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mon peu de bagues et d'équipages. De retour, nous entrons dans la salle où, me prenant par la main, Hipparque me fit mettre à table près de lui. La chère fut assez honnête, le vin bon. Quand on eut mangé, on se mit à boire, et nous passâmes ainsi la soirée, devisant, causant, pots sur table, jusqu'à ce qu'il fût heure de dormir. Le lendemain matin, Hipparque me demande où j'avais dessein d'aller, si je ne ferais point quelque séjour en leur ville? Je vais, dis-je, à Larisse, et compte partir d'ici dans quatre ou cinq jours. Mais c'était feinte que cela; j'y voulais trop bien demeurer, m'étant mis en tête de trouver quelque magicienne qui me pût faire voir de ces prodiges, comme un homme volant, ou bien changé en pierre. L'esprit plein de cette pensée, j'allais par la ville sans savoir trop comment m'y prendre; mais j'allais, quand je me vois venir au-devant une femme jeune encore, et riche, comme il paraissait à son train et toute sa personne; beaux habits, joyaux, riches atours, grande suite de gens et de valets. Plus proche, comme je la regardais, la voilà qui me salue par mon nom; moi de le lui rendre, au mieux que je sus; et elle me dit Je suis Abroa, si tu ne connais l'amie de ta mère, qui tous vous aime ses enfans, comme ceux mêmes que j'ai mis au monde. Que ne vienstu, mon fils, de ce pas chez moi demeurer? Grand merci, lui dis-je, c'est trop de grace. Un ami,

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Ainsi fantasiant, j'arrive à la maison, où ne se trouvait de fortune, les maîtres étant sortis, que Palestre seule occupée à préparer le souper. D'entrée, je l'aborde et lui dis : Oh, que doucement tu remues, gentille Palestre, tes fesses ensemble et ta poële! Que telle cuisine est friande, et heureux qui peut tremper un doigt en ta sauce. Elle (car c'était la plus frisque et gente petite femelle!) me repart de bonne grace: Fuis, jeune homme, si tu es sage, et si tu veux vivre; ma poële est ardente et mon brouet bouillant; que si tu y touches tant seulement, jamais ne guériras de la brûlure. Et n'est physicien tant expert, qui te sût alléger ce mal, fors moi seule, ce qui est de plus admirable, moi cause de ta douleur. Mais alors, me criant merci, tu seras tout le jour après moi. Plus je te ferai souffrir, moins tu me voudras quitter; non, tu ne t'en iras pas, quand je te jetterais des pierres, ayant éprouvé que c'est de la douceur de mon baume. Tu nourriras ta blessure; toujours requérant médecine, jamais ne voudras guérison. Qu'as-tu à rire? Sais-tu bien que je fais cuisine d'hommes? qu'autant que j'en prends, je les écorche comme beaux petits lapins, les désosse, les fricasse, n'épargnant foie, ni courée? Je te crois, lui répondis-je; car de t'avoir vue seulement, je suis déjà sur la braise. Ton feu, sans que je t'approche, m'entrant par les yeux, me cuit et brûle jus

qu'à la moëlle; pourtant si tu ne me veux laisser mourir de mon mal, baille-moi, ma mie, tout-àl'heure cette tant douce médecine; ou bien, puisque tu me tiens et m'as pris, comme tu dis, fais de moi ce que tu voudras, et m'écorche à ton plaisir.

Adonc, s'éclatant de rire, la bonne gouge me regarde, et de ce moment fut à moi; nous complotâmes ensemble qu'aussitôt ses maîtres couchés, elle me viendrait trouver, et passerait avec moi la nuit. Hipparque et sa femme de retour, on soupe après le bain; bon vin, joyeux devis, allongeaient le repas. Moi, feignant me sentir aggravé de sommeil, je me retire dans ma chambre. Là, je trouvai tout en bel ordre: le lit de mon valet dehors, près du mien une table, un gobelet, du vin, eau froide, eau chaude; Palestre avait songé à tout; davantage, mon lit partout jonché de roses, ou entières, ou effeuillées, ou en beaux chapelets arrangées. Voyant toutes choses ainsi prêtes pour le festin, j'attendais mon convive en bonne dévotion.

Elle, sitôt qu'elle eut mis dormir sa maîtresse, s'en vint devers moi sans tarder; et lors ce fut à nous de boire et de faire carousse de vin ensemble et de baisers; par où nous étant confortés et préparés au déduit, Palestre se lève et me dit Songe, jeune homme, comme je m'appelle, et te souvienne que tu as affaire à Palestre.

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Or sus, on va voir en cette joute ce que tu sais faire, et si tu es appris aux armes comme gentil compagnon. J'accepte ton défi, lui dis-je, et me dure mille ans que nous ne soyons aux prises. Déshabille-toi; fais tôt. Lors elle : C'est moi qui suis le maître d'exercice, et qui vais éprouver ton adresse et ta force en divers tours de lutte; toi, fais devoir d'obéir et d'exécuter à point ce que je commanderai. Commande, lui dis-je. Cependant elle se déshabillait, et, quand elle fut toute nue : Dépouille-toi, jouvenceau, et te frotte de cette huile. Allons, ferme, bon pied, bon œil. Accolle ton adversaire, et d'un croc en jambe le renverse. Bon, bras à bras, corps à corps, flanc contre flanc; courage, appuie et toujours tiens le dessus. Çà, sous les reins cette main, l'autre sous la cuisse; lève haut, donne la saccade, redouble, serre, sacque, choque, boute, coup sur coup; point de relâche; dès que tu sens mollir, étreins; là, là, bellement ; te voilà déjà tout mouillé.

Ainsi faisais-je, obéissant comme novice à sa parole; et quand j'eus d'elle congé de reposer sur les armes, je lui dis : Maître, tu vois de quel air je m'y prends, que je n'ai faute d'adresse ni de bonne volonté; mais, toi, qu'il ne te déplaise, tu commandes trop en hâte, et n'a pas besogne faite qui veut suivre ta leçon. Elle, du revers de sa main, me baille gentiment sur la joue : Tu fais le raisonneur, indocile écolier; tu seras châtié,

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