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கு

POÉSIES.

LIVRE PREMIER.

ODES'.

I.

AU ROI2.

SUR LA PRISE DE MARSEILLE 3.

1596.

Enfin, après tant d'années,

Voici l'heureuse saison

Où nos misères bornées
Vont avoir leur guérison.

Les dieux, longs à se résoudre,
On fait un coup de leur foudre,
Qui montre aux ambitieux
Que les fureurs de la terre

Ne sont que paille et que verre
A la colère des cieux 4.

Peuples, à qui la tempête
A fait faire tant de vœux,
Quelles fleurs à cette fête
Couronneront vos cheveux?

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Quelle victime assez grande
Donnerez-vous pour offrande?
Et quel Indique séjour
Une perle fera naître
D'assez de lustre pour être
La marque d'un si beau jour ?

Cet effroyable colosse,
Cazaux, l'appui des mutins,
A mis le pied dans la fosse
Que lui cavaient les destins.
Il est bas, le parridice :
Un Alcide, fils d'Alcide,
A qui la France a prêté
Son invincible génie,
A coupé sa tyrannie
D'un glaive de liberté2.

Les aventures du monde
Vont d'un ordre mutuel,
Comme on voit au bord de l'onde
Un reflux perpétuel.
L'aise et l'ennui de la vie
Ont leur course entre-suivie
Aussi naturellement

Que le chaud et la froidure;
Et rien, afin que tout dure,
Ne dure éternellement.

Cinq ans Marseille, volée
A son juste possesseur,
Avait langui désolée

Aux mains de cet oppresseur.
Enfin le temps l'a remise
En sa première franchise;
Et les maux qu'elle endurait
Ont eu ce bien pour échange,

' Charles Cazaux, ou Cazaut, consul de Marseille, s'étant rendu maitre absolu dans cette ville, avec Louis d'Aix, avait appelé les Espagnols à son secours, pour s'y maintenir contre les forces du roi, commandées par le duc de Guise.

? Allusion à Pierre de Libertat, qui, aidé de son frère Barthélemy, tua Cazaux. Bayon, leur trisaïeul, avait acquis ce surnom de Libertat pour avoir délivré Calvi de deux tyrans qui la voulaient livrer aux Espagnols. V oyez l'oraison funèbre de Pierre de Libertat, par du Vair.

Qu'elle a vu parmi la fange Fouler ce qu'elle adorait.

Déjà tout le peuple more
A ce miracle entendu ;
A l'un et l'autre Bosphore'
Le bruit en est répandu :
Toutes les plaines le savent

Que l'Inde et l'Euphrate lavent;

Et déjà, pâle d'effroi,

Memphis se pense captive,
Voyant si près de la rive

Un neveu de Godefroi 3.

II.

AU ROI.

SUR LE MÊme sujet.

1596.

Soit que, de tes lauriers la grandeur poursuivant,
D'un cœur où l'ire juste et la gloire commande,
Tu passes comme un foudre en la terre flamnande,
D'Espagnols abattus la campagne pavant;

Soit qu'en sa dernière tête
L'hydre civile t'arrête;
Roi, que je verrai jouir

De l'empire de la terre,

Laisse le soin de la guerre,
Et pense à te réjouir.

Nombre tous les succès où ta fatale main,
Sous l'appui du bon droit aux batailles conduite,
De tes peuples mutins la malice a détruite
Par un heur 4 éloigné de tout penser humain.
Jamais tu n'as vu journée
De si douce destinée;
Non celle où tu rencontras
Sur la Dordogne en désordre
L'orgueil à qui tu fis mordre
La poussière de Coutras 5.

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Cette strophe s'est trouvée incomplète dans les papiers de Malherbe.

2 Charles Doria, Génois, qui commandait les galères d'Espagne que Cazaux devait introduire dans le port de Marseille. • (MÉN.)

