L'amour dans mes plaisirs ne mêle plus ses peines, La tardive raison vient de briser mes chaînes. J'ai quitté prudemment ce dieu qui m'a quitté. J'ai passé l'heureux temps fait pour la volupté: Est-il donc vrai, grands dieux! il ne faut plus que j'aime. La foule des beaux-arts, dont je veux tour à tour Remplir le vide de moi-même,
N'est point encore assez pour remplacer l'amour.
L'hiver, suivi des vents, des frimas, des orages, De ces aimables lieux trouble l'heureuse paix. Il a déjà ravi par de cruels outrages,
Ce que la terre avoit d'attraits. Qu'elles douloureuses images
Le désordre qu'il fait imprime dans l'esprit! Hélas! ces prés sans fleurs, ces arbres sans feuillages, Ces ruisseaux glacés, tout nous dit;
Le temps fera chez vous de semblables ravages. Comme la terre nous gardons
Jusques au milieu de l'automne
Quelques-uns des appas que le printemps nous donne: L'hiver vient-il? nous les perdons.
Pouvoir, trésors, grandeurs, n'en exemptent personne: On se déguise en vain ces tristes vérités; Les terreurs, les infirmités,
De la froide vieillesse ordinaires compagnes, Font sur nous, ce que font les autans irrités, Et la neige sur les campagnes. Encor, si, comme les hivers
Dépouillent les forêts de leurs feuillages verts, L'àge nous dépouilloit des passions cruelles, Plus fortes à dompter que ne le sont les flots; Nous goûterions un doux repos
Qu'on ne peut trouver avec elles. Mais nous avons beau voir détruire par le temps La plus forte santé, les plus vifs agrémens; Nous conservons toujours nos premières foiblesses. L'ambitieux, courbé sous le fardeau des ans, De la fortune encore écoute les promesses; L'avare, en expirant, regrette moins le jour, Que ses inutiles richesses;
Et qui jeune a donné tout son temps à l'amour, Un pied dans le tombeau veut encore des maîtresses. Il reste dans l'esprit un goût pour les plaisirs, Presque aussi dangereux que leur plus doux usage. Pour être heureux, pour être sage, Il faut savoir donner un frein à ses désirs.
Mieux qu'un autre, sage Timandre, De cet illustre effort vous connoissez le prix, Vous, en qui la nature a joint une âme tendre Avec un des plus beaux esprits; Vous, qui dans la saison des grâces et des ris, Loin d'éviter l'amour, faisiez gloire d'en prendre, Et qui, par effort de raison,
Fuyez de ses plaisirs la folle inquiétude,
Avant que l'arrière-saison
Vous ait fait ressentir tout ce qu'elle a de rude.
Abrège ta course, Amant de Thétis; Soleil, amortis
Tes feux dans leur source. L'excès des chaleurs A brûlé nos plaines, A séché nos fleurs, Tari nos fontaines; L'Aurore est sans pleurs, Zéphir sans haleines, Flore sans couleurs. La seule Pomone, Sous ce frais berceau, Rit et se couronne Du pampre nouveau; Et du vin qui coule S'abreuve une foule De jeunes Sylvains, Qu'on voit dans la plaine Soutenir à peine Leurs pas incertains. Viens, mon cher Ariste; Fuis l'empire vain D'une raison triste. Est-ce au dieu du vin Qu'un sage résiste ? Sois sage, mais boi. Vois le dieu du Pinde, Esclave avec toi, Du vainqueur de l'Inde Suivre ici la loi. Il veut qu'on allie, Sur un même ton, Maxime et saillie; Pétrone et Caton, Sagesse et folie. Ainsi verra-t-on Epicure à table, Au banquet aimable D'un nouveau Platon. J'y veux, pour convive, L'enfant de Cypris; Au milieu des ris, Sa chaleur plus vive Plaît à mes esprits. Couché sous la treille, Si quelqu'un sommeille; Par un tendre effort, Qu'amour le réveille, Quand Bacchus l'endort.
Austère Chrysippe, Vas-tu follement Poser un principe Contre un sentiment? Pourquoi d'un moment Que le ciel nous donne, Nous faire un tourment? La nature ordonne; Mon cœur obéit: Sénèque raisonne; Horace jouit.
Ecoute l'emblême
Dont il nous instruit. D'une ardeur extrême Le temps nous poursuit, Détruit par lui-même Par lui reproduit; Plus léger qu'Eole, Il naît et s'envole, Renaît et s'enfuit.
