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que son procès est perdu. «Ma foi, dit-il, j'aurais peut-être été obligé de solliciter; mon ami m'a épargné bien du scuci. »

Quand il publia son second recueil de fables, il fut à Versailles pour le présenter au roi. Tout se passa sans encombre, et il dit fort bien son compliment; mais il avait oublié le volume.

Racine et quelques amis lui persuadèrent sans trop de peine de se réconcilier avec sa femme. Il part pour Château-Thierry dans cette louable intention, entre chez lui, et demande à un domestique où est Mlle de La Fontaine. On lui répond qu'elle est au salut. Il se retire chez un ami, y passe la nuit en festin, et repart le lendemain content de son voyage, et ne se souvenant pas qu'il avait un autre but que de se divertir.

On raconte qu'il trouva un jour dans une compagnie un jeune homme de bonne façon, et qui lui convint fort. Il se mit à en faire l'éloge. « C'est votre fils, lui dit-on. Ah! vraiment, j'en suis bien aise.» La distraction serait un peu forte, et difficile à pardonner, et c'est là une de ces anecdotes auxquelles on ne peut croire sans preuves. La Fontaine avait donné une bonne éducation à son fils, qui fut protégé par le procureur général du Harlay, depuis premier président, et devint greffier des maréchaux de France.

Il avait dans la conversation des naïvetés extraordinaires. Tout le monde connaît son enthousiasme pour le prophète Baruch, qu'il avait lu pendant un sermon. « Connaissez-vous Baruch? disait-il après, qui était-il? c'était un beau génie. » Un jour que le frère de Boileau faisait devant lui l'éloge de saint Augustin, La Fontaine lui demanda «si saint Augustin avait plus d'esprit que Rabelais? - Prenez garde, monsieur de La Fontaine, répondit Boileau, vous avez un de vos bas à l'envers. » Ce qui était vrai. Une autre fois, il discutait contre Boileau, au milieu de leurs amis, sur l'usage des aparté au théâtre, et il soutenait, non sans raison, que quand deux acteurs sont en scène, il est absurde que l'un d'eux puisse parler aux spectateurs sans être entendu de son voisın. Pendant cela, Boileau ne cessait de dire à fort intelligible voix : « La Fontaine est un sot, c'est un belître, il raisonne mal, il n'a pas le sens commun. » Et le bonhomme, dans le feu de la discussion, n'entendait pas un mot de cet aparté qui faisait rire tout le monde. Quelquefois aussi ses distractions ressemblaient à des impertinences. A un dîner où il s'ennuyait, il se lève tout d'un coup, en disant qu'il veut aller à l'Académie. On se récrie de toutes parts: « Il n'est pas l'heure! -Oh! dit-il, je prendrai le plus long.» Plusieurs de ses amis abusaient de sa naïveté; mais Molière, qui la comprenait et qui l'aimait, disait aux rieurs : « Vous avez beau faire, le bonhomme ira peut-être plus loin qu'aucun de nous. » Et Mme de La Sablière s'impatientait aussi

quelquefois contre La Fontaine : «Que vous seriez bête, lui disaitelle, si vous n'aviez pas tant d'esprit ! » Mais, au fond, il ne lui déplaisait pas d'avoir ce vieil enfant à aimer, à protéger et à admirer; et elle l'aurait aimé un peu moins, s'il avait été « moins bête.» Elle disait : « J'ai congédié tout mon monde: je n'ai gardé que mon chat, mon chien et La Fontaine. >>

Oui, c'était là le véritable attrait de La Fontaine. Son génie, tout seul, n'aurait pas suffi, ni sa naïveté non plus. Réunis, ils le rendaient adorable pour tous ceux qui savaient le comprendre. Son cœur n'avait pas de distractions, et jamais homme ne fut plus fidèle en amitié. Maucroix et Pintrel, ses amis d'enfance, lui furent chers toute sa vie. Ils s'aimèrent avec dévouement, avec tendresse, avec simplicité. La Fontaine se fit lui-même l'éditeur de ses deux amis. Les poésies de Maucroix parurent avec les siennes, sous ce titre : Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et La Fontaine. Pintrel avait traduit les Épîtres de Sénèque. La Fontaine les revit et les publia, et traduisit luimême en vers français, pour cette édition, tous les vers cités par Sénèque. Quand son premier protecteur, Fouquet, fut arrêté, et courut risque de la vie, tout le monde se tut et trembla, excepté Pellisson et La Fontaine. La Fontaine écrivit son Élégie aux nymphes de Vaux, qui est une de ses meilleures inspirations, et qui contient quelques-uns des plus beaux vers de la langue française. Jannart, le substitut et l'ami de Fouquet fut exilé à Limoges. La Fontaine voulut l'y conduire. Il visita, en passant, le château de Blois, où Fouquet avait été renfermé lorsqu'on le ramenait des prisons de Nantes dans les prisons de la Bastille. Il est impossible de ne pas être ému en lisant, dans la relation que La Fontaine a publiée de son voyage à Limoges, les pages touchantes que la vue de cette prison lui inspire. Privé de Fouquet, La Fontaine fut d'abord recueilli par la duchesse douairière d'Orléans, la seconde femme de Gaston, qui le fit son gentilhomme servant. Quand il perdit encore cette bienfaitrice, il se donna, c'est le mot, à Mme de La Sablière. Il est assez difficile d'expliquer le genre de relations qui exista entre elle et lui. Ce n'était pas seulement de l'amitié, mais aussi ce n'était pas de l'amour. Mme de La Sablière aimait le marquis de La Fare, qui faisait de si jolis petits vers, et qui la quitta pour la bassette. Quant à La Fontaine, il aimait toutes les femmes, et changeait de maîtresse suivant l'occasion : il aima la Champmeslé après Racine, et Mme Colletet après tout le monde. Quand les grandes dames lui manquaient, il se contentait de leurs suivantes. Mais, volage en amours, il était constant en amitié. Il envoyait un jour des vers à un ami: « Mais surtout, lui écrivait-il, ne les montrez à personne, car Mme de La Sablière ne les a pas encore vus. » Quand elle devint dévote après l'aban

