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Les deux frères de qui la guerre ' Ne cessa point dans le tombeau.

C'est en la paix que toutes choses
Succèdent selon nos désirs;
Comme au printemps naissent les roses,
En la paix naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux villes,
Donne aux champs les moissons fertiles,
Et, de la majesté des lois
Appuyant les pouvoirs suprêmes,
Fait demeurer les diadèmes
Fermes sur la tête des rois.

Ce sera dessous cette égide
Qu'invincible de tous côtés
Tu verras ces peuples sans bride
Obéir à tes volontés;

Et, surmontant leur espérance,
Remettras en telle assurance
Leur salut, qui fut déploré,
Que vivre au siècle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siècle doré.

Les Muses, les neuf belles fées 2
Dont les bois suivent les chansons,
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons;
Tous leurs vœux seront de te plaire;

Et si ta faveur tutélaire
Fait signe de les avouer,
Jamais ne partit de leurs veilles
Rien qui se compare aux merveilles
Qu'elles feront pour te louer.

En cette hautaine entreprise,
Commune à tous les beaux esprits,
Plus ardent qu'un athlète à Pise 3
Je me ferai quitter le prix;
Et quand j'aurai peint ton image,
Quiconque verra mon ouvrage
Avouera que Fontainebleau,
Le Louvre, ni les Tuileries,
En leurs superbes galeries

N'ont point un si riche tableau.

La guerre de Thèbes entre Étéocle et Polynice, fils d'OEdipe.

2 Ce mot est très-beau. Il vient du latin fata, fatæ ; et ainsi il convient bien aux Muses. Les poëtes s'en servent aussi en la signification des Nymphes. (MÉN.)

3 Ville d'Élide dans le Péloponèse, près du fleuve Alphée, où, de cinq ans en cinq ans, on célébrait les jeux olympiques

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1 C'est un des proverbes des Grecs, que les portes des Muses sont ouvertes à tout le monde : ἀνεῳγμέναι μουσῶν θύραι. (MÉN.)

2 Lequel est banni de la poésie. Malherbe pouvait dire : au nombre de qui l'on me range; mais son vers n'eût pas été si harmonieux. Du reste, il est à remarquer que, dans toutes ses poésies, ne s'est servi de lequel qu'en cet endroit, et dans l'ode à M de Bellegarde. (MÉN.)

3 Racan disait que cette ode n'avait ni commencement ni fin, et ne la regardait que comme un fragment.

4 On a critiqué ce vers comme présentant à l'esprit une idée obscène. Les anciens ont repris de même arrige aures, dans Térence, et arrigere animos dans Salluste. Il faut avoir l'imagination extrêmement gàtée pour trouver dans les auteurs de semblables.ordures. Quod si recipias, nihil loqui tutum est, dit Quintilien, au sujet de celui qui trouvait une obscénité en ces mots de Virgile: incipiunt agitata tumescere. (MÉN.) 5 Fleuve de Lydie très-fréquenté par les cygnes, s'il faut en croire les poëtes. On dirait aujourd'hui du Caïstre.

6 Malherbe invoquait peut-être les Muses dans une strophe qui n'est pas venue jusqu'à nous, mais peut-être aussi a-t-il cru sa pensée assez clairement exprimée pour n'avoir pas besoin de les nommer ici.

Les rayons d'or étinceler;

Et chargez de perles vos têtes,
Comme quand vous allez aux fêtes
Où les dieux vous font appeler.

Quand le sang bouillant en mes veines
Me donnait de jeunes désirs,
Tantôt vous soupiriez mes peines ',
Tantôt vous chantiez mes plaisirs :
Mais, aujourd'hui que mes années
Vers leur fin s'en vont terminées,
Siérait-il bien à mes écrits
D'ennuyer les races futures
Des ridicules aventures

D'un amoureux en cheveux gris?

Non, vierges, non : je me retire
De tous ces frivoles discours;
Ma reine est un but à ma lyre
Plus juste que nulles amours;
Et quand j'aurai, comme j'espère,
Fait ouir, du Gange à l'Ibère,
Sa louange à tout l'univers,
Permesse me soit un Cocyte,
Si jamais je vous sollicite
De m'aider à faire des vers ⚫!

Aussi bien, chanter d'autre chose
Ayant chanté de sa grandeur,
Serait-ce pas après la rose
Aux pavots chercher de l'odeur,
Et des louanges de la lune
Descendre à la clarté commune
D'un de ces feux du firmament
Qui, sans profiter et sans nuire,
N'ont reçu l'usage de luire
Que par le nombre seulement ?