Enivrons Saturne; Ce vieillard plus doux, Egayant pour nous Son front taciturne, Perdra son courroux Au fond de cette urne; Devenu plus lent Ce dieu turbulent Pour reprendre haleine, Prendra de Silène Le pas nonchalant.
Sous l'ombre propice De ce bois sacré, Pour le sacrifice L'autel est paré. Ce lieu solitaire Est le sanctuaire, Où, libre d'ennui, Je dois aujourd'hui Immoler les craintes, Les soins, les contraintes, Et les vains désirs, Tyrans des plaisirs.
Déjà sous la tonne La coupe à la main, Hébé me couronne D'un lierre divin, Et Comus ordonne L'apprêt du festin. Les nymphes accourent, Les faunes m'entourent, Le vin va couler, L'encens va brûler; La victime est prête, On va l'immoler. Ami, qui t'arrête; Thémire, avec moi, Pour ouvrir la fête, N'attend plus que toi.
De l'urne céleste Le signe funeste Domine sur nous, Et sous lui commence L'humide influence De l'Ourse en courroux. L'onde suspendue Sur les monts voisins, Est dans nos bassins En vain attendue. Ces bois, ces ruisseaux N'ont rien qui m'amuse; La foide Arétuse
Fuit dans les roseaux: C'est en vain qu'Alphée Mêle avec ses eaux Son onde échauffée.
Telle est des saisons La marche éternelle :- Des fleurs, des moissons, Des fruits, des glaçons. Ce tribut fidèle Qui se renouvelle
Avez nos désirs,
En changeant nos plaines, Fait tantôt nos peines, Tantôt nos plaisirs.
Cédant nos campagnes Au tyran des airs, Flore et ses compagnes Ont fui ces déserts. Si quelqu'une y reste, Son sein outragé Gémit, ombragé D'un voile funeste.
La nymphe modeste Versera des pleurs Jusqu'au temps des fleurs. Quand d'un vol agile, L'amour et les jeux Passent dans la ville, J'y passe avec eux. Sur la double scène Suivant Melpomène Et ses jeux nouveaux, Je vais voir la guerre Des auteurs nouveux, Qu'on juge au parterre, Là, sans affecter Les dédains critiques, Je laisse avorter Les brigues publiques. Du beau seul épris, Envie ou mépris Jamais ne m'enflamme; Seulement dans l'âme J'approuve ou je blâme, Je bâille ou je ris. Dans nos folles veilles, Je vais de mes airs Frapper tes oreilles. Après nos concerts, L'ivresse au délire Pourra succéder. Sous un double empire, Je sais accorder Le thyrse et la lyre: J'y crois voir Thémire, Le verre à la main, Chanter son refrein. Folâtrer et rire.
Quel sort plus heureux ? Buveur, amoureux, Sans soin, sans attente, Je n'ai qu'à saisir Un riant loisir: Pour l'heure présente, Toujours un plaisir;
Pour l'heure suivante Toujours un désir.
Coulez, mes journées, Par un nœud si beau Toujours enchaînées, Toujours couronnées D'un plaisir-nouveau. Qu'à son gré la Parque Hâte mes instans, Les compte et les marque Aux fastes du temps; Je l'attends sans crainte; Par sa rude atteinte Je serai vaincu, Mais j'aurai vécu. Sans date ni titre, Dormant à demi, Ici ton ami Finit son épître. En rimant pour toi Le dernier chapitre, La table où je boi Me sert de pupitre, De tes vins divers Je serai l'arbitre; Sois-le de mes vers. Je te les adresse;
S'ils sont sans justesse,
Sans délicatesse,
Sans ordre et sans choix; En de folles rimes, On lit quelquefois
De sages maximes.
§318. Le Printemps.
Sur l'herbage tendre
Le ciel vient d'étendre Un tapis de fleurs; Et l'aurore arrose, De ses tendres pleurs, De la jeune rose Les vives couleurs. Déjà Philomèle Ranime ses chants, Et l'onde se mêle A ses sons touchans. Sur un lit de mousse, Les amours, au frais, Aiguisent des traits Qu'avec peine émousse La froide raison, Qui croit qu'elle règne, Quand elle dédaigne La belle saison.
Nos berceaux se couvrent Du souple jasmin; Nos yeux y découvrent Le riant chemin Par où le mystère, Servant nos désirs, Nous mène à Cythère Chercher des plaisirs.
