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XXXVII. Le Meunier, son Fils et l'Ane A M. D. M.

L'INVENTI

'INVENTION des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce;
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes :
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé:
Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.
Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux
dire,

Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins,
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs
soins)
Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses dégrés avez déjà passé,
Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé;
A quoi me résoudrai-je ? Il est temps que j'y pense.
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma nais-

sance :

Dois-je dans la province établir mon séjour ? Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la

cour? Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes. La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes. Si je suivais mon goût, je saurais où buter; Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter. Malherbe là-dessus contenter tout le monde ! Écoutez ce récit avant que je réponde.

:

(1) S'éreinte.

(2) Boîteux.

XXXVII. Lou Moûniéz, soun Fils é l'Ané.

É

UN jàuné drôlé dé quïnz'an

soun paï lou moûniéz qué n'ovio cïn vẻ tan,
S'én onovan véndré lour âné.
Dé pàu qué lour bêtio s'éïkânẻ 1
A forço d'ovèi marcha

É qu'au chio tou-t-èirancha 2
En oriban àu marcha;

Is l'y méttén loû péz én liasso
É, sèi coumporosou, îs lou portén tou-viü
Coumo qui pourtorio no chasso

Un jour dé grando proucessiü
Dis l'annado dé l'osténsiü.

Pàûbréis Champolimàüs! di lou prémiéz qué passo,

Lou pû âné dé vàûtréîs trèis

1

N'éï pas dé-ségur quéü qu'un pénso,

Lou diâblé vou sèché loû dèis!

Lou mouniéz counéguèt léy-doun soun ignorénço
É s'éntiguèt lou déyplozéï

Dé pourta no salo bourico
Coumo qui porto no rélico.
Tan-qué-tan vèi-qui l'ân'a-bâ.

Au s'en plénguèt dîs soun parlâ ;
Qu'éïro, sé digio-t-éü tou-bâ,
Pû brâvé dé sé fas pourtâ
Qué dé troutâ.

Mâs lou moûniéz n'én ténguèt pas dé counté,
Máymàu vàu qué soun drôlé mounte.
Pèr sẻ doreï, trimavo dé soun pèt,

Quéü viéï crégio bién fas d'énguêr-àu sé troumpèt.

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L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits Mais garçon de quinze ans si j'ai bonne mémoire, Allaient vendre leur âne un certain jour de foire. Afin qu'il fut plus frais et de meilleur débit, On lui lia les pieds, on vous le suspendit: Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.

Pauvres gens! idiots! couple ignorant et rustre !
Le premier qui les vit de rire s'éclata :

Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense.
Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance:
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L'àne, qui goûtâit fort l'autre façon d'aller,
Se plaint en son patois. Le meûnier n'en a cure ;
Il fait monter son fils, il suit: et, d'aventure,
Passent trois bons marchans. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il pût;
Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise,
Jeune homme qui menez laquais à barbe grise!
C'était à vous de suivre, au vieillard de monter.
Messieurs, dit le meûnier, il vous faut contenter.
L'enfant met pied à terre et puis le vieillard monte.
Quand trois filles passant; l'une dit : C'est grand-

honte

Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage. Il n'est, dit le meûnier, plus de veaux à mon âge; Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,

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(3) Presque.
(4) Auprès.
(5) Le vieillard.
(6) Sur-le-champ.

(7) Etendu.

(8) Le veau.
(9) Courantines.

Trèis marchans qué pèr-ovanturo
Possovan bellomén 3 àu pèt, 4
Vézés-vou quello grando luro
Sé cârâ subré quéü sàumèt,
Péndén qué lou viéï 5 vàï d'a-pèt!
N'ei co pas, disén-t-îs, lo pû cruell-ïnjuro
Qu'un pèché faïr-à lo noturo?
Queü béü moussur ò bésouén dé mounturo!
Mai mo-fé noû tén boilloran
Én-d-un locaï à barbo grîso!
Saut-à terro tan-qué-tan. 6'
Lou pai qu'o pàu de càüco crîso,
Lour dit, messieus vou fâchéz pas,
Nou vou volén bé counténtas.
Vèi-qui doun lou paï dé mountas
Au n'oguèt pas fa trénto pas,
Quîs s'en van rancountrâ trèis fillas.
Vizas chiàuplâ quèü viéï motou
Qué crébo quéü jénté garçou,
Qu'o déijâ bésouén dé béquillas;
Pendén qué quéu viéï sopojou
Sé câro tou-soù èi scrupulo
Coumo lou Pâpo sur so mulo,
Eivénta 7 subré soun ponéü
Vizas coum-àu fàï lou védéü! 8
Maï d'énguer-àu créü esséy sagé?
N'io pû dé védéü à moun agé
Sé dissèt lou viéï tou trébla,
Vau dizé tou-pur é tou-pla,

Grandas bringas! 9 dounâ-vou gardo
Sénté déijâ qué lo moutardo......

L'homme crat avoir tort, et mit son fils en croupe:
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L'un dit: Ces gens sont fous.
Le baudet n'en peut plus: il mourra sous leurs coups.
He quoi! charger ainsi cette pauvre bourique!
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique!
Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.
Parbleu ! dit le meûnier, est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Essayons toutefois si par quelque manière
Nous en viendront à bout. Ils descendent tous deux:
L'âne en prélassant marche seul devant eux.
Un quidam les rencontre, et dit : Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode?
Qui de l'àne ou du maître est fait pour se lasser ?
Je conseille à ses gens de le faire enchâsser.
Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne!
Nicolas, au rebours; car, quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête; et la chanson le dit.
Beau trio de baudets! le meunier repartit:
Je suis âne, 'il est vrai, j'en conviens, je l'avoue;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu'on dise quelque chose, ou qu'on ne dise rien ;
J'en veux faire à ma tête. II le fit, et fit bien.
Quant à vous, suivez Mars ou l'amour, ou le prince,
Allez, venez, courez; demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement :
Les gens en parleront, n'en doutez nullement.

(10) Abasourdirent.
(11) Peut-être.
(12) A redire.

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