La France a perdu son Orphée; Muses, dans ces momens de deuil, Elevez le pompeux trophée
Que vous demande son cercueil : Laissez par de nouveaux prodiges, D'éclatans et dignes vestiges D'un jour marqué par vos regrets. Ainsi le tombeau de Virgile
Est couvert du laurier fertile Qui par vos soins ne meurt jamais.
D'une brillante et triste vie Rousseau quitte aujourd'hui les fers, Et loin du ciel de sa patrie, La mort termine ses revers.
D'où ses maux ont-ils pris leur source? Quelles épines dans sa course Etouffoient les fleurs sous ses pas? Quels ennuis! quelle vie errante, Et quelle foule renaissante D'adversaires et des combats!
Vous, dont l'inimitié durable L'accusa de ces chants affreux, Qui méritoient, s'il fut coupable, Un châtiment plus rigoureux; Dans le sanctuaire suprême, Grâce à vos soins, par Thémis même Son honneur est encor terni. J'abandonne son innocence; Que veut de plus, votre vengeance; Il fut malheureux et puai.
Jusques à quand, mortels farouches, Vivrons-nous de haine et d'aigreur? Prêterons-nous toujours nos bouches Au langage de la fureur? Implacable dans ma colère, Je m'applaudis de la misère De mon ennemi terrassé; Il se relève, je succombe; Et moi-même à ses pieds je tombe Frappé du trait que j'ai lancé.
Songeons que l'imposture habite. Parmi le peuple et chez les grands; Qu'il n'est dignité ni mérite A l'abri de ses traits errans ; Que la calomnie écoutée, A la vertu persécutée
Porte souvent un coup mortel, Et poursuit sans que rien l'étonne, Le monarque sous la couronne, Et le pontife sur l'autel.
Du sein des ombres éternelles S'élevant au trône des dieux, L'envie offusque de ses ailes Tout éclat qui frappe ses yeux. Quel ministre, quel capitaine, Quel monarque vaincra sa haine, Et les injustices du sort?
Le temps à peine les consomme; Et jamais le prix du grand homme N'est bien connu qu'après sa mort.
Oui, la mort seule nous délivre Des ennemis de nos vertus, Et notre gloire ne peut vivre Que lorsque nous ne vivons plus. Le chantre d'Ulysse et d'Achille Sans protecteur et sans asile, Fut ignoré jusqu'au tombeau : Il expire, le charme cesse, Et tous les peuples de la Grèce Entre eux disputent son berceau.
Le Nil a vu sur ses rivages De noirs habitans des déserts Insulter par leurs cris sauvages L'astre éclatant de l'univers. Cris impuissans! fureurs bizarres; Tandis que ces monstres barbares Poussoient d'insolentes clameurs, Le dieu poursuivant sa carrière, Versoit des torrens de lumière Sur ces obscurs blasphémateurs. Souveraine des chants lyriques, Toi que Rousseau dans nos climats, Appela des jeux Olympiques, Qui sembloient seuls fixer tes pas; Par qui ta trompette éclatante Secondant ta voix triomphante,
Formera-t-elle des concerts? Des héros Muse magnanime, Par quel organe assez sublime Vas-tu parler à l'univers?
Favoris, élèves dociles De ce ministre d'Apollon, Vous à qui ses conseils utiles Ont ouvert le sacré, vallon; Accourez, troupe désolée, Déposez sur son mausolée Votre lyre qu'il inspiroit; La mort a frappé votre maître, Et d'un souffle a fait disparoître Le flambeau qui vous éclairoit.
Et vous dont sa fière harmonie Egala les superbes sons, Qui reviviez dans ce génie Formé par vos seules leçons; Mânes d'Alcée et de Pindare, Que votre suffrage répare La rigueur de son sort fatal. Dans la nuit du séjour funèbre, Consolez son ombre célèbre, Et couronnez votre rival.
§ 19. Ode sur la journée de Fontenoi.
Flandres, qui dans tes champs, couverts d'ombres funèbres, Vois croître les cyprès et les lauriers célèbres, A des maîtres nouveaux soumise tant de fois, Jusqu'à quand seras-tu la victime des armes, Le séjour des alarmes,
Et le théâtre affreux des vengeances des rois?
De meurtres affamé, le démon des batailles De ses barbares mains déchire tes entrailles; Pour nourrir sa fureur tu renais chaque jour: Et ton sort est pareil au destin déplorable De ce fameux coupable, Immortel aliment de l'avide vautour.
Que dis-je? contre toi si Louis se déclare, Sa valeur fait tes maux, sa bonté les répare ; Ta devras ton bonheur à son bras irrité. C'est ainsi que le Nil, franchissant son rivage. Dans les champs qu'il ravage, Répand le germe heureux de leur fécondité.
Dans l'horreur de la nuit, la discorde infernale A rempli tour à tour du venin qu'elle exhale, Les lions réunis aux sanglans léopards.
