Palais, nous durons moins que vous, Quoique des élémens vous souteniez la guerre, Et quoique du sein de la terre Nous soyons tirés comme vous: Frêles machines que nous sommes,
A peine passons-nous d'un siècle le milieu. Un rien peut nous détruire; et l'ouvrage d'un Dieu Dure moins que celui des hommes ?
Homme, vante moins ta raison;
Vois l'inutilité de ce présent céleste,
Pour qui tu dois, dit-on, mépriser tous le reste. Aussi foible que toi, dans ta jeune saison, Elle est chancelante, imbécile;
Dans l'âge où tout t'appelle à des plaisirs divers, Vile esclave des sens, elle t'est inutile, Quand le sort t'a laissé compter cinquante hivers, Elle n'est qu'en chagrins fertile;
Et quand tu vieillis, tu la perds.
Les plaisirs sont amers d'abord qu'on en abuse: Il est bon de jouer un peu;
Mais il faut seulement que le jeu nous amuse. Un joueur, d'un commun aveu,
N'a rien d'humain que l'apparence; Et d'ailleurs il n'est pas si facile qu'on pense D'être fort honnête homme et de jouer gros jeu. Le désir de gagner, qui nuit et jour occupe, Est un dangereux aiguillon.
Souvent, quoique l'esprit, quoique le cœur soit bon, On commence par être dupe,
On finit par être fripon.
Souvent c'est moins bon goût que pure vanité Qui fait qu'on ne veut voir que des gens de mérite. On croiroit faire tort à sa capacité,
Si du monde vulgaire on recevoit visite. Cependant un esprit solide, éclairé, droit, Du commerce des sots sait faire un bon usage; Il les examine, il les voit,
Comme on fait un mauvais ouvrage.
Des défauts qu'il y trouve il cherche à profiter: Il n'est guère moins nécessaire
De voir ce qu'il faut éviter,
Que de savoir ce qu'il faut faire.
Qui dans son cabinet a passé ses beaux jours A pâlir sur Pindare, Homère, Horace, Plâute; Devoit y demeurer toujours.
S'il entre dans le monde avec un tel secours, Il y fera faute sur faute;
Il portera partout l'ennui.
Un ignorant qui n'a pour lui
Qu'un certain savoir vivre, un esprit agréable, A la honte du Grec et du Latin, fait voir Combien doit être préférable L'usage du monde au savoir.
Que l'esprit de l'homme est borné! Quelque temps qu'il donne à l'étude Quelque pénétrant qu'il soit né,
Il ne sait rien à fond, rien avec certitude, De ténèbres pour lui tout est environné.
La lumière qui vient du savoir le plus rare, N'est qu'un fatal éclair, qu'une ardeur qui l'égare: Bien plus que l'ignorance elle est à redouter. Longues erreurs qu'elle à fait naître,
Vous ne prouvez que trop que chercher à connoître, N'est souvent qu'apprendre à douter.
Homme, contre la mort, quoi que l'art te promette, Il ne sauroit te secourir.
Dis-toi c'est une dette
Qu'en recevant le jour j'ai faite : Nous ne naissons que pour mourir.
Esclaves que rien ne rebute,
Vous qui, pour arriver au comble des honneurs, Aux caprices des grands êtes toujours en bute; Vous, de tous leurs défauts lâches adorateurs, Savez-vous le succès de tant de sacrifices? Quand, par les grands emplois, on aura satisfait A vos soins, à vos longs services,
Hélas! pour vous qu'aura-t-on fait Que vous ouvrir des précipices?
Est-ce vivre? et peut-on, sans que l'esprit murmure, Se donner tout entière au soin de sa parure? Se peut-il qu'on arrive à cet instant fatal Qui termine les jours que le destin nous prête, Sans avoir jamais eu d'autres soucis en tête Que de ce qui sied bien ou mal?
Faire de sa beauté sa principale affaire, Est le plus indigne des soins.
Le dessein général de plaire
Fait que nous plaisons beaucoup moins.
Lorsque la mort moissonne à la fleur de son âge L'homme plainement convaincu
Que la foiblesse est son partage, Et qui contre ses sens a mille fois vaincu; On ne doit point gémir du coup qui le délivre. Quelque jeune qu'on soit, quand on a su bien vivre, On a toujours assez vécu.
Que les ridicules efforts
Qu'on fait pour cacher la vieillesse Sous l'éclat d'un jeune dehors, Marquent dans un esprit d'erreur et de foiblesse ! Pourquoi faut-il rougir d'avoir vécu long-temps? Si nos discours, si nos ajustemens,
Si nos plaisirs conviennent à notre âge, Nous ne blesserons point les yeux.
Les mesures qu'on prend pour paroître moins vieux Font qu'on le paroît davantage.
Non, de quelques côtés qu'on porte ses désirs, On ne sauroit goûter de plaisirs véritables;
Mais tout faux que sont les plaisirs, Encore s'ils étoient durables!
On plaindroit un peu moins ces cœurs infortunés, Qui, par leurs penchans entraînés,
Sont en quelque sorte excusables.
Quel bonheur quand du ciel les aspects favorables
Font qu'il n'en coûte rien pour être vertueux ! Et qu'il faut de raison, de force, Quand on est né voluptueux
Pour faire avec les sens un éternel divorce!
