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336. A Monsieur le Marquis des Issarts Ambassadeur de Francé à Dresde. Monsieur,

La lettre aimable, dont vous m'honorez, me donne bien du plaisir et bien des regrets, elle me fait sentir tout ce que j'ai perdu, J'ai pu être témoin du moment où votre excellence signoit le bonheur de la France; j'ai pu voir la cour de Dresde, et je ne l'ai point vue. Je ne suis pas ne heureux; mais vous, Monsieur, avouez que vous êtes aussi heureux que vous le méritez. Vous avez retrouvé à Dresde ce que vous aviez quitté à Versailles, un roi aimé de ses sujets.

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Rien ne prouve mieux combien il est difficile de savoir au juste la vérité dans ce monde; et puis, Monsieur, les personnes qui la savent le mieux, sont toujours celles qui la disent le moins. Par exemple, ceux qui ont eu l'honneur d'approcher des trois princesses que la reine de Pologne a données à la France, à Naples, et à Munich, pourront-ils jamais dire laquelle des trois nations est la plus heureuse.

Que même on demande à la reine,
Quel plus beau présent elle a fait,
Et quel fut son plus grand bienfait,
On la rendra fort incertaine.
Mais si de moi l'on veut savoir,
Qui des trois peuples doit avoir
La plus tendre reconnoissance,
Et nourrir le plus doux espoir,
Ne croyez pas que je balance.

En voyant Monseigneur le Dauphin' avec Madame la Dauphine, je me souviens de Psyché, et je songe que Psyché avoit deux

sœurs:

Chacune des deux étoit belle,
Tenoit une brillante cour,
Eut un mari jeune et fidèle:
Psyché seule épousa l'Amour.

Mais il y auroit peut-être, Monsieur, un moyen de finir cette dispute, dans laquelle Paris auroit coupé sa pomme en tröls.

Je suis d'avis que l'on préfère Celle qui le plus promptement

Saura donner un bel enfant

Semblable à leur auguste mère.

Vous voyez, Monsieur, que sans être politique j'ai l'esprit conciliant: je compte .bien vous faire ma cour avec de tels sehtimens. J'ai l'honneur d'être avèc respect, Monsieur, de votre excellence, etc.

§337. Le Hamedu.

Rien n'est si beau
Que mon hameau.
O quelle image!
Quel paysage
Fait pour Vateau !
Mon hermitage
Est un berceau,
Dont le treillage
Couvre un caveau.
Au voisinage,
C'est un ormeau,
Dont le feuillage
Prête un ombrage
A mon troupeau.
C'est un ruisseau,
Dont l'onde pure
Peint sa bordure

D'un vert nouveau.
Mais c'est Sylvie
Qui rend ces lieux
Dignes d'envie,
Dignes des dieux.

Là, chaque place Donne à choisir Quelque plaisir, Qu'un autre elface.

C'est alentour
De ce domaine,
Que je promène,
Au point du jour,
Ma souveraine.

Si l'aube en pleurs
A fait éclore
Moissons de fleurs;
Ma jeune Flore
A des couleurs,
Qui près des leurs
Brillent encore.

Si les chaleurs
Nous font descendre
Vers ce Méandre,
Une onde claire
S'offre aussitôt.
L'air est si chaud!

faire?

Tous deux que
Assis auprès,
Comis après
Joint à Pomone
Ce qu'il nous donne
A peu de frais.

Gaîté nouvelle,
Quand le vin frais

Voltaire.

Coule à longs traits;
Toujours la belle
Donne ou reçoit
Fuit ou m'appelle,
Rit, aime ou boit.
Le chant succède,
Et ses accens
Sont l'intermède
Des autres sens.
Sa voix se mêle
Aux doux hélas
De Philomèle

Qui, si bien qu'elle,
Ne chante pas.

Telle est la chaîne

De nos désirs,
Nés sans soupirs,
Comblés sans peine,
Et qui ramène
De nos plaisirs,
L'heure certaine.

Ne le

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§ 338. Lettre au Roi de Prusse.

