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Vois-tu ce libertin en public intrépide,

Qui prêche contre un Dieu que dans son ame il croit?

Il iroit embrasser la vérité qu'il voit:

Mais de ses faux amis il craint la raillerie,
Et ne brave ainsi Dieu que par poltronuerie.

C'est là de tous nos maux le fatal fondement.
Des jugements d'autrui nous tremblons follement;
Et, chacun l'un de l'autre adorant les caprices,
Nous cherchons hors de nous nos vertus et nos vices.
Misérables jouets de notre vanité,

Faisons au moins l'aveu de notre infirmité.

A quoi bon, quand la fievre en nos arteres brûle,
Faire de notre mal un secret ridicule?

Le feu sort de vos yeux pétillants et troublés,
Votre pouls inégal marche à pas redoublés;
Quelle fausse pudeur à feindre vous oblige?
Qu'avez-vous? Je n'ai rien. Mais... Je n'ai rien, vous
dis-je,

Répondra ce malade à se taire obstiné.

Mais cependant voilà tout son corps gangrené;
Et la fievre, demain se rendant la plus forte,
Un bénitier aux pieds va l'étendre à la porte.
Prévenons sagement un si juste malheur.

Le jour fatal est proche, et vient comme un voleur.
Avant qu'à nos erreurs le ciel nous abandonne,
Profitons de l'instant que de grace il nous donne.
Hâtons-nous; le temps fuit (1), et nous traîne avec soi:
Le moment où je parle est déja loin de moi.

Mais quoi! toujours la honte en esclaves nous lie! Oui, c'est toi qui nous perds, ridicule folie : C'est toi qui fis tomber le premier malheureux, Le jour que, d'un faux bien sottement amoureux, Et n'osant soupçonner sa femme d'imposture,

(1) Perse, satire V.

Au démon, par pudeur, il vendit la nature.
Hélas! avant ce jour qui perdit ses neveux,
Tous les plaisirs couroient au-devant de ses vœux.
La faim aux animaux ne faisoit point la guerre :
Le blé, pour se donner, sans peine ouvrant la terre,
N'attendoit point qu'un bœuf pressé de l'aiguillon
Traçât à pas tardifs un pénible sillon :

La vigne offroit par-tout des grappes toujours pleines,
Et des ruisseaux de lait serpentoient dans les plaines.
Mais dès ce jour Adam, dechu de son état,
D'un tribut de douleurs paya son attentat.
Il fallut qu'au travail son corps rendu docile
Forcat la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun hérissa les guérets;
Le serpent venimeux rampa dans les forêts;
La canicule en feu désola les campagnes;
L'aquilon en fureur gronda sur les montagnes.
Alors, pour se couvrir durant l'apre saison,
Il fallut aux brebis dérober leur toison.

La peste en même temps, la guerre et la famine,
Des malheureux humains jurerent la ruine.

Mais aucun de ces maux n'égala les rigueurs
Que la mauvaise honte exerça dans les cœurs.
De ce nid à l'instant sortirent tous les vices.
L'avare, des premiers en proie à ses caprices,
Dans un infàme gain mettant l'honnêteté,
Pour toute honte alors compta la pauvreté :
L'honneur et la vertu n'oserent plus paroître;
La piété chercha les déserts et le cloître.
Depuis on n'a point vu de cœur si détaché
Qui par quelque lien ne tînt à ce péché.
Triste et funeste effet du premier de nos crimes!
Moi-même, Arnauld, ici, qui te prêche en ces rimes,
Plus qu'aucun des mortels par la honte abattu,
En vain j'arme contre elle une foible vertu.
Ainsi toujours douteux, chancelant et volage,

A peine du limon où le vice m'engage
J'arrache un pied timide et sors en m'agitant,
Que l'autre m'y reporte et s'embourbe à l'instant.
Car si, comme aujourd'hui, quelque rayon de zele
Allume dans mon cœur une clarté nouvelle,
Soudain, aux yeux d'autrui s'il faut la confirmer,
D'un geste, d'un regard, je me sens alarmer;
Et, même sur ces vers que je te viens d'écrire,
Je tremble en ce moment de ce que l'on va dire.

AVERTISSEMENT

SUR L'EPITRE IV (1).

Je ne sais si les rangs de ceux qui passerent le Rhin

à la nage devant Tholus sont fort exactement gardés dans le poëme que je donne au public; et je n'en voudrois pas être garant, parceque franchement je n'y étois pas, et que je n'en suis encore que fort médiocre ment instruit. Je viens même d'apprendre en ce mo= ment que M. de Soubise (2), dont je ne parle point, est un de ceux qui s'y est le plus signalé. Je m'imagine qu'il en est ainsi de beaucoup d'autres, et j'espere de leur faire justice dans une autre édition. Tout ce que je sais, c'est que ceux dont je fais mention ont passé des premiers. Je ne me déclare donc caution que de l'histoire du fleuve en colere, que j'ai apprise d'une de ses naïades, qui s'est réfugiée dans la Seine. J'aurois bien pu aussi parler de la fameuse rencontre qui suivit le passage : mais je la réserve pour un poëme à part (3). C'est là que j'espere rendre aux mânes de M. de Longueville (4) l'honneur que tous les écrivains lui doivent, et que je peindrai cette victoire qui fut arrosée du plus illustre sang de l'univers. Mais il faut un peu reprendre haleine pour cela.

(1) Cet avertissement fut mis à la tête de la premiere édition de cette épître, en 1672.

(2) Il traversa le Rhin à la nage, à la tête des gendarmes de la garde, dont il étoit capitaine lieutenant.

(3) Ce dessein n'a pas eu d'exécution.

(4) Tué au passage du Rhin.

AU ROI.

Ex vain pour te louer ma muse tonjours prête

Vingt fois de la Hollande a tenté la conquête :
Ce pays, où cent murs n'ont pu te résister,
Grand roi, n'est pas en vers si facile à domter.
Des villes que tu prends les noms durs et barbares
N'offrent de toutes parts que syllabes bizarres;
Et, l'oreille effrayée, il faut depuis l'Issel,
Pour trouver un beau mot courir jusqu'au Tessel.
Oui, par-tout de son nom chaque place munic
Tient bon contre le vers, en détruit l'harmonie.
Et qui peut sans frémir aborder Woërden?
Quel vers ne tomberoit au seul nom de Heusden?
Quelle muse à rimer en tous lieux disposée
Oseroit approcher des bords du Zuiderzée ?
Comment en vers heureux assiéger Doësbourg,
Zutphen, Wageninghen, Harderwic, Knotzembourg?
Il n'est fort, entre ceux que tu prends par centaines,
Qui ne puisse arrêter un rimeur six semaines :
Et par-tout sur le Whal, ainsi que sur le Leck,
Le vers est en déroute, et le poëte à sec.

Encor si tes exploits, moins grands et moins rapides,
Laissoient prendre courage à nos muses timides,
Peut-être avec le temps, à force d'y rêver,

Par quelque coup de l'art nous pourrions nous sauver.
Mais, dès qu'on veut tenter cette vaste carriere,
Pégase s'effarouche et recule en arriere :

Mon Apollon s'étonne; et Nimegue est à toi,
Que ma muse est encore au camp devant Orsoi.

Aujourd'hui toutefois mou zele m'encourage :
Il faut au moins du Rhin tenter l'heureux passage.

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