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Mais vous, de ses douceurs objet fort surprenant,
Je ne sais pas comment, ferme en votre doctrine,
Des ironiques mots de sa bouche divine

Vous pourriez, sans rougeur et sans confusion,
Soutenir l'amertume et la dérision.

L'audace du docteur, par ce discours frappée,
Demeura sans réplique à ma prosopopée.
Il sortit tout-à-coup, et, murmurant tout bas
Quelques termes d'aigreur que je n'entendis pas,
S'en alla chez Binsfeld, ou chez Basile Ponce (1),
Sur l'heure à mes raisons chercher une réponse.

(1) Deux défenseurs de la fausse attrition. Le premier étoit chanoine de Treves, et l'autre étoit de l'ordre de saint Augustin.

L'ART POÉTIQUE.

L'ART POÉTIQUE.

C'EST

CHANT PREMIER.'

en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur Pense de l'art des vers atteindre la hauteur: S'il ne sent point du ciel l'influence secrete, Si son astre en naissant ne l'a formé poëte, Dans son génie étroit il est toujours captif; Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carriere épineuse, N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer Ni prendre pour génie un amour de rimer : Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces, Et consultez long-temps votre esprit et vos forces. La Nature, fertile en esprits excellents, Sait entre les auteurs partager les talents: I''un peut tracer en vers une amoureuse flamme; L'autre, d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme: Malherbe d'un héros peut vanter les exploits; Racan, chanter Philis, les bergers et les bois. Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime Méconnoît son génie, et s'ignore soi-même: Ainsi tel (1), autrefois qu'on vit avec Faret (2)

(1) Saint-Amand, auteur du Moïse sauvé.

(2) Faret, auteur du livre intitulé l'honnête Homme, et ami de Saint-Amand.

Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,
S'en va, mal-à-propos, d'une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.
Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou su-
blime,

Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime:
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais, lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison: que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée;
Ils croiroient s'abaisser, dans leurs vers monstrneux,
S'ils pensoient ce qu'un autre a pu penser comme eux.
Evitons ces excès: laissons à l'Italie

De tous ces faux brillants l'éclatante folie. 1899
Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir ;
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie.
La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie.
Un auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face;
Il me promene après de terrasse en terrasse;
Ici s'offre un perron; là regne un corridor;
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales:

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