கு POÉSIES. LIVRE PREMIER. ODES'. I. AU ROI2. SUR LA PRISE DE MARSEILLE 3. 1596. Enfin, après tant d'années, Voici l'heureuse saison Où nos misères bornées Les dieux, longs à se résoudre, Ne sont que paille et que verre Peuples, à qui la tempête Quelle victime assez grande Cet effroyable colosse, Les aventures du monde Que le chaud et la froidure; Cinq ans Marseille, volée Aux mains de cet oppresseur. ' Charles Cazaux, ou Cazaut, consul de Marseille, s'étant rendu maitre absolu dans cette ville, avec Louis d'Aix, avait appelé les Espagnols à son secours, pour s'y maintenir contre les forces du roi, commandées par le duc de Guise. ? Allusion à Pierre de Libertat, qui, aidé de son frère Barthélemy, tua Cazaux. Bayon, leur trisaïeul, avait acquis ce surnom de Libertat pour avoir délivré Calvi de deux tyrans qui la voulaient livrer aux Espagnols. V oyez l'oraison funèbre de Pierre de Libertat, par du Vair. Qu'elle a vu parmi la fange Fouler ce qu'elle adorait. Déjà tout le peuple more Que l'Inde et l'Euphrate lavent; Et déjà, pâle d'effroi, Memphis se pense captive, Un neveu de Godefroi 3. II. AU ROI. SUR LE MÊme sujet. 1596. Soit que, de tes lauriers la grandeur poursuivant, Soit qu'en sa dernière tête De l'empire de la terre, Laisse le soin de la guerre, Nombre tous les succès où ta fatale main, Cette strophe s'est trouvée incomplète dans les papiers de Malherbe. 2 Charles Doria, Génois, qui commandait les galères d'Espagne que Cazaux devait introduire dans le port de Marseille. • (MÉN.) 3 A la réserve de deux ou trois mots qui ont vieilli, il n'y a rien dans cette ode qui ne soit encore aujourd'hui à la mode, et dans toute la justesse de nos règles. Tous les autres vers de ce temps-là sont plutôt gothiques que français. (MÉN.)—C'est le premier ouvrage où Malherbe se montre véritablement poëte. Il y brille par la richesse de l'invention, par l'abondance des pensées et des images, et par la hardiesse des figures. La versification en est noble, grande et soutenue; l'élocution brillante, élevée et quelquefois sublime. (ST-MARC.) — C'est de cette ode, présentée à Sa Majesté à Aix, l'an 1600, que date l'estime que le cardinal du Perron conçut pour Malherbe, et qu'il conserva pour lui jusqu'à la fin de sa vie. 4 Marie de Médicis venait partager le lit et la couronne de Henri IV. La reine arriva en France dans une saison où il n'y avait point de fleurs sur la terre, car elle y arriva au commencement du mois de novembre. Mais il est permis aux poëtes de changer ces sortes de circonstances, pourvu qu'en les changeant ils soient d'accord avec eux-mêmes, et qu'ils ne se contredisent point. Ainsi notre poëte, dans cette même ode, fail tuer d'une épée Achille, qui fut tué d'une flèche. (MÉN.) 'La poésie, qui se plaît aux hyperboles, aime les pluriels. Horace a dit de même : Paces, obliviones, etc. (MÉN.) 2 Soit en vers, soit en prose, Malherbe a toujours fait ce mot féminin. (MÉN.) 3 C'est-à-dire à tirer l'horoscope de la France, qui n'aura point de fin. -" Malherbe, dit Balzac, a eu le premier cette fantaisie des fleurs de lis, à laquelle je ne pus jamais être complaisant. Il me demanda mon suffrage, que je lui refusai dans la liberté de notre conversation; et, bien que je l'appelasse mon père, il fut impossible au fils de laisser au père ni le royaume des fleurs de lis, ni l'empire du croissant. Tout petit garçon que j'étais, je lui résistai en face, et m'opposai à l'autorité que sa vieillesse et son mérite lui avaient acquise. Je le priai de se souvenir du mot d'un de nos anciens, qu'il ne faut pas que la prose enjambe sur la poésie. Je lui remontrai que chaque genre se doit contenter du sien, et que de démarquer les bornes qui séparent les frontières, c'est commencer le désordre et la confusion. » — On ne dit plus aujourd'hui ni en vers ni en prose, le royaume des fleurs de lis; mais on a conservé l'empire du croissant. 