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Ruisseau, qui baignes cette plaine,
Je te ressemble en bien des traits:
Toujours même penchant t'entraîne;
Le mien ne changera jamais.

Tu fais éclore des fleurettes ;
J'en produis aussi quelquefois :
Tu gazouilles sous ces coudrettes;
De l'Amour j'y chante les lois.

Ton murmure flatteur et tendre
Ne cause ni bruit, ni fracas :

Plein du souci qu'Amour fait prendre,
Si j'en murmure, c'est tout bas.

Rien n'est, dans l'empire liquide,
Si pur que l'argent de tes flots:
L'ardeur qui dans mon sein réside,
N'est pas moins pure que tes eaux.

Des vents qui font gémir Neptune,
Tu braves les coups redoublés:
Des jeux cruels de la fortune
Mes sens ne sont jamais troublés.

Tu n'as pas d'embûche profonde;
Je n'ai point de piége trompeur:
On voit jusqu'au fond de ton onde;
On lit jusqu'au fond de mon cœur.

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§32. L'Amour fouetté.

Jupiter, prête-moi ta foudre
S'écria Lycoris un jour;
Donne, que je réduise en poudre
Le temple où j'ai connu l'Amour.

Alcide que ne suis-je armée
De ta massue et de tes traits,
Pour venger la terre alarmée,
Et punir un dieu que je hais!
Médée, enseigne-moi l'usage
De tes plus noirs enchantemens;
Formons pour lui quelque breuvage,
Egal au poison des amans.

Ah! si dans ma fureur extrême
Je tenois ce monstre odieux !....
Le voilà, lui dit l'Amour même
Qui soudain parut à ses yeux.

Venge-toi, punis, si tu l'oses...
Interdite à ce prompt retour
Elle prit un bouquet de roses
Pour donner le fouet à l'Amour.

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Tu dois être la plus heureuse,
Comme la plus belle des fleurs.

Va, meurs sur le sein de Thémire;
Qu'il soit ton trône et ton tombeau;
Jaloux de ton sort, je n'aspire
Qu'au bonheur d'un trépas si beau.

Tu verras quelque jour, peut-être,
L'asile où tu dois pénétrer;
Un soupir t'y fera renaître
Si Thémire peut soupirer.

L'amour aura soin de t'instruire
Du côté que tu dois pancher;
Eclate à ses yeux sans leur nuire,
Pare son sein, sans le cacher.

Si quelque main a l'imprudence
D'y venir troubler ton repos,
Emporte avec toi ma vengeance,
Garde une épine à mes rivaux.

Le même.

§34. L'Amour et les nymphes.

Auprès d'une féconde source,
D'où coulent cent petits ruisseaux,
L'Amour, fatigué de sa course,
Dormoit sur un lit de roseaux.

Les Naïades sans défiance
S'avancent d'un pas concerté,
Et toutes en un grand silence,
Admirent sa jeune beauté.

Ma sœur, que sa bouche est vermeille!
Dit l'une, d'un ton indiscret:
L'Amour qui l'entend, se réveille,
Et se félicite en secret.

Il cache ses desseins perfides
Sous un air engageant et doux:
Les nymphes bientôt moins timides,
Le font asseoir sur leurs genoux.

Eucharis, Naïs et Thémire
Couronnent sa tête de fleurs.
L'Amour d'un gracieux sourire,
Répond à toutes leurs faveurs.

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§ 36. Scène de l'école des femmes.

ARNOLPHE, vieillard amoureux d'Agnès qu'il a élevée
et qu'il veut épouser; AGNES amoureuse d'Horace qu'elle a
suivi, et qui l'a remise, sans s'en douter, entre les mains
d'Arnolphe, son rival.

ARNOLPHE, caché dans son manteau et déguisant sa voix,
Venez, ce n'est pas là que je vous logerai,

Et votre gîte ailleurs est par moi préparé.
Je prétends en lieu sûr mettre votre personne.
(Se faisant connoitre)}

Me connoissez-vous ?

Le même.

AGNES.
Hai!
ARNOLPHE.

Mon visage, friponne

Dans cette occasion rend vos sens effrayés,
Et c'est à contre-cœur qu'ici vous me voyez;
Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède.
(Agnès regarde si elle ne verra point Horace)
N'appelez point des yeux le galant à votre aide;
Il est trop éloigné pour vous donner secours.
Ah! ah! si jeune encor vous jouez de ces tours!
Votre simplicité, qui semble sans pareille,
Demande si l'on fait les enfans par l'oreille;
Et vous savez donner des rendez-vous la nuit,
Et pour suivre un galant vous évader sans bruit!
Tu dieu comme avec lui votre langue cajole !
Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne école !
Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris?
Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits ?
Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie?
Ah! coquine, en venir à cette perfidie!
Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein!
Petit serpent que j'ai rechauilé dans mon sein,
Et qui, dès qu'il se sent, par une humeur ingrate,
Cherche à faire du mal à celui qui le flatte!

Pourquoi me criez-vous ?

AGNES

ARNOLPHE

AGNES

J'ai grand tort en effet.

Je n'entends point de mal dans tout ce que j'ai fait.

ARNOLPHE

Suivre un galant n'est pas une action infâme?

