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Et dans un autre endroit :

Soudain le mont liquide élevé dans les airs

Retombe: un noir limon bouillonne au fond des mers.

Et dans le poëme des jardins, chant 1.

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Là du sommet lointain des roches buissonneuses
J'ai vu la chèvre pendre-

A leur terrible aspect, je tremble ;-et de leur cime
L'imagination me suspend sur l'abime,

Mais cette licence que Ronsard avoit cherché à introduire dans notre versi fication, a été portée à un tel excès, que, si les gens de goût ne s'étoient pas élevés contre cet abus, on eût ramené notre poésie à son enfance,

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"Notre hexamètre naturellement majestueux, dit la Harpe, doit se reposer sur lui-même; il perd toute sa noblesse, si on le fait marcher par sauts et "par bonds: si la fin d'un vers se rejoint souvent au commencement de l'autre, "l'effet de la rime disparoît; et l'on sait qu'elle est essentielle à notre rhythme poétique. Il est vrai que par lui-même il est voisin de l'uniformité; mais "aussi le grand art est de varier la mesure sans la détruire, et de couper le "vers sans le briser. Le moyen qu'ont employé nos bons poëtes, c'est de "placer de temps en temps des césures ou des repos à différentes places, en "sorte qu'un vers ne ressemble pas à l'autre; de ne pas toujours procéder par distiques, et de finir quelquefois le sens en faisant attendre la rime, comme "dans cet endroit de Racine

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Je l'ai vu tout couvert d'une affreuse poussière,
Revêtu de lambeaux, tout pâle---mais son œil;
Conservoit sous la cendre encor le même orgueil,

"Pour qu'il y ait de la variété dans les grands vers, il faut que la coupe en soit différente, et que la césure soit placée avec une intention relative au sens. "La césure est différente de l'hémistiche en ce qu'elle se place où l'on veut; "mais l'hémistiche exprime essentiellement la moitié d'un vers divisé en deux 66 parties égales. On peut aussi en varier l'effet, suivant les diverses struc"tures de la phrase, arrêtée sur l'hémistiche d'une manière plus ou moins "distincte: c'est ce qu'enseigne Voltaire dans ces vers qui sont à la fois une leçon et un modèle.

Observez l'hémistiche---et redoutez l'ennui
Qu'un repos uniforme attache auprès de lui.
Que votre phrase heureuse--et clairement rendue
Soit tantôt terminée---et tantôt suspendue.
C'est le secret de l'art---imitez ces accens
Dont l'aisé Jéliotte avoit charmé nos sens.
Toujours harmonieux. --et libre sans licence,
Il n'appesantit point ses sons et sa cadence.
Sallé,---dont Terpsicore avoit conduit les pas,
Fit sentir la mesure---et ne la marqua pas.

En lisant nos bons poëtes, on verra que la phrase est contenue tantót dans un demi-vers, tantôt dans un vers entier, tantôt dans deux, et que même quelquefois, quand on sait faire la phrase poétique, on ne complète le sens qu'au bout de huit, de douze vers, etc. et c'est ce mélange qui produit l'harmonie.

Mais si l'enjambement est un défaut dans les grands vers, il est une grâce dans les vers de dix syllabes, si on ne l'y prodigue pas trop. Car, comme le remarque si bien la Harpe, l'excès des meilleures choses est un mal, et l'emploi trop fréquent des mêmes beautés devient affectation et monotonie. En voici de Voltaire dans son épître sur la calomnie qui sont parfaitement coupés.

Ecoutez-moi, respectable Emilie ;

Vous êtes belle :---ainsi donc la moitié
Du genre humain sera votre ennemie.
Vous possédez un sublime génie :

On vous craindra.--- Votre simple amitié
Est confiante,---et vous serez trahie.

Mais si tous les vers de la pièce avoient la même coupe, cela seroit insupportable. Les genres où l'enjambement peut entrer avec le plus d'avantage sont le conte et la fable: aussi le trouve-t-on souvent dans la Fontaine, et il y est une beauté, parce qu'il donne à son style un naturel, une aisance, une mollesse et cet abandon qui est une grâce de plus dans ce poëte de la

nature.

