Page images
PDF
EPUB

Nulle science n'est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde;
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,
Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir.
On y sait comme vont, lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne, et Mars, dont je n'ai point affaire;
Et dans ce vain savoir qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va non pot dont j'ai besoin.
Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire:
Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison.

L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,
L'autre rêve à des vers, quand je demande à boire.
Enfin je vois par eux votre exemple suivi :
Et j'ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une

pauvre servante, au moins m'étoit restée,
Qui de ce mauvais air n'étoit point infectée;
Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas,
A cause qu'elle manque à parler Vaugelas !

Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,
Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je m'adresse.
Je n'aime point céans tous vos gens à latin.
Et principalement ce monsieur Trissotin.
C'est lui qui, dans des vers, vous a tympanisées;
Tous les propos qu'il tient sont des billevesées;
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé,
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.
PHILAMINE.

Quelle bassesse, ô ciel! et d'âme et de langage!
BELISE.

Est-il de petits corps un plus lourd assemblage,
Un esprit composé d'atomes plus bourgeois?
Et de ce même sang se peut-il que je sois!
Je me veux mal de mort d'être de votre race,
Et, de confusion, j'abandonne la place.

Molière.

§ 44. Autre Scène des Femmes Savantes.

TRISSOTIN,VADIUS, beaux esprits, PHILAMINTE, BELISE, ARMANDE, femmes savantes, HENRIETTE.

TRISSOTIN présentant Vadius.
Voici l'homme qui meurt du désir de vous voir:
En vous le produisant je ne crains point le blâme
D'avoir admis chez vous un profâne, madame.
Il peut tenir son coin parmi de beaux esprits.
PHILAMINTE.

La main qui le présente en dit assez le prix.
TRISSOTIN.

Il a des vieux auteurs la pleine intelligence,
Et sait du Grec, madame, autant qu'homme de France.
PHILAMINTE à Belise.

Du Grec! ô ciel! du Grec! il sait du Grec, ma sœur!
BELISE à Armande.

[blocks in formation]

Du Grec! quelle douceur !
PHILAMINTE.

Quoi! monsieur sait du Grec! ah! permettez de grâce, Que pour l'amour du Grec, monsieur, on vous embrasse. (Vadius embrasse aussi Beliso et Armande).

HENRIETTE a Vadius qui veut aussi l'embrasser. Excusez-moi monsieur, je n'entends pas le Grec. (Ils sasseyent.)

PHILAMINTE.

J'ai pour les livres Grecs un merveilleux respect.

VADIUS.

Je crains d'être fâcheux par l'ardeur qui m'engage
A vous rendre aujourd'hui, madame, mon hommage;
Et j'aurai pu troubler quelque docte entretien.

PHILAMINTE.

Monsieur, avec du Grec ou ne peut gâter rien.
TRISSOTIN.

Au reste il fait merveille en vers ainsi qu'en prose,
Et pourroit, s'il vouloit, vous montrer quelque chose.
VADIUS.

Le défaut des auteurs dans leurs productions,
C'est d'en tyranniser les conversations,

D'être aux palais, aux cours, aux ruelles, aux tables,
De leurs vers fatigans lecteurs infatigables.

Pour moi, je ne vois rien de plus sot à mon sens
Qu'un auteur qui partout va gueuser un encens;
Qui, des premiers venus saisissant les oreilles,
En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.
On ne m'a jamais vu ce fol entêtement;
Et d'un Grec là-dessus je suis le sentiment,
Qui, par un dogme exprès défend à tous ses sages
L'indigne empressement de lire leurs ouvrages.
vici de petits vers pour de jeunes amans,
Sur quoi je voudrois bien avoir vos sentimens.
TRISSOTIN.

Vos vers ont des beantés que n'ont point tous les autres.
VADIUS.

Les Grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.

TRISSOTIN.

Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.
VADIUS.

On voit partout chez vous, l'ithos et le pathos.
TRISSOTIN.

Nous avons vu de vous des églogues d'un style
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.
VADIUS.

Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.

TRISSOTIN.

Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes ?

VADIUS.

Peut-on voir rien d'égal aux sonnets que vous faites?
TRISSOTIN.

Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ?
VADIUS.

Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux ?
TRISSOTIN.

Aux ballades surtout vous êtes admirable.

VADIUS.

Et dans les bouts rimés je vous trouve adorable.

TRISSOTIN.

[blocks in formation]

On verroit le public vous dresser des statues.
Hom! c'est une ballade, et je veux que tout net
Vous m'en...

TRISSOTIN.

Avez-vous vu certain petit sonnet

Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie?

VADIUS.

[blocks in formation]

Non; mais je sais fort bien

Qu'à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien.
TRISSOTIN.

Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable.
VADIUS.

Cela n'empêche pas qu'il ne soit misérable;
Et, si vous l'avez vu, vous serez de mon goût.
TRISSOTIN.

Je sais que là-dessus je n'en suis point du tout,
Et
que d'un tel sonnet peu de gens sont capables.
VADIUS.

Me préserve le ciel d'en faire de semblables?
TRISSOTIN.

Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur :
Et ma grande raison est que j'en suis l'auteur.

Vous ?

Moi.

VADIUS.

TRISSOTIN.

VADIUS.

Je ne sais donc comment se fit l'affaire.
TRISSOTIN.

C'est qu'on fut malheureux de ne pouvoir vous plaire.

VADIUS.

Il faut qu'en écoutant j'aie eu l'esprit distrait,

Ou bien que le lecteur m'ait gâté le sonnet.
Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade.
TRISSOTIN.