Vous ordonnez que je yous dise
Tout ce qu'à Cirey nous faisons:

e voyez-vous pas, sans qu'on vous en instruise?
Vous êtes notre maître, et nous vous imitons:
Nous retenons de vous les plus belles leçons
De la sagesse d'Epicure.
Comme vous, nous sacrifions
A tous les arts, à la nature;
Mais de fort loin nous vous suivons,
Ainsi tandis qu'à l'aventure 97709
Le dieu du jour lance un rayon

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Au fond de quelque, chambre obscure,
De ces traits la lumière pure
Y peint du plus vaste horizon
La perspective en miniature.
Une telle comparaison

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Se sent un peu de la lecture
Et de Kirker et de Newton.
Par ce ton si philosophique
Qu'ose prendre ma foible voix.
Peat-être je gåte à la fois
La poésie et la physique.
Mais cette nouveauté me pique;
Et du vieux code poétique
Je commence à braver les lois.
Qu'un autre dans ses vers lyriques,
Depuis deux mille ans répétés,
Brode encor des fables antiques;
Je veux de neuves vérités.

Divinités des bergeries,

Naïades des rives fleuries,

Satyres qui dansez toujours,

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Vieux enfans que l'on nomme amours,
Qui faites naître en nos prairies

De mauvais vers et de beaux jours,

Allez remplir les hémistiches

De ces vers pillés et postiches,

Des rimailleurs suivant les cours.

D'une mesure cadencée

Je connois le charme enchanteur;
L'oreille est le chemin du cœur;

Bernard.

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§ 339. Au Roi de Prusse.

Sire,

Pendant que j'étois malade, votre majesté a fait plus de belles actions, que je n'ai eu d'accès de fièvre. Je ne pouvois répondre aux dernières bontés de votre majesté. Où aurois-je d'ailleurs adressé ma lettre? A Vienne à Presbourg? à Temes var? Vous pouviez être dans quelqu'une de ces villes; et même, s'il est un être qui puisse se trouver en plusieurs lieux à la fois, c'est assurément votre personne, en qualité d'image de la divinité, ainsi que le sont tous les princes, et d'image très-pensante et très-agissante. Enfin, sire, je n'ai point écrit, parce que j'étois dans mon lit quand votre majesté couroit à cheval au milieu des neiges et des succès.

D'Esculape les favoris
Sembloient même me faire accroire
Que j'étois dans le seul pays
Où n'arrive point votre gloire.

Je n'ai mis qu'un pied sur le bord du Styx, mais je suis très-fàché, sire, du nombre des pauvres malheureux que j'ai vus passer. Les uns arrivoient de Scharding, les autres de Prague ou d'Iglau.

Au lieu de cette horrible guerre Dont chacun sent les contre-coups,

T. III. p. 4.

.

ce bon abbe Saint-Pierre Que ne vous en rapportez-vous ?

Il vous accorderoit tout aussi aisément, que Licurgue partagea les terres de Sparte, et qu'on donne des portions égales aux moines. Il établiroit les quinze dominations de Henri IV. Il est vrai pourtant, que Henri IV n'a jamais songé à un tel projet. Les commis du duc de Sulli, qui ont fait ses mémoires, en ont parle; mais le secre taire d'état Villeroi, ministre des affaires étrangères, n'en parle point. Il est plai sant qu'on ait attribué à Henri IV le pro jet de déranger tant de trones, quand il venoit à peine de s'affermir sur le sien. En attendant, sire, que la diete Européane, ou Européène, s'assemble pour rendre tous les monarques modérés, et contens, votre majesté m'ordonne de lui envoyer ce que j'ai fait depuis peu du siècle de Louis XIV, car elle a le teinps de lire quand les autres hommes n'ont point de temps. Je fais venir mes papiers de Bruxelles; je les ferai transcrire, pour obéir aux ordres de votre majesté. Elle verra peut-être que j'embrasse un trop grand terrain; mais je travaillois principalement pour elle, et j'ai jugé que la sphère du monde n'étoit pas trop grande. J'aurai donc l'honneur, sire, d'envoyer dans un mois à votre majesté un Enorme paquet, qui la trouvera au milieu de quelque bataille, ou dans une

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tranchée. Je ne sais si vous êtes plus heu
reux dans tout ce fracas de gloire, que vous
l'étiez dans cette douce retraite de Remus
berg.

Cependant, grand roi, je vous aime,
Tout autant que je vous aimai,
Lorsque vous étiez renfermé
Dans Remusberg et dans vous-même;
Lorsque vous borniez vos exploits

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A combattre avec éloquence
L'erreur, les vices, l'ignorance,
Avant de combattre des Rois.

