Bien es t-il malaisé que l'injuste licence
Qu'ils prennent chaque jour d'affliger l'innocence
En quelqu'un de leurs vœux ne puisse prospérer :
Mais tout incontinent leur bonheur se retire,
Et leur honte fait rire

Ceux que leur insolence avait fait soupirer.

prince de Condé; César, duc de Vendôme; et Alexandre, grand prieur de France, tous deux enfants naturels de Henri IV. Ils s'éloignèrent de la cour avec Henri, duc de Mayenne, fils du chef de la Ligue; les ducs de Longueville, de Guise, de Nevers, de Rohan, de Luxembourg, de la Trimouille, etc. Cette cabale qui avait pour chef le duc de Bouillon, fut dissipée par le traité conclu à Sainte-Menehould, le 15 mai de la même année; et le roi, âgé de treize ans, fut reconnu majeur; le 2 octobre suivant.

Cette façon de parler est hardie, mais elle n'est pas sans exemple. Une javelle est une poignée d'épis; une gerbe, ce sont plusieurs javelles liées ensemble. Ainsi une herbe qui ne porte jamais ni gerbe, ni javelle, est une herbe dont on ne fait jamais ni de gerbes ni de javelles; et pour user des paroles de David, de quo non implevit manum suam qui metit, et sinum suum qui manipulos colligit. (MÉN.)

2 Bien, au commencement de la période, a aussi bonne grâce en vers qu'il l'a mauvaise en prose, pourvu qu'il soit placé avec goût, comme M. de Malherbe, et cet excellent ouvrier, avait accoutumé de le faire. (VAUGELAS.)

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Ce ballet, connu sous le nom du Triomphe de Pallas, et dans lequel madame Elisabeth représentait Pallas, fut exécuté le 19 mars 1615, dans la grand'salle de Bourbon, lorsque Louis XIII et la reine sa mère se disposaient à partir pour aller conduire cette princesse, et recevoir en même temps l'infante Anne d'Autriche, que le roi devait épouser. (ST-MARC.) - Malherbe, sur la fin de ses jours, préférait cette pièce à toutes les autres.

2 Province du Péloponèse, célèbre dans l'antiquité par ses pâturages et par les chants de ses bergers.

3 La Provence.

4 Géryon, géant de la Bétique, qui, selon la Fable, avait trois corps, et qui fut tué par Hercule.

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