Page images
PDF
EPUB

10s Je fûs, prenant l'effor par des routes nouvelles, Elever affez haut mes Poëtiques aîles;

Que ce Roi, dont le nom fait trembler tant de Rois, Voulut bien que ma main craïonnât fes exploits: Que plus d'un Grand m'aima jusques à la tendreffe, 110 Que ma vûë à Colbert infpiroit l'allégreffe: Qu'aujourd'hui même encor de deux fens affoibli, Retiré de la Cour, & non mis en oubli:

115

Plus d'un Heros épris des fruits de mon étude,
Vient quelquefois chez moi goûter la folitude.

Mais des heureux regards de mon Aftre étonnant
Marquez bien cet effet encor plus furprenant,
Qui dans mon fouvenir aura toûjours fa place;

1'Hiftoire du Roi avec Mr. Racine, au mois d' Octobre 1677.

VERS 109 Que plus d'un Grand &c.) Madame la Ducheffe d'Orléans, première Femme de Monfieur. Le Grand Prince de Condé, & Mr. le Prince fon Fils. Mr. le Prince de Conti. Mr. le Premier Préfident de Lamoignon; Mr. le Maréchal de Vivonne; & Mesdames de Montefpan, & de Thiange, fes Sœurs: enfin toute la Cour, excepté Mr. le Duc de Montauzier: Præter atrocem animum Catonis. Ce Duc lui donna même fon amitié dans la fuite.

VERS 110. Que ma vûë à Colbert &c.) Mr. Colbert mena un jour dans fa belle maifon de Seaux, Mr. Despreaux, & Mr. Racine. Il étoit feul avec eux, prenant un extrême plaifir à les entendre; quand on vint lui dire, que Mr. l'Evêque de demandoit à le voir: Qu'on lui faffe voir tout, hormis moi, dit Mr. Colbert.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

De deux fens

affoibli.) De la vûë, & de l'ouïe.

VERS 112. Retiré de la Cour, &c.) Il n'y alloit plus depuis l'année 1690. & il s'en étoit retiré pour jouir de la liberté & du repos. Après la mort de Mr. Racine, il alla voir le Roi pour lui apprendre cette mort, & recevoir fes ordres par raport à fon Hiftoire, dont il fe trouvoit feul chargé. Sa Majesté le reçut avec bonté, & quand il voulut fe retirer, le Roi en faifant voir fa montre, qu'il tenoit par hazard à la main, lui dit obligeamment: Souvenez-vous, que j'ai toûjours à vous donner une heure par semaine, quand vous voudrez venir.

VERS 113. Plus d'un Heros &c.) Mr. le Marquis de Termes, Mr. de Cavois, Mr. de Pontchartrain, Mr. Dagueffeau, & plufieurs autres; mais particulierement Mr. le Duc, & Mr. le Prince de Conti qui l'honoroient fouvent de leurs vifites à Auteuil.

Que de tant d'Ecrivains de l'Ecole d'Ignace, Etant, comme je fuis, ani fi déclaré, 130 Ce Docteur toutefois fi craint, fi réveré, Qui contre Eux de fa plume épuifa l'énergie, Arnauld, le grand Arnauld fit mon apologie. Sur mon tombeau futur, mes Vers, pour l'énoncer, Courez en lettres d'or de ce pas vous placer. 125 Allez jusqu'où l'Aurore en naiffant voit l'Hydafpe, Chercher, pour l'y graver, le plus précieux Jafpe. Sur tout, à mes Rivaux fachez bien l'étaler.

Mais je vous retiens trop. C'est affez vous parler. Déja, plein du beau feu, qui pour vous le transporte, 130 Barbin impatient chez moi frape à la porte.

Il vient pour vous chercher. C'eft lui: j'entens fa voix. Adieu, mnes Vers, adieu pour la derniere fois.