Recevez, sire, avec votre bonté or dinaire, mon profond respect, et l'assurance de cette vénération qui ne finira jamais, et de cette tendresse qui ne finira que quand vous ne m'aimerez plus.

§ 340. Au Roi de Prusse.

Le Salomon du nord en est donc l'Alexandre;
Et l'amour de la terre en est aussi l'effroi!
Vos ennemis doivent apprendre

Qu'il faut que les guerriers prennent de vous la loi,
Comme on vit les sayans la prendre.

J'aime peu les héros, ils font trop de fracas:
Je hais ces conquérans Eers ennemis d'eux-mêmes,
Qui dans les horreurs des combats
Ont placé tous les biens supremes,
Cherchant partout la mort, et la fasant souffre
A cent mille hommes leurs semblables.
Plus leur gloire à d'éclat, plus ils sont haïssables,
O ciel que je dois vous hair!

Je vous aime pourtant, malgré tout ce carnage,

Dont vous avez souillé les champs de pos Germains;

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Malgré tous ces guerriers que vos vaillantes mains à deve of

Font passer au sombre rivage,

Vous êtes un béros; mais vous êtes un sage:
Votre raison maudit les exploits inhumains,
Où vous força votre courage,

Au milieu des canons, sur des morts entassés,
Affrontant le trepas, et fixant la victoire,
Je vous pardonne tout, si vous en gémissez,

Je songe à l'humanité, sire, avant de songer à vous-mêmes; mais après avoir, en abbé de Saint-Pierre, pleuré sur le genre humain dont vous devenez la terreur, je me livre à toute la joie que me donne votre gloire. Cette gloire sera complète, si votre majesté force la reine de Hongrie à recevoir la paix, et les Allemands à être heureux. Vous voilà le héros l'Allemagne, et l'arbitre de l'Europe; vous en serez le pacificateur, et nos prologues d'opéra seront pour vous.

La fortune qui se joue des hommes, mais qui vous semble asservie, arrange plaisamment les événemens de ce monde. Je savois bien que vous feriez de grandes actions; j'étois sur du beau siècle que vous allez faire naître; mais je ne me doutois pas, quand le comte du Four alloit voir le maréchal de Broglio, et qu'il n'en étoit pas trop content, qu'un jour ce comte du Four auroit la bonté de marcher avec une armée triomphante au secours du maréchal, et le délivreroit par une victoire. Votre majesté n'a pas daigné jusqu'à présent instruire le monde des détails de cette

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Voltaire.

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journée. Elle a eu, je crois, autre chose à faire que des relations: mais votre modestie est trahie par quelques témoins oculaires, qui disent tous qu'on ne doit le gain de la bataille qu'à l'excès de courage et de prudence que vous avez montré. Ils ajoutent, que mon héros est toujours sensible, et que ce même homine, qui fait tuer tant de monde, est au chevet du lit de M. de Rotembourg Voilà ce que vous ne me mandez point, et que vous pourriez pour tant avouer, comme des choses qui vous sont toutes naturelles.

Continuez, sire, mais faites autant d'beureux au moins dans ce monde, que vous en avez êté; que mon Alexandre redevienne Salomon le plutôt qu'il pourra, et qu'il daigne se souvenir quelquefois de son ancien admirateur, de celui qui par le cœur est à jamais son sujet; de celui qui viendroit passer sa vie à vos pieds, si l'amitié, plus forte que les rois et les héros, ne le retenoit pas, et qui sera attaché à jamais à votre majesté avec le plus profond respect et la plus tendre vénération.

Voltaire.

*

§ 341. Au Roi de Prusse.

Sire,

Antoines, et les Octaves yes devancierss, gens à grandes actions et à bons nots. Faites comme vous l'entendrez avec les rois: battez-les, quittez-les, querellez-vous, : raccommodez-vous; mais ne soyez jamais 5 inconstant pour les particuliers qui vous adorent.

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J'ai reçu votre lettre aimable,
Et vos vers fins et délicats,
Pour prix de l'énorme fatras
Dont, moi pédant, je vous accable,
C'est ainsi qu'un franc discoureur,
Croyant captiver le suffrage
De quelque esprit supérieur,
En de longs argumens s'engage.
L'homme d'esprit, par un seul mot,
Répond à tout ce verbiage,
Et le discoureur n'est qu'un sot.