3 A la réserve de deux ou trois mots qui ont vieilli, il n'y a rien dans cette ode qui ne soit encore aujourd'hui à la mode, et dans toute la justesse de nos règles. Tous les autres vers de ce temps-là sont plutôt gothiques que français. (MÉN.)—C'est le premier ouvrage où Malherbe se montre véritablement poëte. Il y brille par la richesse de l'invention, par l'abondance des pensées et des images, et par la hardiesse des figures. La versification en est noble, grande et soutenue; l'élocution brillante, élevée et quelquefois sublime. (ST-MARC.) — C'est de cette ode, présentée à Sa Majesté à Aix, l'an 1600, que date l'estime que le cardinal du Perron conçut pour Malherbe, et qu'il conserva pour lui jusqu'à la fin de sa vie.

4 Marie de Médicis venait partager le lit et la couronne de Henri IV.

La reine arriva en France dans une saison où il n'y avait point de fleurs sur la terre, car elle y arriva au commencement du mois de novembre. Mais il est permis aux poëtes de changer ces sortes de circonstances, pourvu qu'en les changeant ils soient d'accord avec eux-mêmes, et qu'ils ne se contredisent point. Ainsi notre poëte, dans cette même ode, fail tuer d'une épée Achille, qui fut tué d'une flèche. (MÉN.)

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'La poésie, qui se plaît aux hyperboles, aime les pluriels. Horace a dit de même : Paces, obliviones, etc. (MÉN.)

2 Soit en vers, soit en prose, Malherbe a toujours fait ce mot féminin. (MÉN.)

3 C'est-à-dire à tirer l'horoscope de la France, qui n'aura point de fin. -" Malherbe, dit Balzac, a eu le premier cette fantaisie des fleurs de lis, à laquelle je ne pus jamais être complaisant. Il me demanda mon suffrage, que je lui refusai dans la liberté de notre conversation; et, bien que je l'appelasse mon père, il fut impossible au fils de laisser au père ni le royaume des fleurs de lis, ni l'empire du croissant. Tout petit garçon que j'étais, je lui résistai en face, et m'opposai à l'autorité que sa vieillesse et son mérite lui avaient acquise. Je le priai de se souvenir du mot d'un de nos anciens, qu'il ne faut pas que la prose enjambe sur la poésie. Je lui remontrai que chaque genre se doit contenter du sien, et que de démarquer les bornes qui séparent les frontières, c'est commencer le désordre et la confusion. » — On ne dit plus aujourd'hui ni en vers ni en prose, le royaume des fleurs de lis; mais on a conservé l'empire du croissant.

4 Pléonasme. Les Latins ont dit de même : Parler avec la bouche, écouter avec les oreilles : Ore locuta est, vocem his auribus hausi; et les Grecs : ὀφθαλμοῖσιν ἰδεῖν, ἠδ ̓ οὔασιν οὖσαν ἀκοῦσαι. (ΜέΝ.)

5 Il parait, par ces vers, que Malherbe a cru que Céphale était amoureux de l'Aurore; en quoi il s'est trompé. C'était au contraire l'Aurore qui était amoureuse de Céphale, et Cé

MALHERBE.

Le sceptre que porte są race,
Où l'heur aux mérites est joint,
Lui met le respect en la face;
Mais il ne l'enorgueillit point.
Nulle vanité ne la touche;

Les grâces parlent par sa bouche;
Et son front, témoin assuré
Qu'au vice elle est inaccessible,
Ne peut que d'un cœur insensible
Être vu sans être adoré.

Quantes fois lorsque sur les ondes
Ce nouveau miracle flottait,
Neptune en ses caves profondes
Plaignit-il le feu qu'il sentait!
Et quantes fois en sa pensée
De vives atteintes blessée
Sans l'honneur de la royauté
Qui lui fit celer son martyre,
Eût-il voulu de son empire
Faire échange à cette beauté!

Dix jours, ne pouvant se distraire
Du plaisir de la regarder,
Il a, par un effort contraire,
Essayé de la retarder.

Mais, à la fin, soit que l'audace
Au meilleur avis ait fait place,
Soit qu'un autre démon plus fort
Aux vents ait imposé silence,
Elle est hors de sa violence,
Et la voici dans notre port.

