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mens vous rendra la Meinoire de Mr. Despreaux plus chere & plus précieuse.

Mais voilà qui fuffit, Monfieur, pour vous faire con noître Mr. Despreaux du côté du cœur. Il feroit inutile de vouloir peindre ici fon efprit: fes Ouvrages en font un portrait fidelle. Je me bornerai à deux ou trois Réflexions.

Mr. Despreaux n'avoit pas cette fougue d'imagination qu'on remarque en d'autres Poëtes: il paroît au contraire un peu fec; & il lui eft arrivé quelquefois de repeter la même pensée. Mais ce qu'il perdoit du côté de l'Imagination, il le regagnoit amplement par l'ordre & la justeffe des pensées; par la pureté du ftile; par la beauté du tour; & par la netteté de l'expreffion: qualités bien plus estimables que la première, & qui ne l'accompagnent que rarement. On voit néanmoins par le Poëme du Lutrin qu'il avoit l'Imagination belle, vive & féconde. Cela paroît encore de ce qu'il compofoit presque toûjours de memoire, & ne mettoit fes productions fur le papier que lorsqu'il les vouloit donner au Public.

Il travailloit beaucoup fes Ouvrages, comme il l'infinue lui-même dans fa derniere Préface. Quelque facilité qu'il y ait dans fes Vers, on ne laiffe pas de fentir qu'ils lui ont couté beaucoup, & que ce n'eft qu'à force de les retoucher qu'il leur a donné cet air libre & naturel, qui en fait la principale beauté.

Les Pièces de Poëfie qu'il a publiées depuis l'Ode fur Namur, ne font ni fi vives, ni fi exactes, que celles qui avoient paru avant ce tems-là: & il y en a même quelques unes qu'on fouhaiteroit, qu'il n'eut point faites. Mais lors qu'on a été long-tems en poffeffion des juftes aplaudiffemens du Public, il eft bien difficile de ne pas fe perfuader, qu'on pourra toûjours lui plaire.

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flate

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flate, que quelque changement qui puiffe arriver au Corps, l'Efprit confervera toûjours fa force, & le Goût fa délicateffe. Ce fentiment eft très-naturel aux Poëtes: témoin ces Vers du fameux Malherbe:

Je fuis vaincu du Tems; je céde à fes outrages:
Mon Efprit feulement exempt de fa rigueur
A dequoi témoigner en fes derniers ouvrages
Sa première vigueur.

Les puissantes faveurs dont Parnasse m'honore,
Non loin de mon berceau commencèrent leurs cours :
Je les poffedai jeune, & les possede encore
A la fin de mes jours *.

Cependant on trouvera par tout dans fes Ouvrages un goût exquis, un fens droit, & une politesse infinie. Lorsqu'il a emprunté quelque chofe des Anciens, il s'en eft fervi en maître, & fe l'eft rendu propre par le nouveau tour qu'il y a donné. Celui-ci, dit Mr. de la Bruyere „, faifant le Caractère de Mr. Despreaux†, passe Juvénal, atteint Horace, femble créer les pensées d'autrui, & se rendre propre tout ce qu'il manie, il a dans ce qu'il ,, emprunte des autres toutes les graces de la nouveauté, & tout le merite de l'invention; fes vers forts & harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec art, pleins de traits & de Poëfie feront lûs encore quand la Langue aura vieilli, en feront les derniers debris; on y remarque une critique fûre, judicieuse, & innocente, s'il eft permis du moins de dire de ce qui eft mauvais, » qu'il eft mauvais. “

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Mais ce ne font pas feulement les François, qui ont loué Monfieur Despreaux: fon Eloge a été fait par tous les habiles gens, qui ont pû lire fes Ouvrages, de quel

que

Malherbe, POESIES, Livre châtier la Rebellion des Rochellois,

II. dans l'ODE pour le Roi allant &c.

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que Nation qu'ils fuffent. Monfieur le Baron de Spanheim, après avoir montré quelle eft l'origine de la Satire, dans la Préface de fon excellente Traduction Françoise des CESARS de l'Empereur Julien *, & fait voir, que Lucilius eft Auteur de cette espèce de Poëine, inconnu aux Grecs;,, C'eft auffi fur ce modèle, ajoute,, t-il, que furent formées enfuite comme on fait, les Satires d'Horace, de Perse & de Juvénal; fans toucher ici au Caractère particulier que chacun d'eux y apporta fuivant fon génie, ou celui de fon fiècle. Et c'eft fur ,, ces grands exemples, que les Auteurs des derniers fiècles & de notre tems, François, Italiens & autres, ont formé leurs Poëmes, qu'ils ont publiés fous ce même nom de Satires. Sur quoi on peut dire avec ,, juftice, continue-t-il, non feulement la France l'emporte fur fes Voifins, mais qu'elle le difpute avec l'ancienne Rome; & que fi la gloire de l'invention en est dûe à Lucilius, celle de l'avoir égalé ou surpassé, à » ceux qui le fuivirent; la gloire d'y avoir excellé, foit „, par la beauté & la facilité des Vers; foit par un fens droit & jufte; foit par une licence, qui a fes bornes & fes bienféances requifes; que cette gloire, dis-je, n'en », peut-être contestée au célèbre Mr. Despreaux.

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22

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que

Mais il faut avouer que rien ne lui eft plus glorieux que l'Aprobation qu'il a eue en Angleterre, où un Auteur étranger tâcheroit en vain de furprendre les fuffrages. Une préocupation trop favorable n'eft point à craindre; & ainfi l'on peut dire, que Mr. Despreaux n'eft redevable qu'à fon feul merite, des idées avantageufes qu'on a de lui. La Traduction qu'on donne aujourdhui de tous fes Ouvrages, le fera encore mieux connoître. Il y gagneroit, fans doute, s'il pouvoit être lû dans fa

† Dans fon DISCOURS à Meffieurs de l'Académie Françoise, p. m. xxx.

I 5

*

Page 14. 15.

propre

Lan

Langue: mais les Lecteurs équitables feront affez d'euxmême les compenfations néceflaires; & ils ne condamneront pas Mr. Despreaux avant que d'être bien affurés que c'eft lui qui parle, & non pas fes Traducteurs. Mais cet inconvenient eft d'autant moins à craindre que chaque Pièce a paffé fous les yeux de Mr. Ozell, qui nous donna, il y a trois ans, une fi belle Verfion du LUTRIN.

Je fouhaite paffionnément, Monfieur, que ces Memoires ne fe trouvent pas indignes de vôtre Aprobation. Je vous fuplie, du moins, de les regarder coinme une marque de ma Reconnoiffance, & de la paffion avec laquelle je ferai toute ma vie, Monfieur, Votre &c.

A Londres le 22. d'O&o

bre 1711. V. S.

FIN.

TABLE

DES PIE CES

contenues dans les Premier Tome.

Pag. 1
ne pou-

plus heu-

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SATIRE IV. & Mr. l'Abbé Le Vayer, où l'on prouve, que tous les
hommes font fous, quoi que chacun croïe Etre fage tout seul

SATIRE V. à Mr. Marquis de Dangeau, où l'on fait voir, que la vé-

ritable Nobleffe confifte dans la vertu.

SATIRE VI. Defcription des Embarras de Paris.

SATIRE VII. Sur les inconveniens, qu'il y a de compofer des Satires.

SATIRE IX. A fon Efprit, pour répondre à fes adverfaires, & pour
faire en même tems fon Apologie.

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