VERS 118. Que de tant d'Ecrivains de l'Ecole d'Ignace.) Les Peres, RAPIN, BOURDALOUE, BO uHOURS, GAILLARD, THO ULIER, &c. f. Le P. Thoulier quitra enfuire les Jefuites. C'eft Mr. l'Abbé d'Olivet, de l'Academie Françoife, une des meilleures plumes qu'il y ait aujourd'hui en France. Do MONTEIL.

VERS 122. Le grand Arnauld fit mon apologie.) Mr. Arnauld a fait une Differtation, où il le justifie contre fes Cenfeurs; & c'eft fon dernier Ouvrage. On le trouvera dans le Tom. IV. de cette Edition.

VERS 125. En naiffant voit l'Hydafpe.) Fleuve des Indes.

L

EPITRE XI.

AMON JARDINIER.

ABORIEUX Valet du plus commode Maître,

347

Qui, pour te rendre heureux ici-bas, pouvoit naître; ANTOINE, Gouverneur de mon Jardin d'Auteuil, Qui diriges chez moi l'If & le Chevre-feuil, s Et fur mes Efpaliers, induftrieux Génie, Sais fi bien exercer l'Art de la Quintinie ;

O!

Notre Poëte travaillant à fon Ode Epître à fon Fermier : c'eft la qua

fur la prise de Namur, fe proinenoit dans les Allées de fon Jardin d'Auteuil. Là il tâchoit d'exciter fon feu, & s'abandonnoit à l'Enthousiasme. Un jour il s'apperçut, que fon Jardinier l'écoutoit, & l'obfervoit au travers des feuillages. Le Jardinier furpris ne favoit à quoi attribuer les transports de fon Maître, & peu s'en falut qu'il ne le foupçonnat d'avoir perdu l'efprit. Les poftures que le Jardinier faifoit de fon côté, & qui marquoient fon étonnement, parurent fort plaifantes au Maître: de forte qu'ils fe donnèrent quelque tems la Comédie l'un à l'autre, fans s'en appercevoir. Cela lui fit naître l'envie de compofer cette Epître, dans laquelle il s'entretient avec fon Jardinier, &, par des difcours proportionnés aux connoiffances d'un Villageois, il lui explique les difficultés de la Poëfie, & la peine qu'il y a fur tout d'exprimer noblement & avec élégance, les chofes les plus communes & les plus fèches. De là il prend occafion de lui démontrer, que le Travail eft néceffaire à l'Homme pour être heureux.

[blocks in formation]

torzième du premier Livre. Mais ces deux Poëtes ont fuivi des routes differentes.

VERS 3. Antoine, Gouverneur de mon Jardin d'Auteuil.) ANTOINE RIQUIE, né à Paris. Mr. Despreaux l'avoit trouvé dans cette Maifon lors qu'il l'acheta en 1685., & l'a toujours gardé à fon fervice. Après la compofition de cette Epitre, la plupart des perfonnes qui alloient voir l'Auteur, félicitoient Maître Antoine de l'honneur que fon Maître lui avoit fait; & tous lui envioient une diftinction fi glarieufe. Le P. Bouhours, Jéfuïte, lui en fit compliment comme les autres: Neft-il pas vrai, Maître Antoine, lui dit-il d'un air railleur: que l'Epitre que votre Maître vous a adref fée, est la plus belle de toutes fes Pièces? Nenni-da, mon Pere, répondit Maître Antoine: C'est celle de l'Amour de Dieu.

[blocks in formation]

O! que de mon efprit trifte & mal ordonné,
Ainfi que de ce champ par toi fi bien orné,

Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines,
10 Et des défauts fans nombre arracher les racines!

Mais parle: Raifonnons. Quand du matin au soir, Chez moi pouffant la bêche, ou portant l'arrofoir, Tu fais d'un fable aride une terre fertile,

Et rends tout mon Jardin à tes loix fi docile; 15 Que dis-tu, de m'y voir rêveur, capricieux, Tantôt baiffant le front, tantôt levant les yeux, De paroles dans l'air par élans envolées, Effrayer les Oiseaux perchés dans mes allées? Ne foupçonnes-tu point, qu'agité du Démon, 20 Ainfi que ce Coufin des quatre Fils Aimon, Dont tu lis quelquefois la merveilleuse hiftoire, Je rumine, en marchant, quelque endroit du Grimoire: Mais non: Tu te fouviens, qu'au Village on t'a dit, Que

IMIT. Vers 7. O! que de mon efprit, &c.) Horace dans l'Epitre que l'on vient de citer, vers 4. Certemus, fpinas animone ego fortiùs, an tu Evellas agro; & melior fit Hora

tius, an res.