Qui, de la nature La vive peinture
N'est pas sans dessein. Tant de fleurs nouvelles, Qui de tant de belles Vont orner le sein; Le tendre ramage Des jeunes oiseaux; Le doux bruit des eaux; Tout offre l'image D'un aimable dieu; Tout lui rend hommage. Dans un si beau lieu, Tout y peint son feu: Hélas! quel dommage Qu'il dure si peu, 11 pénètre l'âme Ce feu trop subtil.... Mais pourquoi faut-il Que de cette flamme Qui peint le printemps, Tout en même temps, Trace à notre vue La légèreté Souvent imprévue
A l'âme attentive, ** Peint à petit bruit L'ardeur passagère, Dont l'éclat séduit Plus d'une bergère Que l'amour conduit. L'haleine légère Du Zéphir badin, Qui, dans ce jardin, Vole autour de Flore; Du vif incarnat Qu'elle fait éclore, Le frivole éclat; De l'oiseau volage Les accords légers Peignent du bel âge Les feux passagers. Tout ce qui respire, Nous dit en ce temps L'amoureux empire Est un vrai printemps: Il plaît, il enchante; On l'aime, on le chante; Soins trop superflus! Vaut-il ce qu'il coûte? A peine on le goûte, Qu'il n'est déjà plus,
§ 319. Médée invoquant les démons.
Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle, Voyez le jour pour le troubler;
Que l'affreux désespoir, que la rage cruelle, Prennent soin de vous rassembler; Avancez, malheureux coupables, Soyez aujourd'hui déchaînés,
Goûtez l'unique bien des cœurs infortunés; Ne soyez pas seuls misérables.
Ma rivale m'expose a des maux effroyables; Qu'elle ait part aux tourmens qui vous sont déstinés! Non, les enfers impitoyables
Ne pourront inventer des horreurs comparables Aux tourmens qu'elle m'a donnés.
Goûtons l'unique bien des cœurs infortunés, Ne soyons pas seuls misérables.
§ 320. Les géans terrassés.
Les superbes géans, arinés contre les dieux, Ne nous causent plus d'épouvante:
Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu'ils entassoient pour attaquer les cieux. Nous avons vu tomber leur chef audacieux
Sous une montagne brûlante.
Jupiter l'a contraint de vomir à nos yeux Les restes enflammés de sa rage mourante. Jupiter est victorieux,
Et tout cède à l'effort, de sa main foudroyante.
§ 321. Hymne à la beauté.
Tout rend hommage à la beauté Pour éclairer ses traits le jour se renouvelle; Pour la chanter s'éveille Philomèle ; Le ruisseau qui fuyoit, devant elle arrêté, Trace son image fidèle;
Des pavots du sommeil la douce volupté Rend de son teint la fraîcheur éternelle : L'ordre de l'univers semble établi pour elle.
Plus heureux qu'un monarque au faîte des grandeurs, J'ai vu mes jours dignes d'envie :
Tranquilles, ils couloient au gré de nos ardeurs ; Vous m'aimiez, charmante Lydie.
Que mes jours étoient beaux, quand des soins les plus doux Vous payiez ma flamme sincère! Vénus me regardoit avec des yeux jaloux, Chloé n'auroit pas su vous plaire. HORACE.
Par son luth, par sa voix, organe des amours, Chloé seule me paroît belle:
Si le destin jaloux veut épargner ses jours, Je donnerai les miens pour elle. LYDIE.
Le jeune Calaïs plus beau que les amours Plaît seul à mon âme ravie.
Si le destin jaloux veut épargner ses jours Je donnerai deux fois ma vie.
Quoi! si mes premiers feux, ranimant leur ardeur, Etouffoient une amour fatale;
Si, perdant pour jamais tous ses droits sur mon cœur, Chloé vous laissoit sans rivale....
Calaïs est charmant; mais je n'aime que vous; Ingrat, mon cœur vous justifie;
Heureuse également en des liens si doux,
De perdre ou de passer la vie.
Horace. Imitation du duc de Nivernois.
Plus loin quelle autre fleur ai-je vu s'embellir?
Sa modeste beauté m'invite à la cueillir:
J'approche; elle me fuit. Dieux! quel est ce prestige?
Je cherchois une fleur, je ne vois qu'une tige.
Interdit et confus, je m'éloigne à regret ;
Et la fleur rassurée à l'instant reparoît.
Ah! je te reconnois, ô tendre sensitive!
Seule, parmi les fleurs, devant l'homme craintive, Sans doute il te souvient que mortelle autrefois De ta jeune pudeur on méconnut la voix.
Elle adoroit Iphis; Iphis brûloit pour elle. Cependant, vertueux autant qu'elle étoit belle, La nymphe demandoit que l'hyménée un jour Aux pieds de son autel consacrât leur amour. Quatre soleils encor, ce jour alloit paroître. 'T. III. p. 4.
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