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EL OG E

DE

MR. DESPREAUX,

Tiré du Difcours que Monfieur DE VALINCOUR, Secretaire du Cabinet du Roi, Chancelier de l'Académie, prononça à la reception de Monfieur P Abbé D'ESTREES. à prefent Archevêque de Cambray * &c.

Je

Te ne crains point ici, MESSIEURS, que l'amitié me rende fufpect fur le fujet de Monfieur Despreaux. Elle me fourniroit plûtôt des larmes hors de faifon, que des louanges exagerées. Ami dès mon enfance, & ami intime de deux des plus grands Perfonnages, qui jamais aïent été parmi vous, je les ai perdus tous deux dans un petit nombre d'années. Vos fuffrages m'ont élevé à la place du premier, que j'aurois voulu ne voir jamais vacante. Par quelle fatalité faut-il que je fois encore deftiné à recevoir aujourd'hui en votre nom l'Homme il luftre qui va remplir la place de l'autre: & que dans deux occafions, où ma douleur ne demandoit que le filence & la folitude, pour pleurer des Amis d'un fi rare mérite, je me fois trouvé engagé à paroître devant vous pour faire leur éloge!

Mais quel éloge puis-je faire ici de Monfieur Despreaux, que vous n'aïez deja prévenu? J'ofe attefter, MESSIEURS, le jugement que tant de fois vous en avez porté vous-mêmes. J'attefte celui de tous les Peuples de l'Europe, qui font de fes Vers l'objet de leur adiniration. Ils les favent par cœur; ils les traduifent en leur Langue; ils apprennent la nôtre pour les mieux goûter, & pour en mieux fentir toutes les beautés. Approbation univerfelle, qui eft le plus grand éloge que les hom

*Mr. l'Abbé d'Eftrées mourut le

3 Mars 1718. dans fa 52. année.

C 2

mes

† Mr. Racine, mort en 1699. Mr. Despreaux, mort en 1711.

mes puiffent donner à un Ecrivain; & en même tems la marque la plus certaine de la perfection d'un Ouvrage.

Par quel heureux fecret peut-on acquerir cette approbation fi généralement recherchée, & fi rarement obtenue? Monfieur Despreaux nous l'a appris lui-même: c'est par l'amour du Vrai.

En effet, ce n'eft que dans le Vrai feulement que tous les hommes fe reüniffent. Differens d'ailleurs dans leurs mœurs, dans leurs préjugés, dans leur manière de penfer, d'écrire, & de juger de ceux qui écrivent, dès que le Vrai paroît clairement à leurs yeux, il enleve toûjours leur confentement & leur admiration.

Comme il ne fe trouve que dans la Nature, ou pour mieux dire, comme il n'eft autre chofe que la Nature même, Monfieur Despreaux en avoit fait fa principale étude. Il avoit puifé dans fon fein ces graces qu'elle feule peut donner, que l'Art emploie toûjours avec fuccès, & que jamais il ne fauroit contrefaire. Il y avoit contemplé à loifir ces grands modèles de beauté & de perfection, qu'on ne peut voir qu'en elle, mais qu'elle ne laiffe voir qu'à fes Favoris. Il l'admiroit fur tout dans les Ouvrages d'Homère, où elle s'eft confervée avec toute la fimplicité, & pour ainfi dire, avec toute l'innocence des premiers tems; & où elle est d'autant plus belle, qu'elle affecte moins de le paroître.

Il ne s'agit point ici de renouveller la fameufe guerre des Anciens & des Modernes, où Monfieur Despreaux combattit avec tant de fuccès en faveur de ce grand Poëte.

Il faut efperer que ceux, qui fe font fait une fausse gloire de refifter aux traits du défenseur d' Homère, se feront honneur de ceder aux graces d'une nouvelle Traduction*, qui le faifant connoître à ceux même à qui fa Langue eft inconnue, fait mieux fon éloge que tout ce qu'on pourroit écrire pour fa défense, Chef-d'œuvre

• Traduction de Madame Dacier.