don de La Fare, La Fontaine se trouva désheuré; il fréquenta l'hôtel de Bouillon, où le duc et la duchesse de Bouillon, et le grand Turenne, leur frère, l'accueillaient; l'hôtel du prince de Conti, de ce prince qui fut un instant roi de Pologne, et qui renonça, dit-on, à défendre ses droits au trône, pour ne pas vivre éloigné de Mme la Duchesse. Il fut encore plus assidu au Temple, chez le grand prieur de France, frère puîné du duc de Vendôme, qui devançait là, en plein règne de Louis XIV, l'impiété et le libertinage de la régence. La Fontaine était vieux alors; il avait perdu Mme de La Sablière; ses mœurs, qui avaient toujours été mauvaises, se dépravaient tous les jours. Ce fut encore une femme qui le sauva. Mme d'Hervart remplaça l'amie qu'il n'avait plus, et lui arrangea une vieillesse tranquille. On sait qu'après la mort de Mme de La Sablière, La Fontaine sortit de l'hôtel, et rencontra en chemin M. d'Hervart. « Mon ami, lui dit M. d'Hervart, vous avez perdu votre asile. J'allais vous offrir de venir chez moi. J'y allais,» répondit La Fontaine. Il était alors si affaibli, que Mme d'Hervart était obligée de faire remplacer à son insu ses vieux habits par des habits neufs. Il ne s'en apercevait point. Il était plus que jamais étranger à tout ce qui l'entourait. Il vivait par le cœur, et se retrouvait encore la plume à la main. Ninon, qui goûtait plus ses écrits que sa personne, écrivait à Saint-Évremond: «Sa tête est bien affaiblie. C'est le destin des poëtes; le Tasse et Lucrèce l'ont éprouvé. Je doute qu'il y ait du philtre amoureux pour La Fontaine; il n'a guère aimé de femmes qui en eussent pu faire la dépense. »

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La Fontaine était de l'Académie depuis la mort de Colbert. Cette élection ne se fit pas sans difficulté. La Fontaine avait publié toutes ses Fables et presque tous ses Contes, mais il avait pour concurrent Boileau, qui avait déjà donné l'Art poétique, le Lutrin, neuf de ses satires et neuf de ses épîtres. La Fontaine, qui avait une grande envie d'être nommé, et qui mit dans cette affaire une ardeur dont on ne l'aurait pas crų capable, supplia Boileau de se désister de sa candidature. Boileau consentit seulement à ne pas faire de démarches. L'élection ne se faisait pas alors tout d'un coup; il y avait un scrutin préparatoire qui au fond était le seul important, pour désigner le candidat qui serait présenté au protecteur, c'est-à-dire au roi. Quand le roi avait agréé le candidat proposé, on passait au scrutin définitif. La Fontaine, au premier scrutin, fut élu par seize voix contre sept données à Boileau; mais quand on demanda l'agrément du roi, il répondit : « Nous verrons. » C'était la formule du refus. La Fontaine fut désespéré. Il sollicita; il fit des vers en l'honneur du roi; rien n'y fit. Louis XIV pensait que l'auteur des Contes ne pouvait pas entrer à l'Académie. Un an après, en 1684, à la mort de Bezons,

Boileau fut présenté. Le roi répondit aux commissaires : « Je suis content de cette élection vous pouvez maintenant recevoir La Fontaine, il a promis d'être sage. »