La ballade à mon gout, est une chose fade;

Ce n'en est plus la mode, elle sent son vieux temps.

VADIUS.

[blocks in formation]

Cependant nous voyons qu'elle ne vous plaît pas.
TRISSOTIN.
Vous donnez sottement vos qualités aux autres.
(Ils se levent tous.)

VADIUS.

Fort impertinemment vous me jetez les vôtres.
TRISSOTIN.

Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier.

[blocks in formation]

Hé! messieurs, que prétendez vous faire?
TRISSOTIN, à Vadius.

Va, va restituer tous tes honteux larcins

Que réclament sur toi les Grecs et les Latins.

VADIUS.

Va, va-t-en faire amende honorable au Parnasse
D'avoir fait à tes vers estropier Horace.

TRISSOTIN.

Souviens-toi de ton livre et de son peu de bruit:
VADIUS.

Et toi de ton libraire, à l'hôpital réduit.

TRISSOTIN.

Ma gloire est établie, en vain tu la déchires.
VADIUS.

Oui, oui, je te renvoie à l'auteur des satires.

Je t'y renvoie aussi.

TRISSOTIN.

VADIUS.

J'ai le contentement
Qu'on voit qu'il m'a traité plus honorablement.
Il me donne en passant une atteinte légère
Parmi plusieurs auteurs qu'au palais on révère;
Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix,
Et l'on t'y voit partout être en butte à ses traits.
TRISSOTIN.

C'est par là que j'y tiens un rang plus honorable,
Il te met dans la foule, ainsi qu'un misérable;
Il croit que c'est assez d'un coup pour t'accabler,
Et ne t'a jamais fait l'honneur de redoubler ;
Mais il m'attaque à part comme un noble adversaire
Sur qui tout son effort lui semble nécessaire;
Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux,
Montrent qu'il ne se croit jamais victorieux.

VADIUS.

Ma plume t'apprendra quel homme je puis être.
TRISSOTIN.

Et la mienne saura te faire voir ton maître.

[blocks in formation]

TRISSOTIN.

Hé bien! nous nous verrons seul à seul chez Barbin.

Molière.

§ 45. Scène des Plaideurs.

CHICANEAU, plaideur, LA COMTESSE DE PIMBESCHE, vieille plaideuse, PETIT JEAN, portier du juge.

CHICANEAU, allant et revenant.

La Brie,

Qu'on garde la maison, je reviendrai bientôt.
Qu'on ne laisse monter aucune âme là haut.
Fais porter cette lettre à la poste du Maine.
Prends-moi dans mon clapier trois lapins de garenne,
Et chez mon procureur porte-les ce matin.
Si son clerc vient céans, fais-lui goûter mon vin.
Ah! donne-lui ce sac qui pend à ma fenêtre.
Est-ce tout? Il viendra me demander peut-être
Un grand homine sec, là, qui me sert de témoin,
Et qui jure pour moi lorsque j'en ai besoin;

Qu'il m'attende, je crains que mon juge ne sorte.
Quatre heures vont sonner. Mais frappons à sa porte.
PETIT JEAN, entr'ouvrant la porte.

Qui va là?

[blocks in formation]
[blocks in formation]

Mais revenez demain.

De grâce,

Grand bien vous fasse,

CHICANEAU.

Hé, rendez donc l'argent.

Le monde est devenu, sans mentir, bien méchant.
J'ai vu que les procès ne donnoient point de peine;
Six écus en gagnoient une demi-douzaine;
Mais aujourd'hui je crois que tout mon bien entier
Ne me suffiroit pas pour gagner un portier.
Mais j'aperçois venir madame la Comtesse

De Pimbesche, elle vient pour affaire qui presse . .
Madame, on n'entre plus.

LA COMTESSE.

Hé bien, lai-je pas dit! Sans mentir, mes valets me font perdre l'esprit : Pour les faire lever, c'est en vain que je gronde; Il faut que tous les jours j'éveille tout le monde. CHICANEAU.

Il faut absolument qu'il se fasse celer.

LA COMTESSE.

Pour moi depuis deux jours je ne lui puis parler.
CHICANEAU.

Ma partie est puissante, et j'ai lieu de tout craindre.
LA COMTESSE.

Après ce qu'on m'a fait, il ne faut plus se plaindre.
CHICANEAU.

Si pourtant j'ai bon droit.

LA COMTESSE.

Ah, monsieur, quel arrêt!
CHICANEAU.

Je m'en rapporte à vous, écoutez, s'il vous plaît.

LA COMTESSE.

Il faut que vous sachiez, monsieur, la perfidie . . .

CHICANEAU.

Ce n'est rien dans le fond.

LA COMTESSE.

Monsieur, que je vous die . . .
CHICANEAU.

Voici le fait, depuis quinze ou vingt ans en ça.
Au-travers d'un mien pré certain ânon passa,
S'y vautra, non sans faire un notable dommage,
Dont je formai ma plainte au juge du village.
Je fais saisir l'ânon. Un expert est nommé ;
A deux bottes de foin le dégât estimé;
Enfin au bout d'un an sentence par laquelle
Nous sommes renvoyés hors de cour: j'en appelle.
Pendant qu'à l'audience on poursuit un arrêt,
(Remarquez bien ceci, madame, s'il vous plaît,)
Notre ami Drolichon, qui n'est pas une bête,
Obtient pour quelque argent un arrêt sur requête:
Et je gagne ma cause. A cela que fait-on:
Mon chicaneur s'oppose à l'exécution.

« PreviousContinue »