Après avoir fixé les règles de l'hémistiche, et avoir montré les variations qu'il éprouve, la chose qui se présente naturellement, c'est la rime, institution barbare, dit-on, mais qui, comme on l'a déjà vu, remonte à l'origine de notre poésie, et qui se trouve chez toutes les nations modernes. La rime est l'uniformité de son dans les mots qui terminent deux ou plusieurs vers. La rime est essentiellement nécessaire à nos langues modernes, parce qu'étant très-éloignées de la prosodie presque musicale des anciens, elles en ont besoin pour que les vers réveillent et fixent l'attention. "Il est vrai, dit la Harpe, qu'elle est voisine de la monotonie, mais elle est agréable en elle mème, "comme toute espèce de retour symétrique; car la symétrie plaît naturelle"ment aux hommes, et entre plus ou moins dans tous les procédés des arts d'agrément. Voltaire a eu raison de dire :

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La rime est nécessaire à nos jargons nouveaux,
Enfans demi-polis des Normands et des Goths.

"Les novateurs bizarres, tels que Lamotte, qui ont voulu ôter la rime à nos vers, s'y connoissoient un peu moins que l'auteur de la Henriade." Les rimes sont masculines ou féminines. Elles ont féminines quand le mot qui finit le vers se termine en e muet ou seul, on suivi d'une`s ou de nt, dans les temps des verbes où l'e n'est pas précédé d'une autre voyelle : car à l'imparfait ou au conditionnel, ils aimoient, ils aimeroient, la terminaison n'est point féminine, parce qu'elle ne laisse entendre que le son de l'e grave

ouvert.

Exemple d'une rime en E muet seul.

Hélas! de quoi lui sert que deux fois son audace
Ait vu des cieux brûlans, fendu des mers de glace?

Exemple d'une rime en E muet suivi d'une s. ́

Orgueilleuse rivale, on t'aime, et tu murmures:
Souffrirai-je à la fois ta gloire et tes injures?

Exemple d'une rime en E muet suivi de NT.

Sous leurs corps tremblotans leurs genoux s'affoiblissent,
D'une subite horreur leurs cheveux se hérissent.

Dans ces vers l'e muet de la fin sonne si foiblement qu'on l'entend à peine aussi cette dernière syllabe est-elle comptée pour rien dans la mesure du vers. C'est à cause de cette terminaison que ces vers s'appellent féminins. Les rimes masculines sont celles qui finissent de toute autre manière trois précédentes.

Exemple d'une rime en E fermé.

Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités,
Etincelent pourtant de sublimes beautés.

Exemple d'une rime en ox.

Mais d'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi ?
Est-ce l'esprit divin qui s'empare de moi!

Exemple d'une rinie en UI.

Il n'a point tous ces arts qui trompent notre ennui!
Mais que lui manque-t-il ? la nature est à lui.

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Rome ne manque point de généreux guerriers;
Assez d'autres sans moi soutiendront vos lauriers.

Exemple d'une rime en OIENT.

Des bataillons armés dans les airs se heurtoient.
Sous leurs glaçons tremblans les Alpes s'agitoient.

que les

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Les rimes soit masculines soit féminines se divisent en riches et en suffisantes. La rime riche est formée par deux mots, dont les derniers sons sont absolument semblables, et même, autant qu'il est possible, représentés par les mêmes lettres.

Exemple d'une rime riche féminine.

Mais dès qu'on veut tenter cette vaste carrière,
Pégase s'effarouche et recule en arrière.

Exemple d'une rime riche masculine.

Ils sont détruits ces bois, dont le front glorieux

&..

C'est quelque air d'équité qui séduit et qui plaît,

Il est aisé de voir par ces exemples que dans les vers masculins on a princi palement égard au dernier son des mots, au lieu que dans les vers féminins c'est sur le son de l'avant-dernière syllabe que l'attention se porte, parce que celui de la dernière étant presque nul, ne peut être assez marqué pour frapper l'oreille par une consonnance sensible, Au reste, quand on s'est exercé à bien fire les vers, on sent aisément les bornes qu'il n'est pas permis à un poëte de passer. Il n'est personne qui ne sente que l'oreille n'est point satisfaite quand on fait rimer deux mots dont la quantité est différente, et qu'en conséquence Despréaux et Racine ont manqué à leur exactitude ordinaire, quand ils. ont dit: le premier,

et le second

Un auteur à genoux, dans une humble préface,
Au lecteur qu'il ennuie a beau demander grâce.

