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Allez chercher vos fous qui vous donnent à rire,

(à Elmire)

Et sans...adieu, ma bru; je ne veux plus rien dire.
Sachez que pour céans j'en rabats de moitié,
Et qu'il fera beau temps quand j'y mettrai le pié.
(donnant un soufflet à Flipote.)
Allons, vous, vous rêvez, et bayez aux corneilles.
Jour de dieu! je saurai vous frotter les oreilles,
Marchons, gaupe, marchons.

840. Autre scène du Tartuffe.

Molière.

ORGON, qui arrive de la campagne où il avoit passé deux

jours.

CLEANTE, DORINE.

ORGON.

Ah! mon frère, bon jour.
CLEANTE.

Je sortois, et j'ai joie à vous voir de retour.
La campagne à présent n'est pas beaucoup fleurie.
ORGON.

(à Cléante)

Dorine... mon beau-frère, attendez, je vous prie,
Vous voulez bien souffrir, pour m'ôter de souci,
Que je m'informe un peu des nouvelles d'ici.

(à Dorine)

Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte?
Qu'est-ce qu'on fait ceans? comme est-ce qu'on s'y porte?
DORINE.

Madame eut avant-hier la fièvre jusqu'au soir,

Avec un mal de tête étrange à concevoir.

Et Tartuffe?

ORGON.

DORINE.

Tartuffe il se porte à merveille,

Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.

Le pauvre homme!

ORGON.

DORINE.

Le soir, elle eut un grand dégoût,

Et ne put, au souper, toucher à rien du tout,

Tant sa douleur de tête étoit encor cruelle.

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La nuit se passa tout entière Sans qu'elle pût fermer un moment la paupière; Des chaleurs l'empêchoient de pouvoir sommeiller, Et jusqu'au jour, près d'elle, il nous fallut veiller. ORGON.

Et Tartuffe?

DORINE.

Pressé d'un sommeil agréable,
Il passa dans sa chambre au sortir de la table;
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.

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A la fin, par nos raisons gagnée,

Elle se résolut à souffrir la saignée; '.:

Et le soulagement suivit tout aussitôt.

Et Tartuffe?

ORGON.

DORINE.

Il reprit courage comme il faut;
Et contre tous les maux fortifiant son âme,

Pour réparer le sang qu'avoit perdu madame,
But, à son déjeuné, quatre grands coups de vin.

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Tous deux se portent bien enfin;
Et je vais à madame annoncer, par avance,
La part que vous prenez à sa convalescence.
CLEANTE

(elle sort.)

A votre nez, mon frère, elle se rit de vous;
Et sans avoir dessein de vous mettre en courroux.
Je vous dirai, tout franc, que c'est avec justice.
A-t-on jamais parlé d'un semblable caprice?

Et se peut-il qu'un homme ait un charme aujourd'hui,
A vous faire oublier toutes choses pour lui?

Qu'après avoir chez vous réparé sa misère,
Vous en veniez au point...

ORGON.

Alte-là, mon beau-frère, Vous ne connoissez pas celui dont vous parlez.

CLEANTE.

Je ne le connois pas, puisque vous le voulez ;
Mais enfin sans savoir quel homme ce peut être...
ORGON.

Mon frère, vous seriez charmé de le connoître,

Et vos ravissemens ne prendroient point de fin,

C'est un homme...qui...ah!...un homme...un homme enfin Qui suit bien ses leçons, goûte une paix profonde,

Et comme du fumier regarde tout le monde.

Oui, je deviens tout autre avec son entretien,
Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien;

De toutes amitiés il détache mon âme,

Et je verrois mourir, frère, enfans, mère, et femme,
Que je m'en soucierois autant que de cela.

CLEANTE.

Les sentimens humains, mon frère, que voilà!
ORGON.

Ah! si vous aviez vu comme j'en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l'amitié que je montre.
Chaque jour à l'église il venoit d'un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.
Il attiroit les yeux de l'assemblée entière,
Par l'ardeur dont au ciel il poussoit sa prière;
Il faisoit des soupirs, de grands élancemens,
Et baisoit humblement la terre à tous momens;
Et lorsque je sortois, il me devançoit vite,
Pour m'aller, à la porte, offrir de l'eau bénite.
Instruit par son garçon, qui dans tout l'imitoit,
Et de son indigence, et de ce qu'il étoit,
Je lui faisois des dons; mais avec modestie,
Il me vouloit toujours en rendre une partie.
C'est trop, me disoit-il, c'est trop de la moitié,
mérite pas de vous faire pitié.

Je ne

Et quand je refusois de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le répandre,

Enfin le ciel, chez moi, me le fit retirer;
Et, depuis ce temps-lâ, tout semble y prospérer.
Je vois qu'il reprend tout, et qu'à ma femme mème,
Il prend pour mon honneur, un intérêt extrême;
Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moi, six fois, il s'en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jusqu'où monte son zèle:
Il s'impute à péché la moindre bagatelle:
Un rien presque suffit pour le scandaliser,
Jusque-là qu'il se vint, l'autre jour, accuser
D'avoir pris une puce, en faisant sa prière,
Et de l'avoir tuée avec trop de colère.

CLEANTE.

Parbleu, vous êtes fou, mon frère, que je crois;
Avec de tels discours, vous moquez-vous de moi?
Et que prétendez-vous de tout ce badinage...
ORGON.

Mon frère, ce discours sent le libertinage :
Vous en êtes un peu dans votre âme entiché.
Et comme je vous l'ai, plus de dix fois, prêché,
Vous vous attirerez quelque méchante affaire.
CLEANTE.

