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ainsi sur le fait tous ceux qui dans les biographies et dans les journaux se sont chargés de parler d'euxmêmes, et l'ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l'histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d'amourpropre tel n'est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n'y a point changé sa manière si connue; il n'a probablement ni espéré ni désiré qu'on s'y trompât; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse modestie, il a dit de chacun de ses écrits, bonnement, franchement, avec la plus naïve conviction, ce qu'il en pensait. Ce trait peint bien moins les mœurs littéraires de l'époque qu'il ne peint Courier lui-même. Le curieux n'est point en effet à ce qu'il se soit loué de sa propre plume comme tant d'autres; mais au peu de façon et de déguisement avec lequel il s'est rendu ce petit témoignage d'une bonne conscience.

Après tout, qu'on ne s'y trompe pas, ces éloges sont littérairement parlant l'exacte mesure de l'homme, telle qu'on serait charmé de l'avoir de Corneille, de La Fontaine, de Montesquieu, de Molière, si ces grands écrivains avaient été capables de parler d'eux-mêmes avec cette liberté ou plutôt cette ingénuité de bonne opinion. N'est-ce point, par exemple, une bonne fortune de trouver sur les Lettres au Censeur, qui parurent en 1820, l'opinion de l'écrivain même qui nous ravit, et nous vengea par ces hardis opuscules? « La petite collection des « Lettres au Censeur, dit Courier, commença à popu« lariser le nom de l'auteur. Jusque-là les éloquentes et « courageuses dénonciations dont il avait poursuivi les

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■ magistrats iniques qui faisaient peser leur despotisme « sur la population timide et muette des campagnes, n'avaient guère retenti au-delà du département d'Indre«et-Loire. Il était l'écrivain patriote de sa commune, ■ de son canton; il n'était pas encore l'homme popu

laire de toute la France. Les Lettres au Censeur, assez « répandues, révélèrent au public ce talent et ce cou« rage nouveau d'un sincère ami du pays, dont l'esprit « élevé au-dessus de tous les préjugés voit partout la vérité, la dit sans aucune crainte, et la dit de manière « à la rendre accessible à tous, vulgaire, et, si l'on veut « même, triviale et villageoise. Ajoutez à cela que, par « un prodige tout-à-fait inoui, cet écrivain, qui semble « ne chercher que le bon sens, s'exprime avec une pu« reté et une élégance de langage entièrement perdues de nos jours, et qui empreint ses écrits d'un carac« tère inimitable. »

Tout le monde assurément aura reconnu ici la plume du maître, et s'il est impossible de rien ajouter à cet éloge des Lettres au Censeur, on conviendra aussi qu'il n'y a rien à en ôter. C'est de ce même ton, avec cette même absence de pruderie littéraire que la notice, dont l'anonyme est assez dévoilé, continue l'histoire et l'exa men des écrits du vigneron de la Chavonnière. Cette notice est postérieure au Pamphlet des Pamphlets, et conséquemment le dernier écrit de Courier, comme s'il eût dû terminer sa carrière par ce rapide et glorieux coup d'œil jeté sur elle avec un sentiment si juste de sa valeur d'écrivain. Il est bien impossible de ne pas s'aider de cette curieuse pièce quand on l'a sous les yeux, et ce serait faire au lecteur un véritable tort,

que de ne pas laisser parler Courier toutes les fois qu'on est de son avis sur lui-même. On, accepte bien un grand capitaine ou un politique fameux pour historien de ses propres actions; on trouve même qu'il est trop peu de tels historiens; que le plus capable de faire de grandes choses est aussi le plus capable d'en bien parler. Pourquoi un grand écrivain ne serait-il pas aussi quelquefois le meilleur commentateur de ses propres ouvrages? Courier, par exemple, l'homme de son temps qui sut le mieux l'histoire de notre langue, le seul qui ait possédé le génie particulier de chacun des âges de cette langue, quel serait aujourd'hui le critique compétent à le juger sur toutes ses parties d'écrivain? Boileau, le grand critique du XVIIe siècle, n'osa point parler de La Fontaine; Voltaire en déraisonna, et, jusqu'à ces der niers temps, c'est-à-dire jusqu'à Paul Courier, le bonhomme, dont Molière seul comprit la supériorité, n'avait peut-être rencontré ni biographe, ni commentateur qui en sût assez pour parler de lui.