Sortis du fond des bois, ils viennent sur leur têtes Attirer les tempêtes
Qui foudroyoient déjà l'orgueil de tes remparts,
La barrière des cieux au soleil est ouverte. Ennemis, frémissez: témoin de votre perte, Pour la dernière fois il éclaire vos pas; Il n'aura point fourni sa brillante carrière, Qu'épars sur la poussière,
Vous serez engloutis dans la nuit du trépas.
Maurice et Cumberland, précédés du tonnerré, Sous leurs fiers escadrons ont ébranlé la terre; Leurs soldats sont tout prêts; ils vont tenter le sort. Déjà sont dirigés ces bronzes formidables, Dont les flancs redoutables
Renferment la terreur, le carnage et la mort.
Le clairon retentit. A ce signal terrible La foudre à répondu par un bruit plus horrible; Un fracas meurtrier fend la voûte des airs. L'Escaut, saisi d'effroi dans sa grotte profonde, Précipite son onde,
Et court s'ensevelir au vaste sein des mers.
Muse, retrace-moi le choc des deux armées, D'une égale fureur au massacre animées; Le fer, le feu, la mort, lancés dans tous les rangs; Des coursiers belliqueux les bouches écumantes, Et les plaines fumantes
Du sang des bataillons sous le glaive expirans.
Deux tonnerres, cachés dans les sombres nuages, Par leur choc ténébreux, précurseur des orages, Troublent ainsi des dieux les paisibles lambris: Is tombent en grondant de la voûte céleste, Et leur chute funeste
Dans les champs ravagés sème d'affreux débris.
Avancez, dit Louis à sa garde fidèle:
Volez, brillante élite, où l'honneur vous appelle; Il n'appartient qu'à vous de fixer le destin; Paroissez la victoire, à regret indécise,
Sur vos drapeaux assise,
Va réparer l'affront de son vol incertain.
Dociles à sa voix. nos guerriers magnanimes Rejètent les conseils des cœurs pusillanimes, Qui, prompts à s'alarmer, desespèrent toujours: Et traînant de leurs ans la méprisable chaîne, Immoleroient sans peine Le salut d'un empire au salut de leurs jours.
Ils partent; c'en est fait: leur audace aguerrie A repoussé l'Anglois, a vengé la patrie. L'art a beau seconder un impuissant courroux : Ce chef-d'œuvre imprévu des leçons de Bellone, Cette épaisse colonne,
Prête à les écraser, s'écroule sous leurs coups.
Tel, aux climats du nord, où sa fureur s'exerce, Le fougueux aquilon de son souffle renverse Ces chênes orgueilleux, ornemens des forêts: Telle, et plus redoutable en sa course rapide, On voit la flamme avide Dévorer les épis qui couvrent nos guérets.
Fortune, les François dont la valeur t'enchaine, Regardent d'un même œil ton amour ou ta haine; Tn n'as rien fait pour eux: ils ont tout fait sans toi. Ce peuple, pour soumettre au joug de l'esclavage L'ennemi qui l'outrage,
N'a besoin que d'un chef, ou des yeux de son roi.
Mânes de nos héros, ah! si cette journée Est le terme fatal de votre destinée, Cédez, sans murmurer, à la rigueur du sort:
Minos vous a reçus des bras de la victoire; Les rayons de la gloire
Ont dissipé l'horreur des ombres de la mort.
Grammont, je n'entends plus soupirer ta vaillance, De laisser après toi le destin en balance; Les vaincus aux enfers rassurent ton grand cœur: Ils reculent encore à l'aspect de ton ombre; Leur frayeur et leur nombre
Te sont de sûrs garans que ton maître est vainqueur.
Rivaux, dignes de nous, si le sort de vos armes A la fière Albion fait répandre des larmes, Vous n'en êtes pas moins et la gloire et l'appui: A vos nobles etforts on rend cette justice, Qu'un autre que Maurice
Eût vu votre valeur triompher aujourd'hui.
Tournay ranime en vain ses forces épuisées; Sous les débris fumans de ses tours embrasées Vos pâles compagnons tombent ensevelis ; Gand, Bruges, Dendermonde ouvrent déjà leurs portes, Et nos braves cohortes
Dans Oudenarde en feu vont arborer les lis.
Cessez de disputer cette triste contrée
Que Bellone aux Bourbons tant de fois a livrée.
Dans des temps plus heureux vous pouviez nous dompter; Mais aujourd'hui craignez de nouvelles disgrâces; Retournez sur vos traces;
Votre plus beau triomphe est de nous éviter.
L'hommage que l'on doit à tes vertus suprêmes, Grand roi, nos ennemis te le rendent eux-mêmes: Ils viendroit à tes pieds implorer tes bienfaits. Après avoir chanté l'éclat de tes trophées, Puissent les doctes fées
Célébrer sous tes yeux les douceurs de la païx?
Tel Auguste autrefois, favorable au génie, Excitoit les talens des fils de l'harmonie; Il abaissoit sur eux ses fertiles regards:
D'une main il fermoit, déposant son tonnerre, Le temple de la guerre,
Et de l'autre il ouvroit le temple des beaux arts.