De quel aveuglement sont frappés les humains! Contre les malheurs incertains,
Tels que la perte d'une femme,
D'un enfant, d'un ami, des trésors, des grandeurs, On croit faire beaucoup de préparer son âme; Et l'on n'aura peut-être aucun de ces malheurs. Mais sans doute on mourra. Cent et cent précipices Sont ouverts sous nos pas pour nous faire périr: Cependant au milieu des vices,
Nous nourons, sans songer que nous devons mourir. Deshoulières.
§ 75. 1. Amours infortunées de Gabrielle de Vergy et de Raoul de Coney.
"Tu connois mon amour extrême, "Pour m'obéir c'en est assez. "Porte mon cœur à ce que j'aime "Avec ces mots que j'ai tracés. "Je remets ce soin à ton zèle,.. Il expire et prononce encor Le nom chéri de Gabrielle Jusque dans les bras de la mort.
Victime de l'obéissance, Monlac ayant exécuté,
D'un maître adoré dès l'enfance La triste et tendre volonté, S'embarque à l'instant pour la France: Il arrive près du château
Du tyran qui sous sa puissance Renfermoit l'objet le plus beau.
Seul confident de l'entreprise, Il attend un heureux moment; Avec grand soin il se déguise, Pour réussir plus sûrement; Quand Fayel que l'inquiétude Ne laissoit jamais en repos, Le voit près de sa solitude, Le prend pour un de ses rivaux.
Il arrête, et croît le connoître ; Il le perce de mille coups. Craignant tout des projets du maître, Rien n'échappe à ses yeux jaloux. Quel plaisir enivre son âme! Il voit le cœur, il en jouit ! Quel coup funeste pour sa flamme! Il lit la lettre, il en frémit.
Dès qu'il les eut en sa puissance, N'écoutant plus que sa fureur, De la plus barbare vengeance Il médite en secret l'horreur. La sombre et pâle jalousie, Ce monstre suivi des regrets, Pour venger sa flamme trahie, Lui souffle les plus noirs projets.
Il goûte déjà par avance Les douceurs qu'elle lui promet; De cette flatteuse espérance Il craint de retarder l'effet. Je veux, dit-il, que l'imposture Cachant l'affreuse vérité, Ce cœur aimé de la parjure. Comme un mets lui soit présenté.
On obéit, et l'heure arrive Où l'on sert ce repas cruel. Gabrielle triste et craintive Approche en tremblant de Fayel. Pour hâter l'instant qu'il espère, Il offre, il presse, elle se rend : Ce mets, dit-il, a dú te plaire; Car c'est le cœur de ton amant.
Elle tombe sans connoissance. Fayel que la fureur conduit,
Craignant de perdre sa vengeance, La rappelle au jour qu'elle fuit. Juste ciel! quelle barbarie! S'écria-t-elle avec effroi... Moindre encor que ta perfidie: Vois cette lettre, et juge-toi.
Alors la forçant de la lire, Ses yeux l'observent avec soin; Il croit adoucir son martyre, Si de sa honte il est témoin. Elle prend d'une main tremblante L'écrit qui doit combler ses maux ; Et d'une voix foible et mourante Prononce avec peine ces mots.
"Bientôt je vais cesser de vivre, "Sans cesser de vous adorer; "Content si ma mort vous délivre "Des maux qu'on vous fait endurer. "Elle n'a rien qui m'épouvante, "Sans vous la vie est sans attraits. "Un regret pourtant me tourmente; "Quoi! je ne vous verrai jamais!
"Recevez mon cœur comme un gage "Du plus vif, du plus tendre amour; "De ce triste et nouvel hommage "J'ose espérer quelque retour.
Daignez l'honorer de vos larmes; "Qu'il vous rappelle mes malheurs, "Cet espoir a pour moi des charmes; "Je vous adore. Adieu, je meurs.
Elle veut répéter encore
Ces mots si tendres, si touchans; En prononçant, je vous adore, Un froid mortel saisit ses sens. Par un excès de barbarie Fayel prend des soins superflus. Pour la rappeler à la vie; Mais elle n'étoit déjà plus.
§ 76. 2. Alexis et Alis. Pourquoi rompre leur mariage, Méchaus parens !
Ils auroient fait si bon ménage A tous momens! Que sert d'avoir bague et dentelle Pour se parer? Ah! la richesse la plus belle Est de s'aimer.
Quand on a commencé la vie Disant ainsi; Oui: vous serez toujours ma mie, Vous mon ami.
Quand l'âge augmente encor l'envie De s'entr'unir,
Qu'avec un autre on nous marie, Vaut mieux mourir.
Chaque fois qu'il montre à la dame Perle ou saphir,
Chaque fois du fond de son âme Part un soupir.
En lui toute fleur de jeunesse Apparoissoit;
Mais longue barbe, air de tristesse La ternissoit.
Si de jeunesse on doit attendre Beau coloris,
Pâleur qui marque une âme tendre À bien son prix.
Mais Alis, soucieuse et sombre," Rien ne voyoit
Pourtant aux longs soupirs sans nombre Qu'il répétoit.
D'où lui vient, dit-elle en soi-même, Tant de chagrin?
Ah! s'il regrette ce qu'il aime, Que je le plains!
Las! qu'avez-vous qui vous soucie, Comme je voi?
Si c'est d'aimer, je vous en prie, Dites-le moi.
Et que sert de conter, madame, Un déplaisir,
Qui jamais, jamais de mon âme Ne peut sortir.
Il est un trésor dans le monde Que je connois:
Long-temps en espoir je me fonde Que je l'aurois;
Et plus mon amitié ravie
Crut l'obtenir,
« PreviousContinue » |