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N'y manquez pas au moins. J'ai quatorze bouteilles
D'un vin vieux ... Boucingo n'en a point de pareilles:
Et je gagerois bien que chez le Commandeur,
Villandri priferoit fa fève, & fa verdeur.

25 Moliere avec Tartuffe y doit jouër fon rôle:
Et Lambert, qui plus eft, m'a donné sa parole.
C'est tout dire en un mot, & vous le connoiffez.
Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'eft affez.
Ce matin donc, féduit par fa vaine promeffe,
30 J'y cours, midi fonnant, au fortir de la Messe.
A peine étois-je entré, que ravi de me voir,
Mon Homme, en m'embraffant, m'eft venu recevoir,
Et montrant à mes yeux une allégreffe entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere:

VERS 22.

Mais

Boucingo n'en de VILLANDRI, Confeiller d'Ea point de pareilles.) BOUCINGO, tat, Gentilhomme de la Chambre fameux Marchand de vin. du Roi.

Chez le Comman

VERS 23. deur.) JAQUES DE SOUVRE', Commandeur de St. Jean de Latran,

& enfuite Grand Prieur de France: Il aimoit la bonne chère, & tenoit ordinairement une table fomptueufe, à laquelle affiftoient fouvent Mr. du Brouffin, & Mr. de Villandri, qui eft nominé dans le vers fuivant. Les Repas du Commandeur étoient renommés en ce tems-là, & SaintEvremond en fait mention dans fes Ecrits. Le Commandeur de Souvré étoit fils du Maréchal de Souvré, Gouverneur de Louis XIII.

& Oncle de Madame de Louvois.

VERS 24. Villandri priferoit.) Mr. de VILLANDRI étoit fils de BA LTAZAR LE BRETON, Seigneur

VERS 25. Moliere avec Tartuffe.) La Comédie du Tartuffe avoit été defenduë en ce tems-là, & tout le

monde vouloit avoir Moliere pour la lui entendre reciter.

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VERS 26. Et Lambert, qui plus eft, &c.) MICHEL LAMBERT, fameux Muficien, étoit souhaité par tout. C'étoit un fort bon homme,

qui promettoit à tout le monde, & manquoit prefque toûjours de parole. Cela eft bien marqué dans ce vers & dans les deux fuivans. C'étoit l'homme de France qui chantoit le nieux, & on le regardoit comme l'inventeur du beau chant. Il mourut à Paris, au mois de Juin 1696. âgé de 87. ans. Son corps a été mis dans le tombeau de Jean Baptifte Lulli fon Gendre.

Converf. du Duc de Candale, avec Mr. de St. Evremond.

VERS

35 Mais puisque je vous voi, je me tiens trop content.
Vous êtes un brave homme: Entrez. On vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnoissant ma fàute,
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Où malgré les volets le Soleil irrité

40 Formoit un poële ardent au milieu de l'Eté.
Le couvert étoit mis dans ce Lieu de plaifance;
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoiffance,
Deux nobles Campagnards, grands lecteurs de Romans,
Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs complimens.
45 J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un coq y paroiffoit en pompeux équipage,
Qui changeant fur ce plat & d'état & de nom,
Par tous les Conviez s'eft appellé chapon.

VERS 28. Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'est affez.) Ce vers eft en Dialogue. Quoi Lambert? c' eft le Convié qui dit ceci. L'Hôte repond: Oui, Lambert. A demain. Et le Convié promet d'y aller, en difant: C'eft affez.

VERS 43. Deux nobles Campagnards &c.) De ces deux Campagnards il n'y en a qu'un qui foit un perfonnage réel. Voïez la Remarque fur le vers 173. de cette Satire.

VERS 44. Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs complimens.) Artamene ou le grand Cyrus, Roman de Mademoiselle de Scuderi, en dix volumes. 11 eft rempli de longues converfations, & fur tout de grands Complimens fort ennuïeux. C'eft pourquoi Furetiere a dit dans l'Hiftoire des troubles arrivés au Royaume d'Eloquence. Que les Bourgeois de cette Place (le Roman de Cyrus) af

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fectoient fur tout d'être fort civils, &
de fort bon entretien. La plupart des
gens de Province, qui s'imaginoient
que le ftile de ces Romans étoit
le ftile de la Cour, & un modèle
de politeffe, formoient leur langage
& leurs complimens fur le Cyrus &
fur la C'élie, dont ils retenoient les
façons de parler. Ces Romans,
dont le goût s'étoit répandu dans
toute la France, avoient auffi pro-
duit les Précieufes: caractère que
Moliere a fi bien joué.
Les pre-
commencèrent à paroître en 1649.
miers Volumes du Roman de Cyrus

