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Et dans l'eau de ces puits fans relâche tirée,
De ce fable étancher la foif démefurée..

ANTOINE, de nous deux tu crois donc, je le voi,
Que le plus occupé dans ce Jardin, c'est toi.
45 O! que tu changerois d'avis, & de langage,
Si deux jours feuleinent libre du Jardinage,
Tout à coup devenu Poëte & bel Esprit,
Tu t'allois engager à polir un Ecrit,

Qui dît, fans s'avilir, les plus petites choses,

so Fit, des plus fecs Chardons, des Oeillets & des Rofes:

Et fût même au difcours de la Rufticité

Donner de l'élégance & de la dignité ;

Un Ouvrage, en un mot, qui, jufte en tous fes termes, Sût plaire à Dagueffeau, füt fatisfaire Termes

ss Sût,

dis-je, contenter, en paroiffant au jour,

Ce qu'ont d'Efprits plus fins & la Ville & la Cour.
Bien-tôt de ce travail revenu fec & pâle,

Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle :
Tu dirois, reprenant ta pelle & ton râteau,

60 J'aime mieux mettre encor cent arpens au niveau, Que d'aller follement, égaré dans les nuës,

J'ai été en voïage, lui dit-il, avec des Docteurs de Sorbonne, & même avec des Religieux, mais je n'ai jamais oui dire de fi belles choses. En vérité, vous parlez cent fois mieux qu'un Prédicateur.

CHANG. Vers 46. Si deux jours feulement libre du Jardinage, &c.) Il y avoit dans la première compofition:

Me

Si deux jours feulement chargé de mon Ouvrage,

Il te faloit fonger, &c.

CHANG. Vers 51. Et fût mêne au difcours, &c.) Au lieu de ce vers & des cinq fuivans, l'Auteur n'avoit d'abord fait que ceux-ci :

Et qui pât contenter, en paroissant au jour, Da

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Me laffer à chercher des vifions cornues,

Et pour lier des mots fi mal s'entr' accordans,
Prendre dans ce Jardin la Lune avec les dens.

Approche donc, & vien; qu'un Pareffeux t'apprenne, ANTOINE, ce que c'eft que fatigue, & que peine. L'Homme ici-bas toûjours inquiet, & gêné,

Eft, dans le repos même, au travail condamné.
La fatigue l'y fuit. C'eft en vain qu'aux Poëtes
70 Les neuf trompeuses Sœurs, dans leurs douces retraites,
Promettent du repos fous leurs ombrages frais: ·
Dans ces tranquilles Bois pour Eux plantés exprès,
La Cadence auffi-tôt, la Rime, la Céfure,
La riche Expreffion, la nombreuse Mesure,

75 Sorcieres, dont l'amour fait d'abord les charmer,
De fatigues fans fin viennent les confumner.
Sans ceffe pourfuivant ces fugitives Fées,
On voit fous les Lauriers haleter les Orphées.
Leur Efprit toutefois ne plaît dans fon tourment,
80 Et se fait de sa peine un noble amusement.
Mais je ne trouve point de fatigue fi rude,
Que l'ennuïeux loifir d'un Mortel fans étude,

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85

Qui jamais ne fortant de fa ftupidité,
Soûtient, dans les langueurs de fon oifiveté,
D'une lâche Indolence efclave volontaire,

Le pénible fardeau de n'avoir rien à faire.
Vainement offusqué de ses pensers épais,

Loin du trouble & du bruit il croit trouver la paix.
Dans le calme odieux de fa fombre pareffe,
90 Tous les honteux Plaisirs, Enfans de la Moleffe,
Ufurpant fur fon Ame un abfolu pouvoir,
De monftrueux defirs le viennent émouvoir,
Irritent, de fes Sens la fureur endormie,
Et le font le jouet de leur trifte infamie.
95 Puis fur leurs pas foudain arrivent les Remords:
Et bien-tôt avec Eux tous les Fléaux du corps,
La Pierre, la Colique, & les Goutes cruelles,
Guenaud, Rainffant, Brayer, presqu'auffi tristes qu' Elles,
Chez l'indigne Mortel courent tous s'assembler,
100 De travaux douloureux le viennent accabler;
Sur le duvet d'un Lit, théatre de fes gènes,

VERS 90. Tous les honteux Plai-
firs, Enfans de la Moleffe.) On ne
fauroit parler avec plus de circon-
fpection, ni plus de fageffe.