Entre les rois à qui cet âge
Doit son principal ornement,
Ceux de la Tamise et du Tage
Font louer leur gouvernement:
Mais en de si calmes provinces,
Où le peuple adore les princes,
Et met au degré le plus haut
L'honneur du sceptre légitime,

'C'est-à-dire, vous chantiez mes peines en soupirant. Tous nos poètes français, tant anciens que modernes, se sont servis du mot soupirer en la signification active, pour plaindre. Les poètes italiens ont aussi usé de sospirare en la même signification; ce qu'ils ont pris comme nous des Latins:

Te tenet: absentes alios suspirat amores.
TIBUL. Eleg. VII, V. 42. (MÉN.)

Les serments des poetes sont comme ceux des buveurs : autant en emporte le vent.

Saurait-on excuser le crime

De ne régner pas comme il faut 1?

Ce n'est point aux rives d'un fleuve
Où dorment les vents et les eaux
Que fait sa véritable preuve
L'art de conduire les vaisseaux :
Il faut en la plaine salée
Avoir lutte contre Malée 2,
Et, près du naufrage dernier,
S'être vu dessous les Pléiades 3
Éloigné de ports et de rades,
Pour être cru bon marinier..

Ainsi quand la Grèce, partie
D'où le mol Anaure 4 coulait,
Traversa les mers de Scythie
En la navire qui parlait 5,
Pour avoir su des Cyanées 6,
Tromper les vagues forcenées,
Les pilotes du fils d'Éson 7,
Dont le nom jamais ne s'efface,
Ont gagné la première place,
En la fable de la Toison.

Ainsi, conservant cet empire
Où l'infidélité du sort,
Jointe à la nôtre encore pire,
Allait faire un dernier effort,
Ma reine acquiert à ses mérites
Un nom qui n'a point de limites,

I Expression familière et prosaïque. (MÉN.)

31

* Malée, aujourd'hui Capo Malio, dit Sant' Angelo, promontoire de Laconie, fameux par plusieurs naufrages.

3 Ce nom, sur l'origine duquel on n'est pas d'accord, se donne à sept étoiles réunies et placées dans la constellation du Taureau. Suivant l'opinion la plus vraisemblable, il dérive de Toλaiv, qui signifie tourner en rond; et c'est ainsi que l'année a été appelée nλɛíшv par Hésiode; suivant la plus commune, Pleiades dérive de πλtiv, qui signifie naviguer; et cette opinion est fondée sur ce que le lever des Pléiades étant vers la fin du printemps et le commencement de l'été, elles marquent par leur lever le temps propre à la navigation. (MÉN.)

4 Fleuve de Thessalie, ainsi nommé, parce que son cours était toujours paisible, mol, et à l'abri du vent.

5 Le navire Argo, qui porta Jason dans la Colchide, et dont Valérius Flaccus a dit :

Venturos canit errores, canit et jovis iras
Vocibus humanis, stellati conscia cœli.

Les poëtes ont feint que ce navire parlait, parce qu'il était fait des chènes de Dodone, qui rendaient des oracles. (MÉN.) Du temps de Ménage, on regardait encore le mot navire comme plus noble au féminin qu'au masculin. Il a depuis perdu le premier de ces deux genres.

Les Cyanées, appelées aussi par les anciens Symplegades, et aujourd'hui les Pavonares, sont deux écueils très-dangereux, voisins du Bosphore de Thrace, l'un en Europe et l'autre en Asie.

7 Jason.

Et, ternissant le souvenir
Des reines qui l'ont précédée,
Devient une éternelle idée
De celles qui sont à venir.

Aussitôt que le coup tragique
Dont nous fumes presque abattus
Eut fait la fortune publique
L'exercice de ses vertus,
En quelle nouveauté d'orage
Ne fut éprouvé son courage!
Et quelles malices de slots,
Par des murmures effroyables,
A des vœux à peine payables
N'obligèrent les matelots!

Qui n'ouït la voix de Bellone,
Lasse d'un repos de douze ans,
Telle que d'un foudre qui tonne,
Appeler tous ses partisans,
Et déjà les rages extrêmes,
Par qui tombent les diadèmes,
Faire appréhender le retour
De ces combats dont la manie
Est l'éternelle ignominie
De Jarnac et de Moncontour?

