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Là, dans le seul loisir que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent, à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti cavalier galoper sur ta trace.

Tantôt sur l'herbe assis, an pied de ces côteaux
Où Polycrene (1) épand ses libérales eaux,
Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude;
Chercher quels sont les biens véritables ou faux ;
Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts;
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertú solide.

C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher.
Heureux si les fâcheux, prompts à nous y chercher,
N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse!
Car, dans ce grand concours d'hommes de toute espece
Que sans cesse à Bâville attire le devoir,

Au lieu de quatre amis qu'on attendoit le soir,
Quelquefois de fâcheux arrivent trois volées,
Qui du parc à l'instant assiegent les allées.
Alors sauve qni pent: et quatre fois heureux
Qui sait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux!

(1) Fontaine à une demi-lieue de Bâville, ainsi nommée par feu M. le premier président de Lamoignon.

QUE

EPITRE VII.

A M. RACINE."

UE tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur,
Emouvoir, étonner, ravir un spectateur!
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,

N'a coûté tant de pleurs à la Grece assemblée,
Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé
En a fait sous son nom verser la Champmelé (1).
Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages,
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré

Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent;
Et son trop de lumiere, importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux.
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie;
Faire au poids du bon sens peser tons ses écrits,
Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par priere,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Moliere,
Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
'L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pieces
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venoient pour diffamer son chef-d'œuvre nouvean,
Et secouoient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur vouloit la scene plus exacte;

(1) Célebre comédienne.

Le vicomte indigné sortoit au second acte:
L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnoit au feu;
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Vouloit venger la cour immolée au parterre.
Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains
La Parque l'eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable Comédie, avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rade espéra revenir,
Et sur ses brodequias ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.
Toi donc qui, t'élevant sur la scene tragique,
Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits,
De Corneille vieiili sais consoler Paris;

Cesse de t'étonner si l'envie animée,

Attachant à ton nom sa rouille envenimée,
La calomnie en main, quelquefois te poursuit.
En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.

Le mérite en repos s'endort dans la paresse;
les envieux un génie excité

Mais par

Au comble de son art est mille fois monté :
Plus on veut l'affoiblir, plus il croît et s'élance.
'Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance;
Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus. .
Moi-même, dont la gloire ici moins répandue
Des pâles envieux ne blesse point la vue,

Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis,
De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis,

Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue,
Qu'au foible et vain talent dont la France me loue.
Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher,
Tous les jours en marchant m'empêche de broncher
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde,

Que d'un oeil dangereux leur troupe me regarde.
Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.
Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre,
C'est en me guérissant que je sais leur répondre :
Et plus en criminel ils pensent m'ériger,
Plus, croissant en vertu, je songe à me venger.

Imite mon exemple; et lorsqu'une cabale,
Un flot de vains auteurs follement te ravale,
Profite de leur haine et de leur mauvais sens,
Ris du bruit passager de leurs cris impuissants.
Que peut contre tes vers une ignorance vaine ?
Le Parnasse françois, ennobli par ta veine,
Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l'équitable avenir.
Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phedre malgré soi perfide, incestueuse,
D'un si noble travail justement étonné,
Ne bénira d'abord le siecle fortuné

Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles!
Cependant laisse ici gronder quelques censeurs
Qu'aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.
Et qu'importe à nos vers que Perrin (1) les admire;
Que l'auteur du Jonas s'empresse pour les lire;
Qu'ils charment de Senlis le poëte idiot (2),
Ou le sec traducteur du françois d'Amyot:
Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées

Soient du peuple, des grands, des provinces, goûtées;
Pourvu qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois;
Qu'à Chantilli Condé les souffre quelquefois;

ait

(1) Il a traduit l'Enéide, et a fait le premier opéra qui paru en France.

(2) Liniere.

Qu'Enguien en soit touché; que Colbert et Vivone,
Que la Rochefoucauld, Marsillac et Pompone,
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,
A leurs traits délicats se laissent pénétrer?
Et plût au ciel encor, pour couronner l'ouvrage,
Que Montausier voulût leur donner son suffrage!
C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits.
Mais pour un tas grossier de frivoles esprits
Admirateurs zélés de toute œuvre insipide,
Que, non loin de la place où Brioché (1) préside,
Sans chercher dans les vers ni cadence ni son,
Il s'en aille admirer le savoir de Pradon!

(1) Fameux joueur de marionnettes.

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