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dans son irrésistible

comme homme, intéresse presque passion, comme victime de cette robe qui n'empêche point le cœur de battre, mais qui lui prescrit le mensonge s'il est faible, qui le pousse au meurtre si la peur de voir révéler son secret l'a saisi.

Le Livret de Paul-Louis, la Gazette du village, ces croquis délicieux, ces comiques boutades d'un ennemi du gouvernement, plus artiste et homme d'esprit que factieux; enfin la Pièce diplomatique, supposition bien hardie, sans doute, de ce qui pouvait se passer en 1823 au fond d'une ame royale quelque peu double et assez mal dévote, précédèrent de très-peu de temps le Pamphlet des Pamphlets, qui fut le chant du cygne comme on l'a bien et tristement dit quelque part 1. « Cet ouvrage, ⚫ a dit Courier dans la notice anonyme, est, à propre« ment parler, la justification de tous les autres. L'auteur, « qui toujours a su resserrer en quelques pages les véri« tés qu'il a voulu dire, s'attache à démontrer que le • pamphlet est, de sa nature, la plus excellente sorte de « livre, la seule vraiment populaire par sa brièveté même. Les gros ouvrages peuvent être bons pour les désou« vrés des salons; le pamphlet s'adresse aux gens labor « rieux de qui les mains n'ont pas le loisir de feuilleter « une centaine de pages. Cette thèse heureuse à la fois et « ingénieuse est soutenue en une façon qu'on appelle«rait volontiers dramatique. L'opinion d'un libraire pa

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N'est-il pas étonnant que sous la restauration, sous le ministère Poliguac lui-même, on ait pu avouer si hardiment les écrits long-temps anonymes de Courier, et réimprimer comme œuvres d'art les attaques les plus cruelles que jamais gouvernement ait essuyées. Qu'en pense l'opposition dynastique de 1834 ? (Note des éditeurs.),

arisien est mise en face de celle d'un baronnet anglais; « l'un prétend flétrir, l'autre glorifier l'auteur du titre de pamphlétaire; et des débats sortent une foule de ces « bonnes vérités qui vont à leur adresse.» Voilà bien l'esquisse décolorée, ou si l'on veut, tout simplement la donnée du Pamphlet des Pamphlets. Mais ici le bio. graphe anonyme laisse trop à dire sur ce magnifique discours dont la lecture doit rendre à jamais déplorable la fin prématurée de Courier. Tout ce qu'il avait produit jusque-là, parfait à beaucoup d'égards, n'était point sans déplaire à quelques lecteurs par le retour fréquent des mêmes formes, par le suranné d'expressions qui montrent la recherche et n'ajoutent pas toujours au sens, par le maniéré de cette naïveté villageoise, un peu trop ingénieuse, qui va se transformant à travers les combinaisons de raisonnement les plus déliées, du paysan au savant et du soldat au philosophe. En un mot, l'art du monde le plus raffiné semblait embarrassé de lui-même. Ce pamphlétaire, qui ne se gênait d'aucune vérité périlleuse à dire, hésitait sur un mot, sur une virgule, se montrait timide à toute façon de parler qui n'était pas de la langue de ses auteurs. Le Pamphlet des Pamphlets montra le talent de Courier arrivé à ce période de puissance où l'écrivain n'imite plus personne et prétend servir d'exemple à son tour. On peut voir dans sà correspondance avec madame Courier la confiance lui venant avec ses succès. D'abord il s'étonne, il s'effraie presque de sa célébrité si rapide, il la comprend à peine. N'ayant eu jusque-là de l'esprit que pour lui et pour quelques amis, il semble ne pouvoir se reconnaître dans l'écrivain qui fait la curiosité des salons et que les