Qui ne voit encore à cette heure
Tous les infidèles cerveaux
Dont la fortune est la meilleure
Ne chercher que troubles nouveaux,
Et ressembler à ces fontaines
Dont les conduites souterraines
Passent par un plomb si gåté,
Que, toujours ayant quelque tare 2,
Au même temps qu'on les répare
L'eau s'enfuit d'un autre côté?

La paix ne voit rien qui menace
De faire renaître nos pleurs;
Tout s'accorde à notre bonace :
Les hivers nous donnent des fleurs ;
Et si les pâles Euménides 3
Pour réveiller nos parricides
Toutes trois ne sortent d'enfer,

1 Expression normande. On dit conduits, et à la cour, et à Paris, et dans les autres provinces. (MĖN.)

2 Ménage regardait ce mot comme indigne de la majesté de l'ode.

3 Les Furies ont été appelées Euménides, non par antiphrase, comme l'ont pensé quelques grammairiens, mais parce que Minerve les adoucit en faveur d'Oreste, après qu'il eut été absous, dans l'Aréopage, du meurtre qu'il avait commis en la personne de sa mère. (MÉN. )

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1 Les Italiens disent indifféremment Filli, Fille, Fillide et Fillida. Nobis non licet esse tam disertis. Nous ne disons que Phylis. (MÉN.) - Les six derniers vers de cette strophe sont admirables, et respirent.toute la grâce et toute la douceur de Virgile. M. le duc du Maine les appelait un beau paysage. 2 Cette hyperbole est excessive, et le mot rues manque de noblesse. (MÉN.)

3 De conquærere, conquistare, conquærire, composés et synonymes de quærere, nous avons fait les mots conquerre, conquéter et conquérir : le dernier seul nous est resté.

Bras de mer entre l'Hellespont et le Pont-Euxin. C'est aujourd'hui la mer Blanche, ou mer de Marmara.

Les infortunes de nos pères
Que tient l'Égypte ensevelis',
Aller si près du bout du monde,
Que le soleil sorte de l'onde
Sur la terre des fleurs de lis?

Certes, ces miracles visibles,
Excédant le penser 2 humain,
Ne sont point ouvrages possibles
A moins 3 qu'une immortelle main;
Et la raison ne se peut dire
De nous voir en notre navire
A si bon port acheminés :

Ou, sans fard et sans flatterie,
C'est Pallas que cette Marie
Par qui nous sommes gouvernés.

Mais, qu'elle soit nymphe ou déesse,
De sang immortel ou mortel,
Il faut que le monde confesse
Qu'il ne vit jamais rien de tel;
Et quiconque fera l'histoire

De ce grand chef-d'œuvre de gloire,
L'incrédule postérité
Rejettera son témoignage,

S'il ne la dépeint belle et sage,
Au deçà de la vérité.

Grand Henri, grand foudre de guerre,
Que, cependant que parmi nous
Ta valeur étonnait la terre,

Les destins firent son époux;

Roi dont la mémoire est sans blâme,
Que dis-tu de cette belle âme
Quand tu la vois si dignement
Adoucir toutes nos absinthes 4
Et se tirer des labyrinthes
Où la met ton éloignement?

Que dis-tu, lorsque tu remarques
Après ses pas ton héritier,
De la sagesse des monarques
Monter le pénible sentier,

Et, pour étendre sa couronne,

Croître comme un faon de lionne?

Allusion aux croisades.

2 Hellénisme. Les Grecs construisaient de même leurs infinitifs avec l'article, pour en faire des substantifs. Nous disons encore aujourd'hui : le boire, le manger, etc. Cependant nous ne dirions pas le penser.

3 A moins que est conforme à la grammaire; mais à moins de, plus doux à l'oreille, a prévalu.

4 il y a peu d'exemples d'absinthe au féminin, et Malherbe lui-même l'a fait ailleurs masculin; mais il y a encore moins d'exemples d'absinthes au pluriel. Cependant les Latins ont dit absinthia. (MÉN.)

MALBERBE

Que s'il peut un jour égaler
Sa force avecque sa furie,
Les Nomades n'ont bergerie
Qu'il ne suffise à désoler.

Qui doute que, si de ses armes
Ilion avait eu l'appui,

Le jeune Atride 2 avecque larmes
Ne s'en fût retourné chez lui;

Et qu'aux beaux champs de la Phrygie,
De tant de batailles rougie,

Ne fussent encore honorés
Ces ouvrages des mains célestes
Que jusques à leurs derniers restes
La flamme grecque a dévorés?

IX.