La voici, peuples, qui nous montre
Tout ce que la gloire a de prix;
Les fleurs naissent à sa rencontre
Dans les cœurs et dans les esprits :
Et la présence des merveilles
Qu'en oyaient dire nos oreilles
Accuse la témérité

De ceux qui nous l'avaient décrite,
D'avoir figuré son mérite
Moindre que n'est la vérité.

O toute parfaite princesse, L'étonnement de l'univers,

phale était fidèle à Procris, comme il le témoigne lui-même au livre septième des Métamorphoses. (MÉN.)

1 Nos anciens poètes se servaient volontiers de ce mot; it est aujourd'hui tout à fait hors d'usage; mais comme le mot combien de fois est trop languissant pour être mis en vers, il serait à souhaiter que quelque grand poëte le remit en usage par son autorité. (MÉN.)

2 Ce temps du verbe ouïr n'est plus usité.

Astre par qui vont avoir cesse 1
Nos ténèbres et nos hivers,
Exemple sans autres exemples,
Future image de nos temples!
Quoi que notre faible pouvoir
En votre accueil ose entreprendre,
Peut-il espérer de vous rendre
Ce que nous vous allons devoir?

Ce sera vous qui de nos villes
Ferez la beauté refleurir,
Vous, qui de nos haines civiles
Ferez la racine mourir ;
Et par vous la paix assurée
N'aura pas la courte durée
Qu'espèrent infidèlement,
Non lassés de notre souffrance,
Ces Français qui n'ont de la France
Que la langue et l'habillement.

Par vous un dauphin nous va naître,
Que vous-même verrez un jour
De la terre entière le maître,
Ou par armes, ou par amour;
Et ne tarderont ses conquêtes,
Dans les oracles déjà prêtes,
Qu'autant que le premier coton2,
Qui de jeunesse est le message,
Tardera d'être en son visage
Et de faire ombre à son menton.

Oh! combien lors aura de veuves
La gent 3 qui porte le turban!
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban!
Que le Bosphore en ses deux rives
Aura de sultanes captives!
Et que de mères à Memphis 4,

'Façon de parler de ce temps-là. On dit encore quelquefois dans le discours familier, il n'a point de cesse; mais on ne dit plus du tout ii n'a point cesse. Pour sans cesse, il est toujours du bel usage. (MÉN.)

2 Expression poétique du temps. Ronsard avait dit :

A peine sur son menton,

Un coton

De soie se laisse épandre.
Liv. I, hymne IX.

Les poëtes usaient fréquemment, autrefois, du mot gent. Aujourd'hui on ne s'en sert plus guère au singulier (il est toujours en usage au pluriel), si ce n'est en vers burlesques, comme a fait M. Scarron, qui a dit, en parlant des pages, la gent à grègue retroussée. Je crois qu'on a cessé de dire la gent, à cause de l'équivoque de l'agent. (MÉN.)

Malherbe affectait ces rimes neuves, je veux dire ces rimes de mots extraordinaires, comme turban, Liban, Memphis, Escurial, Malée, Pléiades, Atride, Chiron, Pise, Eridan, Ilion, Tyr, Palestine, Phrygie, Égée, et autres semblables. Et

En pleurant, diront la vaillance De son courage et de sa lance1, Aux funérailles de leurs fils!

Cependant notre grand Alcide,
Amolli par vos doux appas,
Perdra la fureur qui, sans bride,
L'emporte à chercher le trépas :
Et cette valeur indomptée,
De qui l'honneur est l'Eurysthée,
Puisque rien n'a su l'obliger

A ne nous donner plus d'alarmes,
Au moins, pour épargner vos larmes,
Aura peur de nous affliger.

Si l'espoir qu'aux bouches des hommes
Nos beaux faits seront récités
Est l'aiguillon par qui nous sommes
Dans les hasards précipités;
Lui, de qui la gloire semée
Par les voix de la renommée
En tant de parts s'est fait ouïr,
Que tout le siècle en est un livre,
N'est-il pas indigne de vivre,
S'il ne vit pour se réjouir?

