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Sur ce point un jambon d'assez maigre apparenes Arrive sous le nom de jambon de Maïence. Un valet le portoit, marchant à pas comptés, Comme un recteur suivi des quatre facultés. Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes, Lui servoient de massiers (1), et portoient deux ase siettes,

L'une de champignons avec des ris de veau,

Et l'autre de pois verds qui se noyoient dans l'eau.
Un spectacle si beau surprenant l'assemblée,
Chez tous les conviés la joie est redoublée;
Et la troupe à l'instant, cessant de fredonner,
D'un ton gravement fou s'est mise à raisonner.
Le vin au plus muet fournissant des paroles,
Chacun a débité ses maximes frivoles,
Réglé les intérêts de chaque potentat,
Corrigé la police, et réformé l'état ;

Puis de là s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande (2) ou battu l'Angleterre.
Enfin, laissant en paix tous ees peuples divers,
De propos en propos on a parlé de vers.
Là tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maîtres du Parnasse.
Mais notre hôte sur-tout, pour la justesse et l'art,
Elevoit jusqu'au ciel Théophile et Ronsard';
Quand un des campagnards, relevant sa moustache
Et son feutre à grands poils ombragé d'un panache,
Impose à tous silence, et, d'un ton de docteur :
Morbleu! dit-il, la Serre (3) est un charmant auteur!

(1) Le recteur, quand il va en procession, est toujours accompagné de deux massiers.

(2) L'Angleterre et la Hollande étoient alors en guerre, et le roi avoit envoyé du secours aux Hollandois.

(3) Ecrivain célebre pour son galimatias.

Ses vers sont d'un beau style, et sa prose est coulante.
La Pucelle est encore une œuvre bien galante,
Et je ne sais pourquoi je bâille en la lisant.

Le Pays (1), sans mentir, est un bouffou plaisant:
Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture.
Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture.
A mon gré, le Corneille est joli quelquefois.
En vérité, pour moi j'aime le beau françois.
Je ne sais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre;
Ce n'est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les héros chez Quinaut parlent bien autrement,
Et jusqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement.
On dit qu'on l'a drapé dans certaine satire;
Qu'un jeune homme... Ah! je sais ce que vous voulez
dire,

A répondu notre hôte : « In auteur sans défaut,
« La raison dit Vifgile, et la rime Quinaut ».
Justement. A mon gré, la piece est assez plate.
Et puis, blâmer Quinaut!... Avez-vous vu l'Astrate?
C'est là ce qu'on appelle un ouvrage achevé.
Sur-tout l'Anneau royal me semble bien trouvé.
Son sujet est conduit d'une belle maniere ;
Et chaque acte, en sa piece, est une piece entiere.
Je ne puis plus souffrir ce que les autres font.
Il est vrai que Quinaut est un esprit profond,
A repris certain fat qu'à sa mine discrete
Et son maintien jaloux. j'ai reconnu poëte :
Mais il en est pourtant qui le pourroient valoir.
Ma foi, ce n'est pas vous qui nous le ferez voir,
A dit mon campagnard avec une voix claire,
Et déja tout bouillant de vin et de colere.
Pent-être, a dit l'auteur pâlissant de courroux :

(1) Ecrivain estimé chez les provinciaux à cause d'un livre qu'il a fait, intitulé, Amitiés, amours et amourettes.

Mais vous, pour en parler, vous y connoissez-vous?
Mieux que vous mille fois, dit le noble en furie.
Vous? mon dieu! mêlez-vous de boire, je vous prie,
A l'auteur sur-le-champ aigrement reparti.
Je suis donc un sot, moi? vous en avez menti,
Reprend le campagnard; et, sans plus de langage,
Lui jette pour défi son assiette au visage.
L'autre esquive le coup; et l'assiette volant
S'en va frapper le mur, et revient en roulant.
A cet affront l'auteur, se levant de la table,
Lance à mon campagnard un regard effroyable;
Et, chacun vainement se ruant entre deux,
Nos braves s'accrochant se prennent aux cheveux.
Anssitôt sous leurs pieds les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles cassées :
En vain à lever tout les valets sont fort prompts,
Et les ruisseaux de vin coulent aut environs.

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare,

De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les sépare;
Et, leur premiere ardeur passant en un moment,
On a parlé de paix et d'accommodement.
Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y conspire,
J'ai gagné doucement la porte sans rien dire,
Avec un bon serment que, si pour l'avenir
En pareille cohue on me peut retenir,
Je consens de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie;
Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,

Et qu'à peine au mois d'août l'on mange des pois verds.

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SATIRE IV.

A M. L'ABBE LE VAYER.

D'ou vient, cher le Vayer, que l'homme le moins sage
Croit toujours seul avoir la sagesse en partage,
Et qu'il n'est point de fou qui, par belles raisons,
Ne loge son voisin aux petites-maisons?

Un pédant, enivré de sa vaine science,
Tout hérissé de grec, tout bouffi d'arrogance,
Et qui, de mille auteurs retenus mot pour mot,
Dans sa tête entassés, n'a souvent fait qu'un sot,
Croit qu'un livre fait tout, et que, sans Aristote,
La raison ne voit goutte, et le bon sens radote.

D'autre part un galant, de qui tout le métier
Est de courir le jour de quartier en quartier,
Et d'aller, à l'abri d'une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer tout le monde,
Condamne la science, et, blâmant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance est un titre d'esprit,
Que c'est des gens de cour le plus beau privilege,
Et renvoie un savant dans le fond d'un college.

Un bigot orgueilleux, qui, dans sa vanité, Croit duper jusqu'à Dieu par son zele affecté, Couvrant tous ses défauts d'une sainte apparence, Damne tous les humains, de sa pleine puissance.

Un libertin d'ailleurs, qui, sans ame et sans foi, Se fait de son plaisir une suprême loi,

Tient que ces vieux propos de démons et de flammes
Sont bons pour étonner des enfants et des femmes,
Que c'est s'embarrasser de soucis superflus,
Et qu'enfin tout dévot a le cerveau perclus.

En un mot, qui voudroit épuiser ces matieres,
Peignant de tant d'esprits les diverses manieres,

Il compteroit plutôt combien, dans un printemps,
Guenaud et l'antimoine ont fait mourir de gens,
Et combien la Neveu (1), devant son mariage,
A de fois au public vendu son pucelage.

Mais, sans errer en vain dans ces vagues propos,
Et pour rimer ici ma pensée en deux mots,
N'en déplaise à ces fous nommés sages de Grece,
En ce monde il n'est point de parfaite sagesse :
Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs
soins,

Ne different entre eux que du plus ou du moins.
Comme on voit qu'en un bois que cent routes séparent
Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent,
L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement,
La même erreur les fait errer diversement:
Chacun suit dans le monde une route incertaine,
Selon que son erreur le joue et le promene;
Et tel y fait l'habile et nous traite de fous,
Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.
Mais, quoi que sur ce point-la satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie;
Et, se laissant régler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connoître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être;
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévere censeur,
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, idolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l'abondance,

(1) Infâme débordée connue de tout le monde.

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