Voilà de vos pareils le discours ordinaire :
Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux.
C'est être libertin, que d'avoir de bons yeux;
Et qui n'adore pas de vaines simagrées,
N'a ni respect ni foi pour les choses sacrées.
Allez, tous vos discours ne me font point de peur;
Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur.
De tous vos façonniers on n'est point les esclaves,
Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves;
Et comme on ne voit pas, qu'où l'honneur les conduit,
Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit;
Les bons et vrais dévots qu'on doit suivre à la trace,
Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace.
Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction

Entre l'hypocrisie et la dévotion?

Vous les voulez traiter d'un semblable langage,
Et rendre même honneur au masque qu'au visage;
Egaler l'artifice à la sincérité,

Confondre l'apparence avec la vérité;
Estimer le fantôme autant que la personne,
Et la fausse monnoie à l'égal de la bonne ?
Les homines, la plupart, sont étrangement faits;
Dans la juste nature on ne les voit jamais:
La raison a pour eux des bornes trop petites,
En chaque caractère, ils passent ses limites;
Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent,
Pour la vouloir outrer et pousser trop avant.
Que cela vous soit dit, en passant, mon beau-frère.

ORGON.

Oui, vous êtes, sans doute, un docteur qu'on révère; Tout le savoir du monde est chez vous retiré;

Vous êtes le seul sage, et le seul éclairé,

Un oracle, un Caton dans le siècle où nous sommes, Et près de vous, ce sont des sots que tous les hommes. CLEANTE.

Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré

Et le savoir, chez moi n'est point tout retiré
Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science,
Du faux, avec le vrai, faire la différence;

Et comme je ne vois nul genre de héros

Qui soient plus à priser que les parfaits dévots,

Aucune chose au monde et plus noble et plus belle
Que la sainte ferveur d'un véritable zèle;

Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux

Que le dehors plâtré d'un zèle spécieux,

Que ces francs charlatans, que ces dévots de place,
De qui la sacrilége et trompeuse grimace,
Abuse impunément, et se joue, à leur gré,
De ce qu'ont les mortels de plus saint et sacré;
Ces gens, qui par une âme à l'intérêt soumise,
Font de dévotion métier et marchandise,
Et veulent acheter crédit et dignités

A prix de faux clins d'yeux, et d'élans affectés;
Ces gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur non commune,
Par le chemin du ciel, courir à leur fortune;

Qui, brúlans et prians, demandent chaque jour,
Et prêchent la retraite, au milieu de la cour;
Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices,
Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices,
Et, pour perdre quelqu'un, couvrent insolemment
De l'intérêt du ciel leur fier ressentiment;
D'autant plus dangereux dans leur âpre colère
Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère,
Et que leur passion, dont on leur sait bon gré,
Veut nous assassiner avec un fer sacré.

De ce faux caractère on en voit trop paroître;
Mais les dévots de cœur sont aisés à connoître.
Notre siècle, mon frère, en expose à nos yeux,
Qui peuvent nous servir d'exemples glorieux.
Regardez Ariston, regardez Périandre,
Oronte, Alcidamas, Polidore, Clitandre;
Ce titre par aucun ne leur est débattu,
Ce ne sont point du tout fanfarons de vertu;
On ne voit point en eux ce faste insupportable,
Et leur dévotion est humaine et traitable.
Ils ne censurent point toutes nos actions,
Ils trouvent trop d'orgueil dans ces corrections,
Et laissant la fierté des paroles aux autres,
C'est par leurs actions qu'ils reprennent les nôtres.
L'apparence du mal a chez eux peu d'appui,
Et leur âme est portée à juger bien d'autrui;
Point de cabale en eux point d'intrigues à suivre:
On les voit, pour tous soins, se mêler de bien vivre.
Jamais, contre un pécheur, ils n'ont d'acharnement,
Ils attachent leur haine au péché seulement,
Ils ne veulent point prendre, avec un zèle extrême,
Les intérêts du ciel plus qu'il ne veut lui-même.
Voilà mes gens, voilà comme il en faut user,
Voilà l'exemple enfin, qu'il me faut proposer.
Votre homme, à dire vrai, n'est pas de ce modèle,
C'est de fort bonne foi que vous vantez son zèle;
Mais par un faux éclat je vous crois ébloui.

ORGON.

Monsieur, mon cher beau-frère, avez-vous dit tout>

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De grâce un mot, mon frère,

Laissons là ce discours: vous savez que Valère,

Pour être votre gendre, a parole de vous.

Oui.

Il est vrai.

ORGON.

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CLEANTE.

Pourquoi donc en différer la fête!

Qui.

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Pour dire un mot, faut-il tant de finesses?

Valère sur ce point me fait vous visiter.

Le ciel en soit loué.

ORGON.

CLEANTE.

Mais que lui reporter?
ORGON.

Tout ce qu'il vous plaira.

CLEANTE.

Mais il est nécessaire

De savoir vos desseins. Quels sont-ils donc?

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CLEANTE, seul.

Pour son amour je crains une disgrâce,

Et je dois l'avertir de tout ce qui se passe.

Molière.

§ 41. Scène d' Amphitrion.

MERCURE, sortant de la maison d'Amphitrion sous la figure de Sosie. SOSIE, arrivant du camp d'Amphitrion, pour annoncer à Alcmène la nouvelle de la victoire.

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Dont l'abord importun troubleroit la douceur
Que nos amans goûtent ensemble.
Sosie, sans voir Mercure.
Mon cœur tant soit peu se rassure,
Et je pense que ce n'est rien.
Crainte pourtant de sinistre aventure,
Allons chez nous achever l'entretien.
MERCURE, à part.

Tu seras plus fort que Mercure,
Ou je t'en empêcherai bien.

SOSIE, sans voir Mercure.

Cette nuit en longueur me semble sans pareille.
Il faut depuis le temps que je suis en chemin,
Ou que mon maître ait pris le soir pour le matin,
T. III. p. 2.

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