laquelle, ébahie, s'écria si à cette heure les chèvres faisaient de petits garçons? et Lamon lui conta tout, comme il l'avait trouvé gisant et la chèvre le nourrissant, et comment il avait eu honte de le laisser périr. Elle fut bien d'avis que vraiment il ne l'avait pas dû faire; et tous deux d'accord de l'élever, ils serrèrent ce qui s'était trouvé quant et lui, disant partout qu'il est à eux, et afin que le nom même sentît mieux son pasteur, l'appelèrent Daphnis. A quelques deux ans de là, un berger des environs, qui avait nom Dryas, vit une toute pareille chose et trouva semblable aventure. Un antre était en ce canton, qu'on appelait l'antre des Nymphes, grande et grosse roche creuse par le dedans, toute ronde par le dehors, et dedans y avait les figures des Nymphes, taillées de pierre, les pieds sans chaussure, les bras nus jusques aux épaules, les cheveux épars autour du cou, ceintes sur les reins, toutes ayant le visage riant et la contenance telle comme si elles eussent ballé ensemble. Du milieu de la roche et du plus creux de l'antre sourdait une fontaine, dont l'eau, qui s'épandait en forme de bassin, nourrissait là au devant une herbe fraîche et touffue, et s'écoulait à travers le beau pré verdoyant. On voyait attachées au roc force seilles à traire le lait, force flûtes et chalumeaux, offrandes des anciens pasteurs. En cette caverne une brebis, qui naguères avait agnelé, allait si souvent, que le berger la crut perdue plus d'une fois. La voulant châtier, afin qu'elle demeurât au troupeau, comme devant, à paître avec les autres, il coupe un scion de franc osier, dont il fit un collet en manière de lacs courant, et s'en venait pour l'attraper au creux du rocher. Mais quand il y fut, il trouva autre chose il voit la brebis donner son pis à un enfant, avec amour et douceur telles que mère autrement n'eût su faire; et l'enfant, de sa petite bouche belle et nette, pour ce que la brebis lui léchait le visage après qu'était saoul de téter, prenait sans un seul cri puis l'un puis l'autre bout du pis, de grand appétit. Cet enfant était une fille, et avec elle aussi, pour marques à la pouvoir un jour connaître, on avait laissé une coiffe de réseau d'or, des patins dorés et des chaussettes brodées d'or. Dryas estimant cette rencontre venir expressément des Dieux, et instruit à la pitié par l'exemple de sa brebis, enlève l'enfant dans ses bras, met les joyaux dans son bissac, non sans faire prière aux Nymphes qu'à bon heu pût-il élever leur pauvre petite suppliante; puis, quand vint l'heure de remener son troupeau au tect, retournant au lieu de sa demeurance champêtre, conte à sa femme ce qu'il avait vu, lui montre ce qu'il avait trouvé, disant qu'elle ne ferait que bien si elle voulait de là en avant tenir cet enfant pour sa fille, et comme sienne la nourrir, sans rien dire de telle aventure. Napé, c'était le nom de la bergère, Napé, de ce moment, fut mère à la petite créature et tant l'aima qu'elle paraissait proprement jalouse de surpasser en cela sa brebis, qui toujours l'allaitait de son pis: et pour mieux faire croire qu'elle fût sienne, lui donna aussi un nom pastoral, la nommant Chloé. Ces deux enfans en peu de temps devinrent grands, et d'une beauté qui semblait autre que rustique. Et sur le point que l'un fut parvenu à l'âge de quinze ans, et l'autre de deux moins, Lamon et Dryas en une même nuit songèrent tous deux un tel songe. Il leur fut avis que les Nymphes, celles-là même de l'antre où était cette fontaine, et où Dryas avait trouvé la petite fille, livraient Daphnis et Chloé aux mains d'un jeune garçonnet fort vif et beau à merveille, qui avait des ailes aux épaules, portait un petit arc et de petites flèches, et les ayant touchés tous deux d'une même flèche, commandait à l'un paître de là en avant les chèvres, et à l'autre les brebis. Telle vision aux bons pasteurs présageant le sort à venir de leurs nourrissons, bien leur fâchait qu'ils fussent aussi destinés à garder les bêtes. Car jusque-là ils avaient cru que les marques trouvées quant et eux leur promettaient meilleure fortune, et aussi les avaient élevés plus dé licatement qu'on ne fait les enfans des bergers, leur faisant apprendre les lettres, et tout le bien et honneur qui se pouvait en un lieu champêtre; se résolurent toutefois d'obéir aux Dieux touchant l'état de ceux qui, par leur providence, avaient été sauvés, et, après avoir communiqué leurs songes ensemble, et sacrifié en la caverne à ce jeune garçonnet qui avait des ailes aux épaules (car ils n'en eussent su dire le nom), les envoyèrent aux champs, leur enseignant toutes choses que bergers doivent savoir; comment il faut faire paître les bêtes avant midi et comment après que le chaud est passé; à quelle heure convient les mener boire, à quelle heure les ramener au tect; à quoi il est besoin user de la houlette, à quoi de la voix seulement. Eux prirent cette charge avec autant de joie comme si c'eût été quelque grande seigneurie, et aimaient leurs chèvres et brebis trop plus affectueusement que n'est la coutume des bergers; pour ça qu'elle se sentait tenue de la vie à une brebis, et lui de sa part se souvenait qu'une chèvre l'avait nourri. Or était-il lors environ le commencement du printemps, que toutes fleurs sont en vigueur, celles des bois, celles des prés, et celles des montagnes. Aussi jà commençait à s'ouïr par les champs bourdonnement d'abeilles, gazouillement d'oiseaux, bêlement d'agneaux nouveaunés. Les troupeaux bondissaient sur les collines, les mouches à miel murmuraient par les prairies, les oiseaux faisaient résonner les buissons de leur chant. Toutes choses adonc faisant bien leur devoir de s'égayer à la saison nouvelle, eux aussi, tendres, jeunes d'âge, se mirent à imiter ce qu'ils entendaient et voyaient. Car entendant chanter les oiseaux, ils chantaient; voyant bondir les agneaux, ils sautaient à l'envi; et, comme les abeilles, allaient cueillant des fleurs, dont ils jetaient les unes dans leur sein, et des autres arrangeaient des chapelets pour les Nymphes; et toujours se tenaient ensemble, toute besogne faisaient en commun, paissant leurs troupeaux l'un près de l'autre. Souventefois Daphnis allait faire revenir les brebis de Chloé, qui s'étaient un peu loin écartées du troupeau; souvent Chloé retenait les chèvres trop hardies voulant monter au plus haut des rochers droits et coupés; quelquefois l'un tout seul gardait les deux troupeaux, pendant le temps que l'autre vacquait à quelque jeu. Leurs jeux étaient jeux de bergers et d'enfans. Elle, s'en allant dès le matin cueillir quelque part du menu jonc, en faisait une cage à cigale, et cependant ne se souciait aucunement de son troupeau; lui, d'autre côté, ayant coupé des roseaux, en pertuisait les jointures, puis les collait ensemble avec de la cire molle, et s'apprenait à en jouer bien souvent jusques à la nuit. Quelquefois ils partageaient ensemble leur lait |