VERS 45. Cependant on apporte un potage &c.) Mr. FOUR CROI, célèbre Avocat, s'avifa un jour, de donner un répas femblable en tout à celui qui eft décrit dans cette Satire, à M. de Lamoignon, Avocat General; à M. de Menars, Maitre des Requêtes, enfuite Préfident à Mortier; à Mr. Despreaux; & à

quel

Deux affiettes fuivoient, dont l'une étoit ornée
50 D'une langue en ragoût de perfil couronnée:
L'autre d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord, notre Troupe ferrée
Tenoit à peine autour d'une table quarrée:
55 Où chacun, malgré foi, l'un fur l'autre porté,
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de côté.
Jugez en cet état fi je pouvois me plaire,

quelques autres. Mais fa plaifanterie ne plût point aux Conviez; & l'on dit alors, que ces fortes de repas font bons à décrire & non pas à donner.

Moi

fut reçu à l'Academie Françoise en l'année 1661. à la place de St. Amant, & mourut àu moi de Mai 1679. Il a fait la Préface des Oeuvres de Balzac, qui eft eftimée : il a encore traduit Salufte, &c. Il eut affez de bon fens pour ne témoigner aucun reffentiment contre l'Auteur des Satires. Mais l'Abbé Cotin ne fit pas de même. Fier & préfomptueux comme il étoit, il ne put fouffrir que fon talent pour la Chaire lui fût contesté. Pour s'en venger il fit une mauvaise Satire contre Mr. Despreaux, dans laquelle il lui reprochoit, comme un grand crime, d'avoir imité Horace, & JuCotin ne s'en tint pas là: vénal. il publia un Libelle en profe, intitulé: La Critique desintereffee fur les Moi qui compte pour rien & le vin Satires du tems; dans lequel il char

VERS 58. Moi qui ne compte rien ni le vin ni la chère.) Il auroit pú mettre: Moi qui compte pour rien le vin la chère. Mais il a crû l'autre manière plus conforme à l'ufage. L'un & l'autre fe peuvent dire. Cependant il femble que l' ufage y ait mis cette difference, qu' après, Ne compter pour rien, il faut une négation; & après, Compter pour rien, il faut une affirmation:

Je ne compte pour rien ni le vin ni

la chère.

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geoit notre Auteur des injures les plus groffières, & lui imputoit des crimes imaginaires. Il s'avifa encore malheureufeinent pour lui, de faire entrer Moliere dans cette dispute, & ne l'épargna pas plus que Mr. Despreaux. Celui-ci ne s'en vengea que par de nouvelles railleries, comme on le verra dans les Satires fuivantes; maisMoliere acheva de le ruïner de reputation, en l'immolant fur le Théâtre à la rifée publique, dans la Comédie des Fem

mes

Moi qui ne compte rien ni le vin, ni la chère, Si l'on n'est plus au large affis en un festin. 60 Qu'aux Serinons de Caflagne, ou de l'Abbé Cotin.

Notre Hôte, cependant, s'adreffant à la Troupe: Que vous femble, a-t-il dit, du goût de cette foupe? Sentez-vous le citron, dont on a inis le jus,

Avec des jaunes d'œufs mêlés dans du verjus? 65 Ma foi, vive Mignot, & tout ce qu'il apprête! Les cheveux cependant me dreffoient à la tête:

mes favantes, fous le nom de Tricotin, qu'il changea dans la fuite en celui de Trillotin. CHARLES COTIN, Parifien, fut reçu à l'Academie Françoise en 1656. & mourut au mois de Janvier 1682. Il a fait plusieurs Ouvrages tant en vers qu'en profe.

VERS 63. Sentez-vous le citron, dont on a mis le jus &c.) Ces for tes de foupes étoient alors à la mode, & on les appelloit, des Soupes de l'écu d'argent. C'étoit l'Enfeigne d'un Traiteur qui demeuroit dans le quartier de l'Univerfité & qui avoit inventé la manière de les

faire.