Entre la dernière Lettre au Censeur, et le Simple discours sur la souscription pour Chambord, il y eut un immense progrès dans la réputation de Courier; cependant le talent est le même dans ces deux opuscules. Tout l'avantage du Simple discours est dans l'à-propos, aussi heureux que hardi, de ce fer chaud appliqué sur l'épaule des courtisans dans le temps même où ils s'agitaient pour donner à un tribut imposé à la faiblesse de beaucoup de gens la couleur d'une amoureuse offrande nationale. Courier fut condamné pour cette brochure à deux mois de prison et à trois cents francs d'amende. On trouva qu'en disant tout haut: Je ne souscrirai point

pour donner Chambord au duc de Bordeaux, il avait offensé la morale. Or, le Simple discours, comme dit très-bien le biographe anonyme, est un des plus éloquens plaidoyers qu'on ait parlés jamais en faveur de la morale, non publique et telle qu'on l'inscrit dans nos lois, mais de la morale véritable, telle que les croyances populaires l'ont reconnue. » On ne s'étonnera point de voir ce mot d'éloquence appliqué à une production en apparence toute simple, toute naïve. Le vigneron de la Chavonnière semble ne parler qu'à des paysans comme lui; mais tout en s'accommodant à leur intelligence, il trouve moyen de faire entendre sur la cour, sur les courtisans, sur les mœurs de l'ancien régime naturellement rappelées par Chambord, ce lieu témoin de tant d'illustres débauches, des choses à faire frémir les intéressés.

La brochure dans laquelle Courier rend compte de son procès, est elle-même un délicieux pamphlet. Quant à l'admirable plaidoyer qui le termine, on ne pense pas que Courier ait jamais sérieusement pensé à le réciter en face de ses juges. Il avait montré trop d'émotion dans les réponses, où il se peint d'une fermeté et d'une ironie si imperturbables, pour être capable de l'assurance né cessaire au débit d'un pareil morceau. Il est probable même que cette harangue étudiée, si belle à la lecture, eût manqué son effet à l'audience; on y eût trop reconnu les effets oratoires calculés dans le cabinet. Si la parole est souveraine, c'est quand l'enfantement de la pensée est visible comme un spectacle, c'est quand un homme privilégié semble divulguer à toute une assemblée le secret de la plus haute des facultés humaines, l'inspi

ration.

La veille du jour où expirait sa détention de deux mois, Courier fut tiré de la prison de Sainte-Pélagie et conduit devant le tribunal pour un nouveau pamphlet, la Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser. Il en fut quitte cette fois pour une simple réprimande; mais, reconnaissant à ce second réquisitoire qu'il lui était désormais impossible de causer, comme il le disait, avec le gouvernement, par la voie de la presse légale, il eut recours à la presse clandestine. Son secret fut si bien gardé que ses meilleurs amis ne surent pas comment il s'y prenait pour faire imprimer et répandre ses nouvelles causeries, lesquelles se succédaient avec une rapidité plus surprenante encore pour ceux qui avaient entendu parler de la sévérité et de la nécessaire lenteur que Courier apportait dans ses compositions. Ainsi parurent de 1822 à 1824, sans être avouées de leur auteur, mais le faisant trop bien reconnaître, la première et la deuxième réponse aux anonymes; l'une des deux admirable par le récit du forfait de Maingrat, et cette poétique et vivante peinture des combats du jeune prêtre confessant la jeune fille qu'il aime; enfin par ce continuel et si facile passage de la simplicité villageoise la plus naïve, au pathétique le plus déchirant et au raisonnement le plus rigoureux, le plus élevé, le plus entraînant. Tout le dix-huitième siècle a écrit contre les couvens d'hommes et de femmes, contre les vœux de religion, contre la confession des jeunes filles par les jeunes prêtres. Si l'on en excepte la profession de foi du vicaire savoyard de Jean-Jacques, qu'a-ton produit dans ce siècle de guerre emportée qui fasse descendre dans les ames la conviction de l'abus, aussi bien que cette éloquente lettre où le prêtre, excusé et plaint

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