POUR LE ROI3

ALLANT CHATIER LA RÉBELLION DES ROCHELLOIS,
ET CHASSER LES ANGLAIS QUI EN LEUR FAVEUR
ÉTAIENT DESCENDUS EN L'île de rhé,
1627.

Donc un nouveau labeur à tes armes s'apprête :
Prens ta foudre, Louis, et va comme un lion
Donner le dernier coup à la dernière tête
De la rébellion.

Fais choir en sacrifice au démon de la France
Les fronts trop élevés de ces âmes d'enfer;
Et n'épargne contre eux, pour notre délivrance,
Ni le feu ni le fer.

Assez de leurs complots l'infidèle malice
A nourri le désordre et la sédition :
Quitte le nom de Juste, ou fais voir ta justice
En leur punition.

Le centième décembre 4 a les plaines ternies, Et le centième avril les a peintes de fleurs,

Peuples ainsi appelés de vopn, qui signifie pâturages, parce que ces peuples campaient dans leurs pâturages avec leurs troupeaux. C'est de là qu'est venu le mot numide. (MÉN.)

2 Ménélas. Ovide, au XII livre de ses Métamorphoses, et au III de l'Art d'Aimer, l'a de même désigné par minor Atrides. 3 Louis XIII.

Les poëtes se servent volontiers de ce mois pour marquer les années; mais je ferais difficulté de dire, ou plutôt je ne dirais point du tout, le vingtième ou le trentième décembre, pour dire la vingtième ou la trentième année, à cause de l'équivoque du vingtième et du trentième jour du mois de décembre. (MÉN.)

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1 Ménage fait remarquer que la grammaire voulait cuxmêmes, au pluriel, et que Malherbe pouvait dire : méme les immortels en sont persécutés; mais qu'il a sans doute trouvé ce vers peu satisfaisant pour l'oreille. Impetratum est a consuetudine ut peccare suavitatis causa liceret.

2 Pour être correct aujourd'hui, il faudrait dire: font le plus d'impiétés,

3 Lyncée était un des Argonautes. Il avait la vue si bonne qu'elle pénétrait les choses les plus solides, comme les arbres, les murs et la terre. (MÉN)

Que, pourvu qu'il soit cru, nous n'avons maladie Qu'il ne sache guérir.

Le ciel, qui doit le bien selon qu'on le mérite,

Si de ce grand oracle il ne t'eût assisté,
Par un autre présent n'eût jamais été quitte
Envers ta piété.

Va, ne diffère plus tes bonnes destinées,
Mon Apollon t'assure et t'engage sa foi
Qu'employant ce Tiphys, Syrtes 2 et Cyanées 3
Seront havres pour toi.

Certes, ou je me trompe, ou déjà la Victoire,
Qui son plus grand honneur de tes palmes attend,
Est aux bords de Charente en son habit de gloire,
Pour te rendre content.

Je la vois qui t'appelle, et qui semble te dire :
Roi, le plus grand des rois, et qui m'es le plus cher,
Si tu veux que je t'aide à sauver ton empire,
Il est temps de marcher.

Que sa façon est brave et sa mine assurée!
Qu'elle a fait richement son armure étoffer!
Et qu'il se connaît 4 bien, à la voir si parée,
Que tu vas triompher!

Telle, en ce grand assaut où des fils de la Terre
La rage ambitieuse à leur honte parut,
Elle sauva le ciel, et rua 5 le tonnerre
Dont Briare mourut.

Déjà de tous côtés s'avançaient les approches :
Ici courait Mimas, là Typhon se battait,
Et là suait Eurythe à détacher les roches 6
Qu'Encelade jetait.

A peine cette Vierge eut l'affaire embrassée,
Qu'aussitôt Jupiter en son trône remis
Vit selon son désir la tempête cessée,

Et n'eut plus d'ennemis.

Ces colosses d'orgueil furent tous mis en poudre, Et tous couverts des monts qu'ils avaient arrachés

Pilote du navire des Argonautes.

s;

2 Les Syrtes sont deux golfes de la Méditerranée, sur les côtes de Barbarie, où les vaisseaux sont entrainés par la rapidité des courants.

3 Nous avons déjà remarqué ce mot dans la huitième strophe de l'ode VIII.

Cette locution répond au si conosce des Italiens.

5 La signification de ce mot qui vient du latin ruere est moins étendue aujourd'hui qu'elle n'était du temps de Malherbe : lança le tonnerre serait l'expression propre.

6 Dans ce vers, on sent le travail du géant qui détache la roche; dans le suivant, on la voit partir. (LA HARPE.)

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