4 Pléonasme. Les Latins ont dit de même : Parler avec la bouche, écouter avec les oreilles : Ore locuta est, vocem his auribus hausi; et les Grecs : ὀφθαλμοῖσιν ἰδεῖν, ἠδ ̓ οὔασιν οὖσαν ἀκοῦσαι. (ΜέΝ.) 5 Il parait, par ces vers, que Malherbe a cru que Céphale était amoureux de l'Aurore; en quoi il s'est trompé. C'était au contraire l'Aurore qui était amoureuse de Céphale, et Cé MALHERBE. Le sceptre que porte są race, Les grâces parlent par sa bouche; Quantes fois lorsque sur les ondes Dix jours, ne pouvant se distraire Mais, à la fin, soit que l'audace La voici, peuples, qui nous montre De ceux qui nous l'avaient décrite, O toute parfaite princesse, L'étonnement de l'univers, phale était fidèle à Procris, comme il le témoigne lui-même au livre septième des Métamorphoses. (MÉN.) 1 Nos anciens poètes se servaient volontiers de ce mot; it est aujourd'hui tout à fait hors d'usage; mais comme le mot combien de fois est trop languissant pour être mis en vers, il serait à souhaiter que quelque grand poëte le remit en usage par son autorité. (MÉN.) 2 Ce temps du verbe ouïr n'est plus usité. Astre par qui vont avoir cesse 1 Ce sera vous qui de nos villes Par vous un dauphin nous va naître, Oh! combien lors aura de veuves 'Façon de parler de ce temps-là. On dit encore quelquefois dans le discours familier, il n'a point de cesse; mais on ne dit plus du tout ii n'a point cesse. Pour sans cesse, il est toujours du bel usage. (MÉN.) 2 Expression poétique du temps. Ronsard avait dit : A peine sur son menton, Un coton De soie se laisse épandre. Les poëtes usaient fréquemment, autrefois, du mot gent. Aujourd'hui on ne s'en sert plus guère au singulier (il est toujours en usage au pluriel), si ce n'est en vers burlesques, comme a fait M. Scarron, qui a dit, en parlant des pages, la gent à grègue retroussée. Je crois qu'on a cessé de dire la gent, à cause de l'équivoque de l'agent. (MÉN.) Malherbe affectait ces rimes neuves, je veux dire ces rimes de mots extraordinaires, comme turban, Liban, Memphis, Escurial, Malée, Pléiades, Atride, Chiron, Pise, Eridan, Ilion, Tyr, Palestine, Phrygie, Égée, et autres semblables. Et En pleurant, diront la vaillance De son courage et de sa lance1, Aux funérailles de leurs fils! Cependant notre grand Alcide, A ne nous donner plus d'alarmes, Si l'espoir qu'aux bouches des hommes Qu'il lui suffise que l'Espagne, en effet, elles plaisent par leur nouveauté. Je remarquerai ici au sujet de turban, de Liban et de Memphis, que Théophile se moque assez plaisamment en quelque endroit de ses poésies, de certains poëtes de son temps qui croyaient avoir bien imité Malherbe, quand ils l'avaient imité par ces rimes. (MÉN.) On ne dit point la vaillance d'un courage, et on ne dit guère la vaillance d'une lance, quoique le peuple dise vaillant comme son épée et vaillant comme l'épée. M. Patru qui est un des hommes de France qui sait le mieux le français, a corrigé de la sorte cet endroit de Malherbe : 2 Eurysthée était un roi de Mycènes, qui, voulant faire périr Hercule, pour complaire à Junon, l'engagea dans plusieurs actions périlleuses. (MÉN.) Cette comparaison peut être regardée comme une des plus nobles et des plus heureuses hardiesses qui soient en notre langue; cependant elle manque de justesse en un point: Eurysthée, servant la haine de Junon, n'exposait Hercule aux plus grands dangers qu'à dessein de l'y faire périr. L'honneur n'exposait la valeur d'Henri IV à tous les dangers de la guerre, que pour augmenter la gloire et la puissance de ce monarque. (ST-MARC.) Célèbre avocat, plein de science et de probité. Il a rendu nos troubles calmes, S'il veut davantage de palmes, Qu'il les acquière en votre sein '. C'est là qu'il faut qu'à son génie Mais d'aller plus à ces batailles Cet Achille de qui la pique 'J'aurais dit : Qu'il les cueille dans votre sein. (MÉN.) 2 Vanter, Jupiter. Notre poëte emploie encore ailleurs ces rimes vicieuses que nous appelons normandes, parce que les Normands, qui prononcent er ouvert comme er fermé, les ont introduites en poésie. (MÉN.) 3 Après nous avoir mis au port, eût été plus poétique. (MÉN.) • Malherbe veut dire que Thétis, outre les armes belles et fortes qu'elle donna à son fils Achille, faites par Vulcain, le plongea dans l'eau du Styx; ce qui le rendit invulnérable par tout le corps, excepté au talon par où elle le tenait en l'y plongeant. Mais il ne le dit pas nettement; car son expression tend plutôt à faire croire que Thétis charma les armes qu'elle donna à Achille. (MÉN.) s Dictys de Crète, et Ptolémée, fils d'Éphestion, racontent qu'Hélénus blessa Achille à la main. Darès de Phrygie soufient qu'Hector, Memnon et Troilus le blessèrent à la cuisse. Ainsi, ce que disent les poètes que le corps d'Achille était invulnérable, excepté au talon, n'est qu'une fable. Mais les |