Qu'il lui suffise que l'Espagne,
Réduite par tant de combats
A ne l'oser voir en campagne,
A mis l'ire et les armes bas :
Qu'il ne provoque point l'envie
Du mauvais sort contre sa vie;
Et puisque, selon son dessein,

en effet, elles plaisent par leur nouveauté. Je remarquerai ici au sujet de turban, de Liban et de Memphis, que Théophile se moque assez plaisamment en quelque endroit de ses poésies, de certains poëtes de son temps qui croyaient avoir bien imité Malherbe, quand ils l'avaient imité par ces rimes. (MÉN.)

On ne dit point la vaillance d'un courage, et on ne dit guère la vaillance d'une lance, quoique le peuple dise vaillant comme son épée et vaillant comme l'épée. M. Patru qui est un des hommes de France qui sait le mieux le français, a corrigé de la sorte cet endroit de Malherbe :

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2 Eurysthée était un roi de Mycènes, qui, voulant faire périr Hercule, pour complaire à Junon, l'engagea dans plusieurs actions périlleuses. (MÉN.)

Cette comparaison peut être regardée comme une des plus nobles et des plus heureuses hardiesses qui soient en notre langue; cependant elle manque de justesse en un point: Eurysthée, servant la haine de Junon, n'exposait Hercule aux plus grands dangers qu'à dessein de l'y faire périr. L'honneur n'exposait la valeur d'Henri IV à tous les dangers de la guerre, que pour augmenter la gloire et la puissance de ce monarque. (ST-MARC.)

Célèbre avocat, plein de science et de probité.

Il a rendu nos troubles calmes, S'il veut davantage de palmes, Qu'il les acquière en votre sein '.

C'est là qu'il faut qu'à son génie
Seul arbitre de ses plaisirs,
Quoi qu'il demande, il ne dénie
Rien qu'imaginent ses désirs :
C'est là qu'il faut que les années
Lui coulent comme des journées,
Et qu'il ait de quoi se vanter
Que la douceur qui tout excède
N'est point ce que sert Ganymède
A la table de Jupiter.

Mais d'aller plus à ces batailles
Où tonnent les foudres d'enfer,
Et lutter contre des murailles
D'où pleuvent la flamme et le fer;
Puisqu'il sait qu'en ses destinées
Les nôtres seront terminées,
Et qu'après lui notre discord
N'aura plus qui dompte sa rage,
N'est-ce pas nous rendre au naufrage,
Après nous avoir mis à bord 3?

Cet Achille de qui la pique
Faisait aux braves d'Ilion
La terreur que fait en Afrique
Aux troupeaux l'assaut d'un lion,
Bien que sa mère eût à ses armes
Ajouté la force des charmes 4,
Quand les destins l'eurent permis,
N'eut-il pas sa trame coupée
De la moins redoutable épée
Qui fût parmi ses ennemis 5?

'J'aurais dit :

Qu'il les cueille dans votre sein. (MÉN.)

2 Vanter, Jupiter. Notre poëte emploie encore ailleurs ces rimes vicieuses que nous appelons normandes, parce que les Normands, qui prononcent er ouvert comme er fermé, les ont introduites en poésie. (MÉN.)

3 Après nous avoir mis au port, eût été plus poétique. (MÉN.)

• Malherbe veut dire que Thétis, outre les armes belles et fortes qu'elle donna à son fils Achille, faites par Vulcain, le plongea dans l'eau du Styx; ce qui le rendit invulnérable par tout le corps, excepté au talon par où elle le tenait en l'y plongeant. Mais il ne le dit pas nettement; car son expression tend plutôt à faire croire que Thétis charma les armes qu'elle donna à Achille. (MÉN.)

s Dictys de Crète, et Ptolémée, fils d'Éphestion, racontent qu'Hélénus blessa Achille à la main. Darès de Phrygie soufient qu'Hector, Memnon et Troilus le blessèrent à la cuisse. Ainsi, ce que disent les poètes que le corps d'Achille était invulnérable, excepté au talon, n'est qu'une fable. Mais les

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