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je meurs, pour cela je suis perdue. Ainsi à peine repondait-elle, avec plus de sanglots que de mots, aux questions de ce bon curé qui, enfin pourtant, parvenu à lui faire nommer l'abbé Mingrat, dès le soir même alla chez lui et lui parla. L'autre se fâche au premier mot, s'emporte et crie contre le siècle, accusant Voltaire et Rousseau, et la philosophie et la corruption de la révolution. Le bon homme eut beau dire et faire, il n'en put tirer autre chose. Au bout de quelques jours, la fille disparut, sans que jamais parens ni amis en pussent avoir de nouvelles. On en demanda de tous côtés et long-temps, inutilement; on finit par n'y plus penser. Voilà la première partie de l'histoire du curé Mingrat.

La seconde est connue par les papiers publics, où vous avez pu voir comment, à cause des bruits qui couraient, on le transféra de Saint-Opre à la cure de Saint-Quentin. C'est la discipline. Quand un prêtre a donné quelque part du scandale, on l'envoie ailleurs. Dans les cas graves seulement, il est suspendu à sacris, privé pour un temps de dire messe, et si la justice s'en mêle, le clergé proteste aussitôt ; car on ne peut juger les oints. Le curé de Pezai en Poitou, l'abbé Gelée, ex-capucin, ayant commis là une grosse et visible faute contre son vœu de chasteté, la justice se tut malgré toutes les plaintes; on le transféra où il est et ne semble pas corrigé, comme

ne le fut point l'abbé Mingrat qui, dans sa nouvelle paroisse, redoublant de sévérité, fit la guerre plus que jamais à la danse et aux manches de chemise. Certaine dévote, bientôt, femme d'un tourneur, jeune et belle, le prit pour confesseur, et le voyait chez elle souvent, sans qu'on en causât néanmoins; car elle passait pour très sage. Un soir qu'elle était venue sur le tard à confesse, il la retint long-temps, puis l'envoie voir sa tante, qui demeurait chez lui, mais qu'il savait, absente, ne devoir point revenir ce jourlà; et partant par un autre chemin, arrive avant cette femme, entre, quand elle vint, la fit entrer. Ce qui se passa là-dedans, on l'ignore. Il l'emporta morte dans une grotte près du village, où, avec un couteau de poche, l'ayant dépecée par morceaux, un à un, il les alla jeter dans la rivière; c'est l'Isère. Ces lambeaux quelque temps après furent trouvés flottans sur l'eau, et réunis et reconnus, comme le couteau plein de sang oublié par lui dans la grotte. Alors on se souvint de la fille de Saint-Opre.

Vous savez aussi comme il s'est soustrait aux poursuites, qui n'eussent pas eu lieu sans le maire. Par le maire seul tous les faits furent constatés, publiés malgré les dévots et le clergé, qui ne vou laient pas qu'on en parlât. Telle est leur maxime de tout temps. S'il arrive, dit Fénelon, que le prêtre fasse une faute, on doit modestement

baisser les yeux et se taire. Mais le bruit d'un acte si atroce s'étant promptement répandu, on essaya d'en jeter le soupçon sur quelque autre. Même un grand-vicaire à Grenoble, l'abbé Bochard, prêcha un sermon tout exprès sur les jugemens téméraires, disant : « Mes frères, prenez garde; tel peut vous paraître coupable, qui, par son devoir, est tenu, lui en dût-il coûter et l'honneur et la vie, de celer le crime d'autrui; et la malice d'autre part est si grande en ce siècle-ci, que, pour se laver, on ne feint point de calomnier et de noircir les plus gens de bien. » C'était le mari de cette femme qu'on indiquait par là comme son vrai meurtrier, et le curé comme un martyr du secret de la confession. Cette pieuse invention, soutenue de toute la cabale dévote, aurait peut-être réussi et donné le change au public, sans le maire de Saint-Quentin, qui n'étant dévot ni dévoué, mais honnête homme seulement, par une information qu'il fit, força la justice d'agir. Le curé ne fut pas arrêté, parce que le Seigneur a dit: Gardez de toucher à mes oints. Condamné comme contumace, il s'est retiré en Savoie, où maintenant il passe pour un saint et fait des miracles. On vient à lui de la vallée, de la montagne, en pélerinage; on accourt, les femmes surtout, le voir, lui demander sa bénédiction. Cette main les bénit; il leur tend cette main qu'elles baisent, femmes et filles, sans

penser, sans frémir, sachant ce qu'il a fait; car d'un lieu si voisin, personne ne l'ignore. Mais on lui pardonne beaucoup, parce qu'il a beaucoup aimé; ou peut-être il se repent, et dès lors il vaut mieux que quatre-vingt-dix-neuf justes. Qu'il en confesse encore quelqu'une jeune, jolie, et qu'elle lui résiste, il en fera comme des autres, sans perdre pour cela le paradis. Saint Bon avait tué père et mère. Saint Mingrat ne tue que ses maitresses, et ensuite fait pénitence.

Vous l'appelez hypocrite; moi je le crois dévot sincère et de bonne foi. La dévotion s'allie à tout. Lorsqu'on fait en Italie assassiner son ennemi, cela coûte vingt ou dix ducats, selon qu'on veut le damner ou qu'on ne le veut pas. Pour ne le point damner, on lui dit avant de le tuer: Recommande ton ame à Dieu; pardonne-moi, et fais un acte de contrition. Il dit son in manus, pardonne, et on l'égorge; il va en paradis. Mais voulant le damner, on s'y prend autrement. Il faut tâcher de le trouver en péché mortel; et, pour le plus sûr, on lui dit, le poignard levé : Renie Dieu, ou je te tue. Il renie, on le tue, va en enfer. Ces choses se font tous les jours, là où personne ne voudrait, pour rien au monde, avoir goûté d'un potage gras le vendredi. Voilà la dévotion vraie, naïve, non feinte, non suspecte d'hypocrisie. La morale, dit-on, est fondée làdessus.

et il

L

Ces gens sont dévots sans nul doute, et Mingrat l'est aussi, amoureux de plus, c'est-à-dire, sujet à l'amour, qui, chez les hommes de sa robe, se tourne souvent en fureur. Un grand médecin l'a remarqué cette maladie, sorte de rage qu'il appelle érotomanie, semble particulière aux prêtres. Les exemples qu'on en a vus, assez nombreux, sont tous de prêtres catholiques, tels que celui qui massacra, comme raconte Henri Etienne, tous les habitans d'une maison, hors la personne qu'il aimait; et l'autre dont parle Buffon. Celuilà, parce qu'on sut à temps le lier et le traiter, guérit; sans quoi il eût commis de semblables violences. Il a lui-même écrit au long, dans une lettre qui depuis est devenue publique, l'histoire de sa frénésie, dont il explique les causes aisées à concevoir. Dévot et amoureux, jeune, confessant les filles, il voulut être chaste.

Quelle vie en effet, quelle condition que celle de nos prêtres! on leur défend l'amour, et le mariage surtout; on leur livre les femmes. Ils n'en peuvent avoir une, et vivent avec toutes familierement; c'est peu; mais dans la confidence, l'intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées. L'innocente fillette, sous l'aile de sa mère, entend le prêtre d'abord, qui bientôt l'appelant, l'entretient seul à seule, qui, le premier, avant qu'elle puisse faillir, lui nomme le péché. Instruite, il la marie; mariée, la confesse

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