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véritablement digne d'être loué dans le Sanctuaire des Muses, & honoré de l'approbation de ceux qui y font affis. Mais c'est en vain qu'un Auteur choifit le Vrai modèle. Il eft toûjours fujet à s'égarer, s'il ne prend auffi la Raifon pour guide.

pour

Monfieur Despreaux ne la perdit jamais de vûë: & lors que pour la venger de tant de mauvais Livres, où elle étoit cruellement maltraitée, il entreprit de faire des Satires, elle lui apprit à éviter les excès de ceux qui en avoient fait avant lui.

Juvénal, & quelquefois Horace même, (avouonsle de bonne-foi) avoient attaqué les vices de leur tems avec des armes qui faifoient rougir la Vertu.

Regnier, peut-être en cela feul, fidèle Difciple de ces dangereux Maîtres, devoit à cette honteufe licence une partie de fa réputation; & il fembloit alors que l'obfcenité fût un fel abfolument néceffaire à la Satire; comme on s'eft imaginé depuis, que l'amour devoit être le fondement, & pour ainfi dire, l'ame de toutes les Pièces de Théatre.

Monfieur Despreaux fut mépriser de fi mauvais exemples dans les mêmes Ouvrages qu'il admiroit d'ailleurs. Il ofa le premier faire voir aux hommes une Satire fage & modefte. Il ne l'orna que de ces graces auftères, qui font celles de la Vertu même; travaillant fans ceffe à rendre fa vie encore plus pure que fes Ecrits, il fit voir que l'amour du Vrai, conduit par la Raifon, ne fait pas moins l'Homme de bien que l'excellent Poëte.

Incapable de déguisement dans fes mœurs, comme d'affectation dans fes Ouvrages, il s'eft toûjours montré tel qu'il étoit; aimant mieux, difoit-il, laiffer voir de véritables défauts, que de les couvrir par de fauffes vertus.

Tout ce qui choquoit la Raifon ou la Vérité, excitoit en lui un chagrin, dont il n'étoit pas maître, & auquel peutêtre fommes-nous redevables de fes plus ingenieufes compofitions. Mais en attaquant les défauts des Ecrivains, il a

toûjours épargné leurs perfonnes.

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XXXVIII

ELOGE DE MR. DESPREAUX.

Il croïoit qu'il eft permis à tout homme, qui fait parler ou écrire, de cenfurer publiquement un mauvais Livre, que fon Auteur n'a pas craint de rendre public; mais il ne regardoit qu'avec horreur ces dangereux ennemis du Genre humain, qui fans refpect ni pour l'amitié, ni pour la Vérité même, déchirent indifferemment tout ce qui s'offre à l'imagination de ces fortes de gens, & qui du fond des ténèbres, qui les derobent à la rigueur des Loix, fe font un jeu cruel de publier les fautes les plus cachées, & de noircir les actions les plus innocentes.

Ces fentimens de probité & d'humanité n'étoient pas dans Monfieur Despreaux des vertus purement civiles. Ils avoient leur principe dans un amour fincère pour la Religion, qui paroiffoit dans toutes fes actions, & dans toutes fes paroles; mais qui prenoit encore de nouvelles forces, comine il arrive à tous les hommes, dans les occafions où ils fe trouvoient conformes à fon humeur & à fon génie.

C'eft ce qui l'animoit fi vivement contre un certain Genre de Poesie, où la Religion lui paroiffoit particu lierement offenfée.

Quoi, difoit-il à fes Amis, des maximes, qui feroient horreur dans le langage ordinaire, fe produifent impuné ment dès qu'elles font mifes en Vers! Elles montent fur le Théatre à la faveur de la Mufique, & y parlent plus haut que nos Loix. C'eft peu d'y étaler ces Exemples qui inftruifent à pécher, & qui ont été déteftés par les Païens même. On en fait aujourd'hui des confeils, & même des préceptes: & loin de fonger à rendre utiles les divertiffemens publics, on affecte de les rendre criminels. Voilà dequoi il étoit continuellement occupé, & dont il eût voulu pouvoir faire l'unique objet de toutes fes Satires.

Heureux d'avoir pû d'une même main imprimer un opprobre éternel à des Ouvrages fi contraires aux bonnes mœurs: & donner à la Vertu, en la perfonne de notre augufte Monarque, des louanges qui ne

périront jamais.

LA

LA VIE

DE

MONSIEUR

BOILEAU

DESPREAUX,

PAR

MR. DES MAIZEAUX.

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