AGNES

C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme: J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêché

Qu'il se faut marier pour ôter le péché.

ARNOLPHE

Oui...Mais pour femme, moi, je prétendois vous prendre, Et je vous l'avois fait, me semble, assez entendre.

AGNES

Oui, mais, à vous parler franchement entre nous,
Il est plus pour cela selon mon goût que vous.
Chez vous le mariage est fâcheux et pénible;
Et vos discours en font une image terrible;
Mais, las! il le fait, lui, si rempli de plaisirs
Que de se marier il donne les désirs.

ARNOLPHE

Ah! c'est que vous l'aimez, traîtresse !

AGNES

ARNOLPHE

Oui, je l'aime.

Et vous avez le front de le dire à moi-même !

AGNES

Et pourquoi, s'il est vrai, ne le dirois-je pas ?
ARNOLPHE

Le deviez-vous aimer, impertinente?

AGNES

Hélas!

Est-ce que j'en puis mais? lui seul en est la cause;
Et je n'y songeois pas lorsque se fit la chose.

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Mon dieu! ce n'est pas moi que vous devez blâmer:
Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer?
Je ne vous en ai pas empêché, que je pense.
ARNOLPHE

Je m'y suis efforcé de toute ma puissance;
Mais les soins que j'ai pris, je les ai perdus tous.

AGNES

Vraiment il en sait donc là-dessus plus que vous;
Car à se faire aimer il n'a point eu de peine.
ARNOLPHE, à part.

Voyez comme raisonne et répond la vilaine.
Peste! une précieuse en diroit-elle plus?
Ah! je l'ai mal connue; ou, ma foi, là-dessus
Une sotte en sait plus que le plus habile homme.
(A Agnès)

Puisqu'en raisonnemens votre esprit se consomme,
La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long-temps
Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens?

AGNES

Non, il vous rendra tout jusques au dernier double.
ARNOLPHE, bas, à part.
Elle a de certains mots où mon dépit redouble.
(Haut)

Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir,
Les obligations que vous pouvez m'avoir?

AGNES

Je ne vous en ai pas d'aussi grandes qu'on pense.
ARNOLPHE

N'est-ce rien que les soins d'élever votre enfance?
AGNES

Vous avez là-dedans bien opéré vraiment,

Et m'avez fait en tout instruire joliment!

Croit-on que je me flatte, et qu'enfin dans ma tête
Je ne juge pas bien que je suis une bête?

Moi-même j'en ai honte; et, dans l'âge où je suis,
Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis.

ARNOLPHE

Vous fuyez l'ignorance, et voulez, quoi qu'il coûte,
Apprendre du blondin quelque chose?

AGNES

Oui, sans doute, C'est de lui que je sais ce que je veux savoir; Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir. T. III. p. 3.

6

ARNOLPHE

Je ne sais qui me tient qu'avec une gourmade
Ma main de ce discours ne venge la bravade.
J'enrage quand je vois sa piquante froideur;
Et quelques coups de poing satisferoient mon cœur.

AGNES

Hélas! vous le pouvez, si cela vous peut plaire.
ARNOLPHE, à part.

Ce mot, et ce regard désarment ma colère,
Et produit un retour de tendresse de cœur
Qui de son action efface la noirceur.

Chose étrange d'aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles foiblesses!
Tout le monde connoît leur imperfection;
Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion ;
Leur esprit est méchant et leur âme fragile;
Il n'est rien de plus foible et de plus imbécille,
Rien de plus infidèle: et malgré tout cela
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.
(A Agnès)

Hé bien! faisons la paix. Va, petite traîtresse,
Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse;
Considère par là l'amour que j'ai pour toi,
Et, me voyant si bon, en revanche aime-moi.

AGNES

Du meilleur de mon cœur je voudrois vous complaire: Que me coûteroit-il, si je le pouvois faire?

ARNOLPHE

Mon pauvre petit cœur, tu le peux, si tu veux.
Ecoute seulement ce soupir amoureux;

Vois ce regard mourant, contemple ma personne,
Et quitte ce morveux et l'amour qu'il te donne.
C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi;
Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.

Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.
AGNES

Tenez, tous ces discours ne me touchent point l'âme;
Horace avec deux mots en feroit plus que vous.
ARNOLPHE

Ah! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux.
Je suivrai mon dessein, bête trop indocile,
Et vous dénicherez à l'instant de la ville.
Vous rebutez ines vœux et me mettez à bout;
Mais un fond de couvent me vengera de tout.

Molière.

§ 37. Scène du misantrope.

ALCESTE

Madame voulez-vous que je vous parle net?
De vos façons d'agir je suis mal satisfait;
Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble,
Et je sens qu'il faudra que nous rompions ensemble.
Oui, je vous tromperois de parler autrement:
Tôt ou tard nous romprons indubitablement;
Et je vous promettrois mille fois le contraire,
Que je ne serois pas en pouvoir de le faire.
CÉLIMENE

C'est
pour me quereller donc, à ce que je voi,
Que vous avez voulu me ramener chez moi.

ALCESTE

Je ne querelle point, mais votre humeur, madame,
Ouvre au premier venu trop d'accès dans votre âme;

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