feuilles publiques appellent le Rabelais de la politique, le Montaigne du siècle, l'émule heureux de Pascal, l'imitateur heureux de tout ce qu'il y a jamais eu d'inimitable. Mais, assez vite, Paul-Louis se rassure; il s'habitue à sa réputation; il éprouve la sympathie universelle du public français pour un talent qu'il n'avait connu, lui, que par le laborieux et pénible côté de la composition. A mesure qu'il produit, on peut remarquer son allure plus dégagée, plus libre, sa manière se séparant de plus en plus de celle des écrivains auxquels on a pu d'abord le comparer, jusqu'à ce qu'enfin elle soit tout-à-fait l'expression de l'originalité de son esprit et de la trempe un peu sauvage de son caractère. Cet assouplissement graduel est assez marqué depuis la lettre à Monsieur Renouard jusqu'au Simple discours; mais, depuis le Simple discours jusqu'au Pamphlet des Pamphlets il l'est bien davantage. C'est là seulement que la lente formation de ce talent de premier ordre, qui tout à l'heure va disparaître, est accomplie. La maturité peut-être un peu factice des premiers écrits de Courier a fait place à une maturité réelle, dans laquelle la vigueur est alliée à la grace et l'originalité la plus âpre au naturel le plus parfait. On voit que ce lumineux et mordant génie a rencontré enfin la langue qui convient à ses amères impressions sur les hommes et les choses de son temps, et qu'il va marcher armé de toutes pièces. Dans le Pamphlet des Pamphlets ce n'est plus un villageois discourant savamment sur les intérêts publics, c'est Paul-Louis se livrant avec une sorte d'enthousiasme au besoin de dire sa vocation de pamphlétaire et de la venger des mépris d'une portion de la société. Il s'est mis en cause commune avec Socrate, Peseal, Cicé

ron, Franklin, Démosthènes, Saint Paul, Saint Basile; il s'est environné de ces grands hommes, comme d'une glorieuse milice d'apôtres de la liberté de penser, de publier, d'imprimer; il les montre pamphlétaires comme lui, faisant, chacun de son temps, contre une tyrannnie ou contre l'autre, ce qu'il a fait du sien, lançant de petits écrits, attirant, prêchant, enseignant le peuple, malgré les plaisanteries de la cour, le blâme des honnêtes gens, la fureur des hypocrites et les réquisitoires du parquet; les uns allant en prison comme lui, les autres forcés d'avaler la ciguë ou mourant sous le fer de quelque ignoble soldat. Voilà le Pamphlet des Pamphlets, morceau d'un entraînement irrésistible et dont le style, d'un bout à l'autre en harmonie avec le mouvement de l'inspiration la plus capricieuse et la plus hardie, est peutêtre ce que l'on peut citer dans notre langue de plus achevé comme goût et de plus merveilleux comme art.

On ne s'est point arrêté aux derniers travaux de Courier comme helléniste. Le plus important, sa traduction d'Hérodote, n'a point été achevé. Ce n'est guère ici le lieu de discuter le système dans lequel cette traduction a été commencée. Courier s'en est expliqué dans une préface qui n'a point mis tout le monde de son avis, mais qui a peut-être donné l'idée la plus complète des richesses littéraires silencieusement acquises par lui pendant ses campagnes, ses voyages, ses séjours à Naples, à Rome, à Paris, et sa dernière retraite en Touraine. Ce n'est pas trop de dire qu'il avait encore toute une réputation à se faire comme critique.

Voilà l'écrivain que la France a perdu dans toute la vigueur de son talent, et la tête plus que jamais pleinc

de projets. L'Europe sait que Paul-Louis Courier a été, le 10 avril 1825, atteint d'un coup de fusil à quelques pas de sa maison et qu'il est mort sur la place.

On verra qu'une année avant sa tragique fin Courier se faisait dire dans son Livret : Paul-Louis, les cagols le tueront. Le procès auquel a donné lieu cette déplorable mort n'a point accusé les cagots; aujourd'hui même encore on n'accuse personne. Quelques amis de Courier savent seulement que, devenu dans ses dernières années d'une humeur assez difficile, il n'était pas sans ennemis dans son voisinage. Mais ce dont il est impossible de n'être pas vivement frappé, c'est le vague pressentiment de malheur qui règne dans la dernière partie du Pamphlet des Pamphlets. Quelques lignes semblent être un confus adieu de Courier à la vie, à ses études favorites, à sa carrière déjà si glorieuse, un involontaire retour sur lui-même, et comme un touchant désaveu de ses préventions contre son temps. « Détournez de moi ce calice, dit-il; la ciguë est amère, et le monde se convertit assez « sans que je m'en mêle, chétif; je serai la mouche du « coche, qui se passera bien de mon bourdonnement; « il va, mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa marche « nous paraît lente, c'est que nous vivons un instant; • mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles! ‹ à cette heure, en plaine roulant, rien ne le peut plus arrêter. »

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C'est parmi ces espérances d'un temps meilleur pour la France et pour l'humanité, que l'ardent ennemi des oppresseurs de grande et de petite taille, héros ou cagots, semblait pressentir à la fois et la fin et l'inutilité prochaine de son rôle de pamphlétaire. Il y a six ans de cela, et certes

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