Ces fortes de Romans font fort aimés du peuple groffier; parce qu'ils contiennent des avantures merveilleufes, & des prodiges inouïs.

CHANG. Vers 24. Que ton Maître eft nommé, &c.) Ce vers & les deux fuivans étoient ainsi dans la première compofition:

Que ton Mattre eft gagé pour mettre
par écrit
Les faits de ce grand Roi vanté
pour fa vaillance

VERS 20. Ainfi que ce Coufin des quatre Fils Aimon.) MAUGIS, furnommé l'Enchanteur,vaillant preux Chevalier, lequel au monde n'avoit fon pareil en l'art de Négromancie, L'Hiftoire que nous avons des quatre Fils Aimon, eft fort ancienne. Elle avoit été inventée dans ces tems où la barbarie & l'ignorance avoient introduit le goût de la Chevalerie. des douze Pairs de France.) Notre

Plus qu'Ogier le Danois, ni Pierre de Provence.

VERS 26. Que Charlemagne aidé

Au

Que ton Maître eft nommé, pour coucher par écrit 25 Les faits d'un. Roi plus grand en fagesse, en vaillance, Que Charlemagne aidé des douze Pairs de France.

[ocr errors]

Tu crois, qu'il y travaille, & qu'au long de ce mur Peut-être en ce moment il prend Mons & Namur.

Que penferois-tu donc, fi l'on t'alloit apprendre,
20 Que ce grand Chroniqueur des geftes d'Alexandre,
Aujourd'hui méditant un projet tout nouveau,
S'agite, se démène, & s'use le cerveau,

Pour te faire à toi-même en rimes infenfées
Un bizarre portrait de fes folles pensées ?
35 Mon Maître, dirois-tu, passe pour un Docteur,
Et parle quelquefois mieux qu'un Prédicateur.
Sous ces arbres pourtant, de fi vaines fornettes
Il n'iroit point troubler la paix de ces Fauvettes;
S'il lui falloit toûjours, comme moi, s'exercer,
40 Labourer, couper, tondre, applanir, palisser,

Auteur s'accommode au goût & aux luinières de fon Jardinier, grand Lecteur d'anciens Romans. Ici il fait allufion à un Ouvrage de cette espèce, intitulé: La Conquête de Charlemagne, grand Roi de France des Efpagnes; avec les faits les geftes des douze Pairs de France, &c. Voïez les Recherches de Pasquier, L. II. c. 9. & 10..

CHANG. Vers 30. Que ce grand Chroniqueur des geftes d'Alexandre.)

Première manière :

Que ce grand Ecrivain des exploits

d'Alexandre.

VERS 36. Et parle quelquefois mieux qu'un Prédicateur.) Voici l'ori

Et

ginal de cette pensée. Un jour Mr. Despreaux & Mr. Racine venant de faire leur Cour à Versailles, fe inirent dans un Caroffe public, avec deux bons Bourgeois, qui s'en retournoient à Paris. Ces deux Meffieurs étoient contens de leur Cour: ils furent extrêmement enjoués pendant tout le chemin, & leur converfation fut la plus vive, la plus brillante, & la plus fpirituelle du monde. Les deux Bourgeois ércient enchantés, & ne pouvoient fe laffer de marquer leur admiration. Enfin à la defcente du Caroffe, tandis que l'un d'eux faifoit fon compliment à Mr. Racine, l'autre s'arrêta avec Mr. Despreaux, & l'aïant embraffé bien tendrement:

« PreviousContinue »