Cette place d'académicien, et celle de gentilhomme servant de Mme d'Orléans, qu'il occupa jusqu'à la mort de cette princesse, sont, avec la pension de Fouquet, et quelques dons du duc de Bourgogne encore enfant, et que Fénelon poussait à cette libéralité, les seules faveurs qu'obtint jamais La Fontaine des puissants de la terre. Il était mauvais courtisan, puisqu'il resta fidèle à la disgrâce de Fouquet. D'ailleurs, il avait vu Mme de Maintenon à Saint-Mandé, lorsqu'elle n'était que la veuve de Scarron, et ce n'était pas une recommandation auprès d'elle. Il était lié avec Conti, Vendôme, la duchesse de Mazarin, Saint-Evremond, tous suspects à la cour pour des raisons fort diverses. Lui-même, avec ses habitudes, et surtout avec la tournure indépendante. de son esprit, n'était pas fait pour fréquenter Versailles. Il y aurait dé plu, et s'y serait trouvé à la gêne. Ce n'est pas qu'il faille voir en lui un ennemi de la royauté, un mécontent. Il a, comme un autre, encensé Louis XIV, quoique peut-être moins souvent que la plupart des autres. Il lui a écrit des vers (une seule fois, il est vrai), pour en obtenir une pension qu'on lui refusa. Il a eu le malheur, comme peut-être Racine, et comme certainement La Bruyère et Fontenelle de féliciter le roi de la révocation de l'édit de Nantes. Ce sont des taches, dont la dernière est fâcheuse, malgré l'excuse qu'on peut tirer de l'esprit du temps et des illusions des contemporains; les premières ne sont que des fautes vénielles. On trouve bien plus souvent dans ses écrits des traces d'indépendance que des traces de flatterie, car l'indépendance, dont il ne se faisait pas un principe, était dans son caractère, dans ses sentiments, et pour ainsi dire dans la constitution de son esprit. Il était naturellement indiscipliné; mais il ne se raisonnait pas à cet égard. C'était une de ses originalités, quelquefois très-piquantes, de penser avec son bon sens sur des matières que le reste de son siècle ne jugeait qu'avec la règle.

La Fontaine pensait sérieusement à se convertir depuis la mort de Mme de La Sablière. Racine l'y poussa tant qu'il put. Tout le monde y pensait autour de lui, à l'exception des libertins du Temple, et de Mme d'Hervart, plus galante que dévote. On eut l'idée de lui amener un jeune vicaire de Saint-Roch, nommé Pouget, fils d'un de ses amis, et qui se présenta à ce titre. La Fontaine l'accueillit sans défiance, le prit en gré, et entra avec lui dans de sérieuses controverses. Il íui dit, entre autres confidences « Je lis le Nouveau Testament, et je vous assure que c'est un fort bon livre. » Il avait pourtant une objection à la doctrine qu'il y trouvait; il ne pouvait se soumettre au dogme de

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l'éternité des peines. Pouget épuisa toute sa théologie, et La Fontaine résistait toujours. Il avait une garde-malade, qui dit à Pouget « Eh! ne le poussez donc pas si fort! il est plus bête que méchant. » Elle ne l'entendait pas comme Mme de La Sablière. Elle disait aussi : « Monsieur, Dieu n'aura pas le courage de le damner.» Mais, en attendant, Pouget avait le courage de le tourmenter pour quelques plaisanteries licencieuses. Voltaire remarque avec raison que, si la volupté est dangereuse, ce ne sont pas des plaisanteries qui inspirent cette volupté. « On pourrait, dit-il, appliquer à La Fontaine son aimable fable des Animaux malades de la peste, qui s'accusent de leurs fautes; on y pardonne tout aux lions, aux loups et aux ours; et un animal innocent est dévoué pour avoir mangé un peu d'herbe. »

La Fontaine se rendit pourtant; et même, en dépit de la rigueur de Pouget, il lui déclara qu'il ne se confesserait qu'à lui. Pouget consentit à l'entendre à deux conditions: la première, qu'il sacrifierait une pièce de théâtre qu'il venait d'achever, et qu'il n'avait encore montrée à personne. La Fontaine hésita, se consulta ailleurs; puis il céda, et jeta sa pièce au feu; on n'en connaît pas même le titre. La seconde condition de Pouget était de faire amende honorable pour ses Contes. « Mais sont-ils donc si mauvais? » disait La Fontaine. Il ne les jugeait pas irrépro. chables; mais il ne les croyait pas capables de faire venir de mauvaises pensées. Dans une maladie qu'il avait faite un an auparavant, un capucin, qu'on lui avait donné pour confesseur, lui ordonna de faire une aumône. « Mais, dit il, mon père, je n'ai rien.» Puis se ravisant : « On fait présentement, ajoutat-il, une nouvelle édition de mes Contes, dont le libraire doit me donner cent exemplaires. Prenez-les, et vendez-les au profit des pauvres. » Enfin Pouget l'emporta ; et il fit deux fois sa déclaration d'abord chez lui, en recevant le viatique, puis à l'Académie, où il se rendit pendant une courte et trompeuse convalescence. Il se mit, vers le même temps, toujours par le conseil de son jeune confesseur., à traduire les psaumes en vers français. On n'a rien conservé de ces fragments. La Fontaine écrivait à Maucroix pendant cet intervalle: «Je t'assure que le meilleur de tes amis n'a plus à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n'est pour aller à l'Académie, afin que cela m'amuse. Hier, comme j'en revenais, il me prit, au milieu de la rue du Chantre, une si grande faiblesse, que je crus véritablement mourir. O mon cher! mourir n'est rien mais songes-tu que je vais paraître devant Dieu? Tu sais comme j'ai vécu.» Maucroix lui répondit : « Si Dieu te fait la grâce de te renvoyer la santé, j'espère que tu viendras passer avec moi ies restes de ta vie, et souvent nous parlerons ensemble des miséri

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