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3

Votre humanité est plus adorable que jamais il n'y a plus moyen de vous dire toujours votre majesté. Cela est bon pour des princes de l'Empire, qui ne voient en vous que le roi: maís moi, qui vois Thomme, et qui ai quelquefois de l'enthousiasme, j'oublie dans mon ivresse le monarque, pour ne songer qu'à cet homme enchanLeshte dage entst zor

teur.

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Vos faveurs étoient dangereuses
Aux rois qui le inéritent bien.
Tous ces héros-là n'aiment rien,
Et leurs promesses sont trompeuses.
Mais moi qui ne vous trompe pas,
Et dont l'amour toujours fidèle...
Sent tout le prix de vos appas,
Moi qui vous eusse aimé cruelle,
Je jouirai sans repentir
Des caresses et du plaisir
Qui fait votre muse infidèle,

Il pleut ici de mauvais livres et de mauvais vers. Mais comme votre majesté ne Juge de Lintz, elle ne juge pas non plus de pas de tous nos guerriers par l'aven l'esprit des François, par les étrennes de la St. Jean, ni par lés grossièretés de l'abbé des Fontaines.

A

If n'y a rien de nouveau parmi nos Sibarites de Paris. Voici le seul trait digne, je crois, d'être conté à votre majesté. Le 20cardinal de Fleuri, après avoir été assez 26 malade, s'avisa il y a deux jours, ne sadchant que faire, de dire la messe à un petit So autel, au milieu d'un jardin où il geloit.

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M. Amelot et M. de Breteuil arrivèrent, eť lui dirent, qu'il se jouoit à se tuer: bon, bon, on, messieurs, dit-il, vous êtes des douillets. Aquatre-vingt-dix an, quel homme! sire, Kongo vivez autant, dussiez-vous dire la messe à et âge, et moi la servir. Je suis avec le plus profond respect.

Dites-moi par quel art sublimed
Vous avez pu faire à la fois
Tant de progrès dans l'art des rois,
Et dans l'art charmant de la rimé.
Cet art des vers est le premier,
Il faut que le monde l'avoue;
Car des rois que ce monde loue,
L'un fut prudent, l'autre guerrier;
Celui-ci, gai, doux et paisible,
Joignit le myrte à l'olivier,
Fut indolent et familier,
Cet autre ne fut que terrible.
J'admire leurs talens divers,
Moi qui compile leur histoire,
Mais aucun deux n'obtint la gloire
De faire de si jolis vers.
O mon héros, esprit fertile,
Animé de ce divin feu,
Régner et vaincre n'est qu'un jeu,
Et bien rimer est difficile!
Mais non, cet art noble et charmant
N'est pour vous qu'un délassement;
L'homme universel que vous êtes!
Vous saisissez égaleinent
La lyre aimable des poëtes

Et de Mars le foudre assommant!
Tout est pour vous amusement,
Vos mains à tout sont toujours prêtes;
Vous rimez non moins aisément
Que vous avez fait vos conquêtės.

Si la reine de Hongrie et le roi mon seigneur et maître voyoient la lettre de votre majesté, ils ne pourroient s'empêcher de rire, malgré le mal que vous avez fait à l'une, et le bien que vous n'avez pas fait à l'autre. Votre comparaison d'une coquette, est une chose aussi plaisante qu'en aient dit les Césars, et les

cet

Voltaire.

$3423 Au Roi de Prusse.

Du héros de la Germanie,
Et du plus bel esprit des rois,
Je n'ai reçu depuis trois mois
Ni beaux vers, ni prose polie:
Ma muse en est en léthargie.
Je me réveille aux fiers accens
De l'Allemagne ranimée,
Aux fanfares de votre armée,
A vos tonnerres menaçans,
Qui se mêlent aux cris perçans
Des cent voix de la renommée.
Je vois de Berlin à Paris,
Cette déesse vagabonde
De Frédéric et de Louis
Porter les noms au bout du monde;
Ces noms que la gloire a tracés
Dans un cartouche de lumière,
Ces noms qui répondent assez
Du bonheur de l'Europe entière,
S'ils sont toujours entrelacés.

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