"

J'en rends grâces au ciel qui, m'arrêtant sans cesse,
Sembloit m'avoir fermé le chemin de la Grèce,

parce que grace et sans cesse ayant dans leur penultième syllabe un son ouvert et long ne peuvent rimer avec préface et Grèce dont la pénultième eşt brève. L'abbé de Lille a fait la même faute en faisant rimer rênes et rennes, dont le premier est très-long et le second très-court. C'est à cette occasion que l'abbé d'Olivet fait la réflexion suivante, "A peine la versification Françoise commençoit-elle à se prescrire des règles, dans un temps où elle, se permettoit encore les hiatus, et les enjambemens; dans un temps où la "rime masculine et la féminine n'étoient pas encore obligées de se succéder "l'une à l'autre, dans ce temps-là qui nous paroît barbare, on savoit déjà, et "mieux que nous, respecter les droits de la prosodie."

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L'oreille n'est pas également satisfaite quand un poëte fait rimer deux composés du même mot, comme dans ces vers de Voltaire

Toujours prête à s'unir avec ses ennemis,.

En changeant d'intérêts, de rivaux et d'amis.

ou lorsqu'il y a une convenance de sons entre les deux hémistiches d'un vers, comine dans ce vers de Despréaux,

Aux Saumaises futurs préparer des tortures.

ou lorsqu' enfin le dernier hémistiche d'un vers rime avec le premier du vers qui le précède ou qui le suit, ou, lorsque les deux premiers hémistiches des deux vers qui se suivent riment l'un avec l'autre. Quoiqu'on trouve peu de fautes de ce dernier genre dans nos grands poëtes, il y en a néanmoins quel ques-unes. Despréaux nous en fournit un exemple dans ces vers,

Un fiacre me couvrant d'un déluge de boue
Contre le mur voisin m'écrase de sa roue :
En voulant me sauver, des porteurs inhumains
De leur maudit bâton me donnent dans les reins.

Mais on ne verra qu'une rime riche par les vers qui finiront par des mots

T. III.

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semblables qui ont des acceptions différentes ou par des dérivés dont le sens a presque point de rapport: comme,

Exemple d'une rime féminine à mots semblables avec des acceptions

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differentes.

གས

35 Prends-moi le bon parti, laisse là tous les livres;
Cent francs au denier cinq, combien font-ils? vingt livres

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Toutefois, Acomat, ne vous éloignez pas; 2374129
Peut-être on vous fera revenir sur vos pas.

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Exemple d'une rime avec des dérivés dont le sens n'a point de rapport.

Et sans chercher l'appui d'une naissance illustre
Un héros de soi-même empruntoit tout son lustre.

Quant aux mots que le vers exclut et aux licences qu'un poëte peut se permettre, la lecture des modèles les renfermera dans les bornes suivantes.

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1o. La poésie rejète non-seulement tous les mots prosaïques, durs et bas; mais elle proscrit encore toutes ces conjonctions qui ôteroient à l'expression sa rapidité, sa hardiesse et son feu. Fière et indépendante, elle veut que rien n'arrêté sa marche. Méme en obéissant à des lois, elle veut être libre, ou du moins le paroître.

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20. Un mot terminé par une voyelle autre que l'e muet, ne peut être suivi d'un mot qui commence par une voyelle: car alors ils helt un choc. de voyelles qui blesseroit l'oreille. Ce choc se nomme hiatus ou baillement. Ce défaut se trouve dans ces vers de Marot.

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Un doux nenni avec un doux sourire.

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9. Là où savez sans vous ne puis aller.

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Aussi notre grand législateur du Parnasse le défend-il dans ces vers dont l'harmonie imitative est si frappante..

Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.

mot

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D'où on doit conclure 1. que l'e final muet et précédé d'une voyelle, comme dans aimée, finie, roue, etc. ne peut entrer dans le vers qu'à l'aide de l'élision. 2°. que la conjonction et ayant toujours le son de l'e fermé ne doit point s'y trouver avant un qui commence par une voyelle. 30. que le son nasal étant une voyelle, n'y peut être heureusement suivi d'un not qui commence par une voyelle, lorsque le mot où se trouve ce son final, et celui qui commence par une voyelle doivent être prononcés de saite et sans un repos sensible: mais ce bâillement est reçu lorsqu'il y a de nécessité un repos entre les deux mots.. Aussi Racine ne se l'est-il permis que dans ces occasions, comme l'observe l'abbé de Dangeau, dans sa dissertation sur les voyelles adressée à l'académie Françoise, tandis que Corneille qui n'avoit pas perdu l'accent de sa province, 'en fournit jusqu'à vingt-six exemples dans son Cinna.

༢ ེ

S.. Il y a des mots qui ont vieilli en prose et qui n'en sont de venus que

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