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Quoi donc, blâmer un témoignage d'allégresse inconvenant ou intéressé, est-ce blâmer l'allégresse elle-même? Parce qu'un nom sacré aura servi de voile à un acte imprudent et blåmable, cet acte deviendra-t-il également sacré? Pour moi, s'il faut le dire, je crois qu'il était beaucoup d'autres manières plus convenables d'honorer la naissance du duc de Bordeaux. Je ne parle point ici de ces bruits trop fâcheux qui se sont répandus sur l'origine de cette souscription et sur les moyens employés pour faire souscrire : je ne veux ni les écouter, ni les répéter. Mais ces dons d'argent, de terres, de châteaux, adressés à l'héritier d'un tròne, ces présens qu'on fait offrir au riche par le pauvre, par des communes épuisées, au neveu d'un roi de France, s'accordent mal dans mon esprit avec la délicatesse qui doit présider aux hommages rendus par des Français à leurs princes. Je ne puis d'ailleurs oublier que naguère on faisait offrir aussi, par les communes, des adresses, des chevaux, des soldats, à l'homme qui avait usurpé la liberté publique, et j'aurais désiré, je l'avoue, que l'héritier d'un pouvoir légitime fût honoré d'une autre manière que le ravisseur d'un pouvoir absolu.

Croyez-moi, messieurs, il est pour les princes des hommages plus délicats et plus purs, que l'adulation ne saurait contrefaire, et que la tyrannie ne saurait usurper. Ce sont ces pleurs d'allé

gresse qu'on verse à leur aspect, ces vœux d'un peuple accouru sur leur passage; ce sont les joies du pauvre, les actions de graces du laboureur, les bénédictions des mères de famille. Voilà les hommages que le peuple français rendait à Henri IV; voilà ceux que ses descendans vous demandent, et non ces tributs mendiés, qu'on ne refusa jamais à la puissance. Les princes français ne ressemblent point à ces despotes de l'Orient, que la prière n'ose aborder qu'un présent à la main, et, loin d'obliger la pauvreté à doter leur opulence, ils consacrent leur opulence à soulager la pauvreté.

M. Courier a donc pu, non-seulement sans être coupable, mais sans manquer aux convenances les plus sévères, voir, dans la souscription de Chambord, un acte de flatterie ou une spéculation intéressée. Il a pu blâmer cet hommage indiscret et suspect, qui compromet, sous prétexte de l'honorer, tout ce qu'il y a de plus élevé et de plus respectable; et celui-là peut-être avait quelque droit de s'élever contre la flatterie, qui, sous aucun pouvoir, ne fut aperçu parmi les flatteurs.

Si l'esprit général de l'ouvrage est irréprochable, les détails en sont-ils criminels? Examinons les passages sur lesquels le ministère public a

fondé son accusation.

Maintenant que nous avons fait connaître l'i

dée que la loi attache à l'expression de morale publique, vous aurez peine peut-être à vous empêcher de sourire en écoutant la lecture de ces passages. Le plupart ont si peu de rapport à la morale publique, qu'on se demande par quel étrange renversement des notions les plus communes, l'accusation a pu rapprocher deux idées d'une nature si différente.

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Ainsi, M. Courier veut prouver que le don de Chambord ne profitera pas au prince, mais aux courtisans. Après une sortie assez vive contre les flatteurs, il cite le trait de ce courtisan qui disait au prince, son élève, tout ce peuple est à vous; puis il ajoute : « Ce qui, dans la langue des courtisans, voulait dire : tout est pour nous. Car la « cour donne tout aux princes, comme les prêtres « donnent tout à Dieu; et ces domaines, ces apa«nages, ces listes civiles, ces budgets, ne sont guère autrement pour le roi que le revenu des abbayes n'est pour Jésus-Christ. Achetez, don« nez Chambord: c'est la cour qui le mangera; le prince n'en sera ni pis ni mieux. »

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N'est-il pas déplorable que l'on soit réduit à justifier devant les tribunaux un pareil langage! Quoi! désormais on ne pourra plus dire, sans se faire une affaire avec la justice, que les courtisans font souvent servir l'auguste nom du prince, les prêtres le nom sacré de Dieu, à leur intérêt personnel! Quoi! cette vérité de morale, devenue

triviale à force d'applications, va devenir un délit digne de la prison! Mais vous outragez les prétres! Mais il ne s'agit point d'outrages aux prétres vous m'accusez d'outrages à la morale publique; prouvez que j'ai outragé la morale publique. Mais outrager une généralité, c'est outrager la morale publique. Vraiment? A ce compte je plains nos auteurs comiques. Désormais il ne leur sera plus permis de dire, sous peine d'amende, que les médecins tuent leurs malades, que les cabaretiers sont fripons, que les femmes sont indiscrètes, et (puisqu'enfin il faut s'exécuter) que les avocats sont bavards. Au surplus, qu'a dit l'auteur à l'égard du clergé, que le respectable abbé Fleury, que Massillon, que tant d'autres écrivains non moins graves, n'aient dit avant lui, et n'aient dit quelquefois d'une manière beaucoup plus sévère? Mais c'est calomnier le malheur. Le malheur? Vous oubliez que le clergé figure pour vingt-cinq millions au budget de l'État. Ce sont sans doute des fonds très bien employés; nous ne le contestons pas : mais, lorsque cet exemple existe, ne venez donc pas nous parler de malheur, même pour en tirer un effet d'éloquence. Laissons là les lieux communs oratoires, et revenons toujours à l'unique question du procès: ai-je outragé la morale publique? ai-je fait l'apologie du vice? ai-je attaqué les bases de nos devoirs?

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Je viens au second passage: « Ah! dit M. Cou<«<rier, si, au lieu de Chambord pour le duc de Bordeaux, on nous parlait de payer sa pension « au collège (et plût à Dieu qu'il fût en âge que « je l'y pusse voir de mes yeux); s'il était ques«tion de cela, de bon cœur j'y consentirais, et << voterais ce qu'on voudrait, dût-il m'en coûter << ma meilleure coupe de sainfoin... Mais à Cham« bord, qu'apprendra-t-il? Ce que peuvent ensei"gner et Chambord et la cour. Là, tout est plein « de ses aïeux. Pour cela précisément, je ne l'y «trouve pas bien et j'aimerais mieux qu'il vécut « avec nous qu'avec ses ancêtres. »

Il faut assurément être doué d'une admirable sagacité pour découvrir dans ces paroles un outrage à la morale publique. Pour moi, je l'avoue, j'aurais cru, dans ma simplicité, qu'ici l'auteur, loin d'offenser la morale, parlait en bon et sage moraliste. Oh! s'il était venu nous vanter les mœurs des cours, nous les offrir en exemple, nous inviter à les imiter, je conçois qu'alors on pourrait l'accuser d'avoir outragé la morale; mais il a fait précisément le contraire. Ces mœurs dissolues, scandaleuses, il les a censurées ; il a voulu arracher un jeune prince à leur contagion; et c'est lui, c'est le défenseur des mœurs, que vous accusez d'avoir offensé les mœurs! et c'est au censeur des cours que vous venez reprocher l'immoralité de ses doctrines!

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