VERS 65. Ma foi, vive Mignot, &c.) JAQUES MIGNOT, Patif fier-Traiteur, demeuroit dans la Rue de la Harpe, vis-à-vis la Ruë percée. Il avoit la charge de Maître Queux de la Maifon du Roi, & celle d'Ecuier de la bouche de la Reine ainfi il crut qu'il étoit de fon honneur de ne pas fouffrir qu' on traitât d'Empoifonneur, un Of ficier comine lui. Il donna fa plainte à M. Deffita, Lieutenant Criminel, contre l'Auteur des Satires, mais ni ce Magiftrat, ni Mr. de Riants, Proeureur du Roi, ne voulurent rece

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Car

voir la plainte de Mignot: ils le ren-
voïerent en difant que l'injure
dont il fe plaignoit, n'étoit qu'une
plaifanterie dont il devoit rire tout
le premier. Cette raifon, bien loin
de l'appaifer, ne fit qu'irriter fa co-
lère: & vojant qu'il ne pouvoit
efperer de fatisfaction par la voie
de la Juftice, il réfolut de fe faire
juftice lui-même. Pour cet effet, il
Mignot avoit la reputation de fai-
s'avifa d'un expedient tout nouveau.
re d'excellens Bifcuits, & tout Pa
ris en envoïoit querir chez lui. Il
fût que l'Abbé Cotin avoit fait une
Ennemi commun.
Satire contre M. Despreaux leur
imprimer à fes dépens; & quand
Mignot la fit

on venoit acheter des bifcuits, il
les envelopoit dans la feuille qui
contenoit la Satire imprimée, afin
de la répandre dans le Public: affo-
ciant ainfi fes talens à ceux de l'AB-
bé Cotin. Quand Mr. Despreaux
vouloit fe réjouir avec fes amis, il
envoïoit acheter des biscuits, chez
Mignot, pour avoir la Satire de
Cotin. Cependant la colère de Mi-
gnot s'appaifa, quand il vit que la
Satire de Mr. Despreaux, bien loin
de le décrier, comme il le craignoit,
l'avoit rendu extrémement célèbre.
En effet, depuis ce tems-là tout le

onde vouloit aller chez lui. Mignot a gagné du bien dans fa profef

Car Mignot, c'eft tout dire, & dans le Monde entier,
Jamais empoisonneur ne fut mieux fon métier.
J'approuvois tout pourtant de la mine & du gefte,
70 Pensant qu'au moins le vin dût reparer le reste.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande. Et d'abord,
Un laquais effronté m'apporte un rouge- bord,
D'un Auvernat fumeux, qui mêlé de Lignage,
Se vendoit chez Crenet, pour vin de l'Hermitage;
75 Et qui rouge & vermeil, mais fade & doucereux,
N'avoit rien qu'un goût plat, & qu'un déboire affreux.
A peine ai-je fenti cette liqueur traîtreffe,

Que de ces vins mêlés j'ai reconnu l'adresse,
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison,

fion, & il fait gloire d'avouer qu' il doit fa fortune à Mr. Despreaux.

VERS 73. D'un Auvernat fumeux, qui mêlé de Lignage.) L'Auvernat, ou Auvernas, eft un vin fort rouge & fumeux, qui n'est bon à boire que dans l'arrière-faifon. Ce vin croît aux environs d'Orleans. Il est fait de raisins noirs qu'on appelle du même nom, parce que le plant en eft venu d'Auvergne.

Le Lignage eft un vin moins fort en couleur, qui eft fait avec toutes fortes de raifins. Les Cabaretiers mêlent ces deux fortes de vins pour faire leurs vins clairets & rofés de plufieurs couleurs.

VERS 74. Se vendoit chez Crenet.) Fameux Marchand de vin, qui tenoit le Cabaret de la Pomme du Pin, vis-à-vis l'Eglife de la Magdelaine, près du pont Notre-Dame. Ce Cabaret étoit déja renommé du

J'efpe

tems de Regnier qui en parle ainfi dans fa dixième Satire :

Où maints Rubis balays tout rou-' giffans de vin,

Montroient un hâc itur à la Pom

me de Pin.

Et même du tems de Rabelais, qui dit: Puis cauponifons ès Tabernes meritoires de la Pomme de Pin, de Caftel, de la Magdelaine, & de la Mule. Pantagr. 1. 2. ch. 6.

CRENET ne fit pas comine Mignot, car il ne fit que rire du mélange de vins qu'on lui reprochoit dans cette Satire. Et ce reproche n'étoit pas auffi fans fondeinent, car Mr. du Brouffin avoit fait acheter à Mr. d'Herbaut, chez Crenet, un muid de vin de l'Hermitage, qu'on reconnut enfuite être de ce vin coupé & mêlangé: ce qui mit le Brouffin dans une furieuse colère contre Crenet, qu'il ne me

na

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