Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme, Par grace lui laissa l'entrée en l'Epigramme, Pourvu que sa finesse, éclatant à propos, Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots. Ainsi de toutes parts les désordres cesserent. Toutefois à la cour les turlupins resterent, Insipides plaisants, bouffons infortunés, D'un jeu de mots grossier partisans surannés. Ce n'est pas quelquefois qu'une muse un peu fine Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine, Et d'un sens détourné n'abuse avec succès: Mais fuyez sur ce point un ridicule excès; Et n'allez pas toujours d'une pointe frivole Aiguiser par la queue une Epigramme folle.
Tout poëme est brillant de sa propre beauté. Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté.
La Ballade, asservie à ses vieilles maximes, Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes. Le Madrigal, plus simple, et plus noble en son tour, Respire la douceur, la tendresse et l'amour.
L'ardeur de se montrer, et non pas de médire, Arma la Vérité du vers de la Satire.
Lucile le premier osa la faire voir;
Aux vices des Romains présenta le miroir; Vengea l'humble vertu, de la richesse altiere, Et l'honnête homme à pied, du faquin eu litiere. Horace à cette aigreur mêla son enjouement: On ne fut plus ni fat ni sot impunément; Et malheur à tout nom qui, propre à la censure, Put entrer dans un vers sans rompre la mesure. Perse, en ses vers obscurs mais serrés et pressants, Affecta d'enfermer moins de mots que de sens. Juvénal, élevé dans les cris de l'école, Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole. Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités, Etincellent pourtant de sublimes beautés :
Soit que (1) sur un écrit arrivé de Caprée Il brise de Séjan la statue adorée ;
Soit (2) qu'il fasse au conseil courir les sénateurs, D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs; Ou que (3), poussant à bout la luxure latine, Aux portefaix de Rome il vende Messaline. Ses écrits pleins de feu par-tout brillent aux yeux. De ces maîtres savants disciple ingénieux, Regnier, seul parmi nous formé sur leurs modeles, Dans son vieux style encore a des graces nouvelles. Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur, Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l'auteur ; Et si du son hardi de ses rimes cyniques
Il n'alarmoit souvent les oreilles pudiques!
Le latin, dans les mots, brave l'honnêteté : Mais le lecteur françois veut être respecté ; Du moindre sens impur la liberté l'outrage, Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image. Je veux dans la satire un esprit de candeur, Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.
D'un trait de ce poëme, en bons mots si fertile, Le François, né malin, forma le Vaudeville; Agréable indiscret, qui, conduit par le chant, Passe de bouche en bouche, et s'accroît en marchant. La liberté françoise en ses vers se déploie : Cet enfant de plaisir veut naître dans la joie. Toutefois n'allez pas, goguenard dangereux, Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux : A la fin tous ces jeux, que l'athéisme éleve, Conduisent tristement le plaisant à la Greve. Il faut, même en chansons, du bon sens et de l'art :
(1) Satire 10. (2) Satire 4. (3) Satire 6.
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard Inspirer quelquefois une muse grossiere, Et fournir, sans génie, un couplet à Liniere. Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer, Gardez qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer. Souvent l'auteur altier de quelque chansonnette Au même instant prend droit de se croire poëte : Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un sonnet ; Il met tous les matins six impromptus au net. Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies, Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries, Il ne se fait graver au-devant du recueil, Couronné de lauriers, par la main de Nanteuil (1).
Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux, Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux : D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable. Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs D'OEdipe tout sanglant (1) fit parler les douleurs, D'Oreste parricide exprima les alarmes, Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes. Vous donc qui, d'un beau feu pour le théâtre épris, Venez en vers pompeux y disputer le prix, Voulez-vous sur la scene étaler des ouvrages Où tout Paris en foule apporte ses suffrages, Et qui, toujours plus beaux plus ils sont regardés, Soient au bout de vingt ans encor redemandés? Que dans tous vos discours la passion émue Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue. Si d'un beau mouvement l'agréable fureur Souvent ne nous remplit d'une douce terreur On n'excite en notre ame une pitié charmante, En vain vous étalez une scene savante :
Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir Un spectateur toujours paresseux d'applaudir, Et qui, des vains efforts de votre rhétorique Justement fatigué, s'endort, ou vous critique. Le secret est d'abord de plaire et de toucher : Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.
Que dès les premiers vers l'action préparée Sans peine du sujet applanisse l'entrée. Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut, d'abord, ne sait pas m'informer; Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue, D'un divertissement me fait une fatigue.
J'aimerois mieux encor qu'il déclinât son nom (1), Et dît, je suis Oreste, ou bien Agamemnon, Que d'aller, par un tas de confuses merveilles, Sans rien dire à l'esprit, étourdir les oreilles : Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.
Que le lien de la scene y soit fixe et marqué. Un rimeur, sans péril, delà les Pyrénées, Sur la scene en un jour renferme des années : Là souvent le héros d'un spectacle grossier, Enfant au premier acte, est harbon au dernier. Mais nous, que la raison à ses regles engage, Nous voulons qu'avec art l'action se ménage; Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.
Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable : Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. Une merveille absurde est pour moi sans appas: L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas. Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose:
yeux voyant saisiroient mieux la chose; Mais il est des objets que l'art judicieux
Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux.
Que le trouble, toujours croissant de scene en scene, A son comble arrivé se débrouille sans peine. L'esprit ne se sent point plus vivement frappé Que lorsqu'en un sujet d'intrigue enveloppé D'un secret tout-à-coup la vérité connue Change tout, donne à tout une face imprévue.
La Tragédie, informe et grossiere en naissant, N'étoit qu'un simple choeur, où chacun en dansant,
(4) Il y a de pareils exemples dans Euripide.
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