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Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.

L'age viril, plus mûr, inspire un air plus sage, Se pousse auprès des grands, s'intrigue, se ménage, Contre les coups du sort songe à se maintenir, Et loin dans le présent regarde l'avenir.

La vicillesse chagrine incessamment amasse; Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse ; Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé; Toujours plaint le présent et yante le passé; inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse, Blame en eux les douceurs que l'âge Ini refuse. Ne faites point parler vos acteurs au hasard, Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.

Etudiez la cour, et connoissez la ville:

L'une et l'autre est toujours en modeles fertile.
C'est par-là que Moliere, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté, pour le bouffon, l'agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin:
Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe
Je ne reconnois plus l'auteur du Misanthrope (1).
Le Comique, ennemi des soupirs et des pleurs,
N'admet point en ses vers de tragiques douleurs;
Mais son emploi n'est pas d'aller, dans une place,
De mots sales et bas charmer la populace:
Il faut que ses acteurs badinent noblement;
Que son nœud bien formé se dénoue aisément;
Que l'action, marchant où la raison la guide,
Ne se perde jamais dans une scene vuide;
Que son style humble et doux se releve à

(1) Comédie de Moliore,

propos;

Que ses discours, par-tout fertiles en bons mots,
Soient pleins de passions finement maniées,
Et les scenes toujours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du bon sens gardez de plaisanter:
Jamais de la nature il ne faut s'écarter.

Contemplez de quel air un pere dans Térence (1)
Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence;
De quel air cet amant écoute ses leçons,

Et court chez sa maîtresse oublier ces chansons.
Ce n'est pas un portrait, une image semblable;
C'est un amant, un fils, un pere véritable.
J'aime sur le théâtre un agréable auteur
Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur,
Plaît par
la raison seule, et jamais ne la choque;
Mais pour un faux plaisant à grossiere équivoque,
Qui pour me divertir n'a que la saleté,

Qu'il s'en aille, s'il veut, sur deux treteaux monté,
Amusant le Pont-neuf de ses sornettes fades,
Aux laquais assemblés jouer ses mascarades.

(1) Voyez Simon dans l'Andrienne, et Démée dans les Adelphes.

Et

CHANT QUATRIEME.

DANS
ANS Florence jadis vivoit un médecin,
Savant hableur, dit-on, et célebre assassin.
Lui seul y fit long-temps la publique misere :
Là le fils orphelin lui redemande un perc;
Ici le frere pleure un frere empoisonné :
L'an meurt vuide de sang, l'autre plein de séné:
Le rhume à son aspect se change en pleurésie,
par lui la migraine est bientôt frénésie.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.
De tous ses amis morts un seul ami resté
Le mene en sa maison de superbe structure.
C'étoit un riche abbé, fou de l'architecture.
Le médecin d'abord semble né dans cet art,
Déja de bâtiments parle comme Mansard :
D'un salon qu'on éleve il condamné la face;
Au vestibule obscur il marque une autre place;
Approuve l'escalier tourné d'autre façon.
Son ami le conçoit, et mande son maçon.
Le maçon vient, écoute, approuve, et se corrige.
Enfin, pour abréger un si plaisant prodige,
Notre assassin renonce à son art inhumain ;
Et désormais, la regle et l'équerre à la main,
Laissant de Galien la science suspecte

De méchant médecin devient bon architecte.
Son exemple est pour nous un précepte excellent,
Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu'écrivain du commun, et poëte vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrés différents,
On peut avec honneur remplir les seconds rangs;
Mais, dans l'art dangereux de rimer et d'écrire,
Il n'est point de degrés du médiocre au pire :

Qui dit froid écrivain dit détestable auteur.
Boyer (1) est à Pinchêne égal pour le lecteur;
On ne lit guere plus Rampale et Ménardiere,

Que Magnon (2), du Souhait (3), Corbin (4), et la
Morliere (5).

Un fou du moins fait rire, et peut nous égayer:
Mais un froid écrivain ne sait rien qu'ennuyer.
J'aime mieux Bergerac (6) et sa burlesque audace
Que ces vers où Motin se morfond et nous glace.
Ne vous enivrez point des éloges fiatteurs
Qu'un amas quelquefois de vains admirateurs
Vous donne en ces réduits, prompts à crier : Merveille!
Tel écrit récité se soutint à l'oreille,

Qui, dans l'impression au grand jour se montrant,
Ne soutient pas des yeux le regard pénétrant (7).
On sait de cent auteurs l'aventure tragique :
Et Gombaud tant loué garde encor la boutique.
Ecoutez tout le monde, assidu consultant:
Un fat quelquefois ouvre un avis important."
Quelques vers toutefois qu'Apollon vous inspire,
En tous lieux aussitôt ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce rimeur furieux (8)
Qui, de ses vains écrits lecteur harmonieux,
Aborde en récitant quiconque le salue,

(1) Auteur médiocre.

(2) Magnon a composé un poëme fort long, intitulé l'Encyclopédie.

(3) Du Souhait avoit traduit l'Iliade en prose.

(4) Corbin avoit traduit la Bible mot à mot.

(5) La Morliere, méchant poëte.

(6) Cyrano de Bergerac, auteur du Voyage de la lune.

(7) Chapelain.

(8) Du Perrier.

Et poursuit de ses vers les passants dans la rue.
Il n'est temple si saint des anges respecté (1)
Qui soit contre sa muse un lieu de sûreté.

Je vous l'ai déja dit, aimez qu'on vous censure,
Et, souple à la raison, corrigez sans murmure.
Mais ne vous rendez pas dès qu'un sot vous reprend.
Souvent dans son orgueil un subtil ignorant
Par d'injustes dégoûts combat toute une piece,
Blame des plus beaux vers la noble hardiesse.
On a beau réfuter ses vains raisonnements;
Son esprit se complaît dans ses faux jugements;
Et sa foible raison, de clarté dépourvue,
Pense que rien n'échappe à sa débile vue.
Ses conseils sont à craindre; et, si vous les croyez,
Pensant fuir un écueil, souvent vous vous noyez.
Faites choix d'un censeur solide et salutaire
Que la raison conduise et le savoir éclaire,
Et dont le crayon sûr d'abord aille chercher
L'endroit que l'on sent foible, et qu'on se veut cacher.
Lui seul éclaircira vos doutes ridicules,

De votre esprit tremblant leyera les scrupules.
C'est lui qui vous dira par quel transport heureux
Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux
Trop resserré par l'art sort des regles prescrites,
Et de l'art même apprend à franchir leurs limites.
Mais ce parfait censeur se trouve rarement.
Tel excelle à rimer qui jnge sottement:

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

Auteurs, prètez l'oreille à mes instructions.
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?
Qu'en savantes leçons votre muse fertile

(1) Il récita de ses vers à l'auteur, malgré lui, dans une église.

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