§ 20. Ode sur le système de Copernic.
L'Homme a dit: les cieux m'environnent, Les cieux ne roulent que pour moi: De ces astrés qui me couronnent, La nature me fit le roi:
Pour moi seul le soleil se lève Pour moi seul le soleil achève Son cercle éclatant dans les airs; Et je vois, souverain tranquille, Sur son poids la terre inmobile Au centre de cet univers.
Fier mortel, bannis ces fantômes, Sur toi-même jette un coup d'œil. Qui sommes-nous, foibles atomes, Pour porter si loin notre orgueil ? Insensés! nous parlons en maîtres,
Nous, qui dans l'océan des êtres Nageons tristement confondus; Nous dont l'existence légère, Pareille à l'ombre passagère, Commence, paroît, et n'est plus !
Mais quelles routes immortelles Uranie entr'ouvre à mes yeux! Déesse, est-ce toi qui m'appelles Aux voûtes brillantes des cienx? Je te suis... Mon âme agrandie, S'élançant d'une aile hardie, De la terre a quitté les bords! De ton flambeau la clarté pure Me guide au temple où la nature Cache ses augustes trésors.
Grand Dieu! quel sublime spectacle Confond mes sens, glace ma voix ! Où suis-je? Quel nouveau miracle De l'Olympe a changé les lois? Au loin, dans l'étendue immense, Je contemple seul en silence La marche du grand univers; Et dans l'enceinte qu'il embrasse, Mon œil surpris voit sur leur trace Retourner les orbes divers.
Portés du couchant à l'aurore Par un mouvement éternel, Sur leur axe ils tournent encore Dans les vastes plaines du ciel. Quelle intelligence secrète Règle en son cours chaque planète Par d'imperceptibles ressorts? Le soleil est-il le génie Qui fait avec tant d'harmonie Circuler les célestes corps?
Au milieu d'un vaste fluide, Que la main du Dieu Créateur, Versa dans l'abîme du vide, Cet astre unique est leur moteur. Sur lui-même agité sans cesse, Il emporte, il balance, il presse L'éther et les orbes errans; Sans cesse une force contraire, De cette ondoyante matière Vers lui repousse les torrens.
Ainsi se forment les orbites Que tracent les globes connus: Ainsi dans des bornes prescrites, Volent et Mercure et Vénus. La terre suit; Mars moins rapide, D'un air sombre, s'avance et guide Les pas tardifs de Jupiter: Et son père, le vieux Saturne, Roule à peine son char nocturne Sur les bords glacés de l'éther.
Oui, notre sphère, épaisse masse, Demande au soleil ses présens. A travers sa dure surface Il darde ses feux bienfaisans. Le jour voit les heures légères Présenter les deux hémisphères, Tour à tour à ses doux rayons; Et sur les signes inclinée, La terre promenant l'année, Produit des fleurs ou des moissons.
§ 21. Ode à Buffon sur ses détracteurs.
Buffon, laisse gronder l'envie; C'est l'hommage de sa terreur; Que peut sur l'éclat de ta vie Son aveugle et lâche fureur? Olympe qu'assiége un orage Dédaigne l'impuissante rage Des aquilons tumultueux: Tandis que la noire tempête Gronde à ses pieds, sa noble tête Garde un calme majestueux. Pensois-tu donc que le génie Qui te place au trône des arts, Long-temps d'une gloire impunie Blesseroit de jaloux regards? Non, non, tu dois payer ta gloire; Tu dois expier ta mémoire Par les orages de tes jours; Mais ce torrent qui dans ton onde Vomit sa fange vagabonde N'en sauroit altérer le cours.
Poursuis ta brillante carrière, O dernier astre des François; Ressemble au dieu de la lumière Qui se venge par des bienfaits.
Poursuis. Que tes nouveaux ouvrages Remportent de nouveaux suffrages, Et des lauriers plus glorieux: La gloire est le prix des Alcides, Et le dragon des Hespérides Gardoit un or moins précieux.
Mais si tu crains la tyrannie D'un monstre jaloux et pervers. Quitte le sceptre du génie, Cesse d'éclairer l'univers;
Descends des hauteurs de ton âme; Abaisse tes ailes de flamme;
Brise tes sublimes pinceaux
Prends tes envieux pour modèles ; Et de leurs vernis infidèles Obscurcis tes brillans tableaux
Flatté de plaire aux gouts volages, L'esprit est le dieu des instans: Le génie est le dieu des âges, Lui seul embrasse tous les temps. Qu'il brûle d'un noble délire, Quand la gloire autour de sa lyre Lui peint les siècles assemblés, Et leur suffrage vénérable Fondant son trône inaltérable Sur les empires écroulés !
Eût-il, sans ce tableau magique Dont son noble cœur est flatté, Rompu le charme léthargique De l'indolente volupté? Eut-il dédaigné les richesses; Eût-il rejeté les caressés Des Circés aux brillans appas? Et par une étude incertaine
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