IMIT. Vers 91. Ufurpant fur fon
Ame un abfolu pouvoir.) Perfe, Sa-
tire cinquième, vers 129.

Si intùs, & in jecore agro

Nafcantur Domini.

CHANG. Vers 97. La Pierre, la
Colique, les Goutes cruelles, &c.)
Première composition:

Lui

La Goute aux doigts noués, la
Pierre, la Gravelle,

D'ignorans Médecins encor plus fâa
cheux qu'elle.

VERS 98. Guenaud, Rainssant,
Brayer, &c.) Trois fameux Méde-
cins de Paris; mais ils étoient morts
plufieurs années avant la compofi-
tion de cette Epître.

IMIT. Vers 101. Sur le duvet
d'un Lit, théatre de fes génes.) Pleau-
me XL. v. 3. Super lectum doloris
ejus.

Lui font fcier des Rocs, lui font fendre des Chênes, Et le mettent au point d'envier ton emploi. Reconnois donc, ANTOINE, & conclus avec moi, Los Que la Pauvreté mâle, active & vigilante, Eft, parmi les travaux, moins laffe, & plus contente, Que la Richeffe oifive au fein des Voluptés.

Je te vai fur cela prouver deux vérités. L'une, que le travail aux Hommes nécessaire, 10 Fait leur félicité, plûtôt que leur mifère;

us Et

Et l'autre, qu'il n'est point de Coupable en repos. C'est ce qu'il faut ici montrer en peu de inots. Sui-moi donc. Mais je voi, fur ce début de prône, Que ta bouche déja s'ouvre large d'une aune; que fermés tu baiffes le menton. les yeux Ma foi, le plus fûr eft de finir ce fermon. Auffi-bien j'apperçoi ces Melons qui t'attendent, Et ces Fleurs, qui là-bas entre elles fe demandent; S'il eft fête au Village; & pour quel Saint nouveau 120 On les laiffe aujourd'hui fi long-tems manquer d'eau.

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EPITRE XII.

SUR L'AMOUR DE DIEU,

A M. L'ABBE RENAUDOT.

D

OCTE Abbé, tu dis vrai, l'Homme au crime attache,

En vain, fans aimer Dieu, croit fortir du péché. Toutefois, n'en déplaife aux transports frénétiques Du fougueux Moine auteur des troubles Germaniques, Des tourmens de l'Enfer la falutaire Peur N'est pas toûjours l'effet d'une noire vapeur, Qui de remords fans fruit agitant le Coupable, Aux yeux de Dieu le rende encor plus haiffable. Cette utile frayeur, propre à nous pénétrer,

Voici à quelle occafion cette

Epitre a été faite. L'Auteur lui-même s'en explique dans une Lettre qu'il m'écrivit au mois de Novembre, 1709.,,Long-tems avant ,,compofition de cette Pièce, dit-il, ,,j'étois fameux par les fréquentes ,,difputes que j'avois foûtenuës en plufieurs endroits, pour la défense ,,du vrai Amour de Dieu, contre ,,beaucoup de mauvais Théologiens. ,,De forte que me trouvant de loifir ,,un Carême, je ne crûs pas pou,,voir mieux emploïer ce loifir, qu'à ,,exprimer par écrit les bonnes pen,,fées que j'avois là-deffus." C'étoit le Carême de l'année 1695.

Vient

Femmes, quelques-uns de fes Amis trouvèrent mauvais, que ce grave Docteur, âgé de 84. ans, eût entrepris la défenfe d'un Ouvrage où il n'étoit queftion, difoient-ils, que de Femmes, de Vers, & de Romans. Ils regardoient la Poëfie comme un amusement frivole, qui n'avoit pas dû arrêter un moment ce profond Génie. Mr. Despreaux compofa l'Epître fur l'Amour de Dien, pour montrer à ces Cenfeurs fauffement délicats, que la Poëfie, dont ils avoient fi mauvaise opinion, peut traiter les fujets les plus relevés.

§. Mr. Bayle nous aprend, que ces particularités lui avoient été AR-,,communiquées par Mr. Marais, Avocat au Parlement de Paris, ,,homine de beaucoup d'efprit & d'érudition, fort connu de Mr. Despreaux." On m'a affuré, qu'il

Mr. BAYLE, dans fon Dictionaire, à l'article Antoine NAULD, raporte un fait, que l'on a ouï réciter à Mr. Despreaux. Il dit, que Mr. Arnauld aïant fait l'Apologie de la Satire X. contre les

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