Page images
PDF
EPUB

Tircis charmé m'embrasse;
J'en eus quelque dépit;
Ses yeux demandoient grâce;
Mon cœur y consentit.
Bientôt, plus téméraire,
Ce fut nouveau transport;
Je me mis en colère,
Et m'apaisai d'abord.

Crainte de lui déplaire,
Je n'osai-le gronder;
Un charme involontaire
Me força de céder:
Je crus son cœur sincère;
Il vit tout mon plaisir;
Hélas! qu'avois-je à faire?
Me taire et puis rougir.

Le printemps, qui vit naître
De si belles ardeurs,
Les a vu disparoître
Aussitôt que les fleurs;
Mais s'il ramène à Flore
Les inconstans zéphyrs,
Ne pourroit-il encore
Raminer ses désirs?

Dans ma douleur extrême,
Je voudrois me venger:
Que ne puis-je de même
Prendre un autre berger?
Mais non, pour l'amour même,
Je ne voudrois changer;
Hélas! lorsque l'on aime,
Peut-on se dégager ?

Qu'il porte à ma rivale
Un cœur qui m'appartient;
Cette beauté fatale

Dans ses nœuds le retient:
Qu'il soit tendre ou volage,
Qu'il soit ce qu'il voudra;
Jamais mon cœur plus sage,
Pour lui ne changera.

§ 69. 3. Les Regrets.

Le sombre hiver va disparoître
Le printemps sourit à nos vœux;
Mais le printemps ne semble naître
Que pour
les cœurs qui sont heureux.

Le mien que la douleur accable
Voit tous les objets s'obscurcir,
Et quand la nature est aimable,
Je perds le pouvoir d'en jouir.

Je ne vois plus ce que j'adore ;
Je n'ai plus de droits au plaisir,
Pour les autres tout semble éclore,
Et pour moi tout semble fair.

Les souvenirs errent en foule
Autour de mon cœur abattu,
Et chaque moment qui s'écoule

Me rappelle un plaisir perdu.
Que m'importe que le temps fuie?
Heures dont je crains la lenteur,
Vous pouvez emporter ma vie;
Vous n'annoncez plus mon bonheur.

Je n'ai plus la douce pensée
Qui s'offroit à moi le matin,
Et qui vers le soir retracée
M'entretenoit du lendemain.

Mon œil voit reverdir la cime
Des arbres de ce beau vallon.
Et de l'oiseau qui se ranime,

j'entends la première chanson.

Ah! c'est vers ce temps que Thémire
A mes yeux parut autrefois,
C'est là que je la vis sourire;
C'est là que j'entendis sa voix.

Sa voix qui sous le frais ombrage Où je l'écoutois à genoux, Rassembloit autour du bocage Les oiseaux charmés et jaloux.

Les témoins, la crainte et l'envie, Combattoient souvent nos désirs; Mais sous l'œil de la jalousie L'amour sent croître ses plaisirs.

Beaux soirs d'été, charmante veille,
Où je saisissois au hasard
Un baiser, un mot à l'oreille,
Un soupir, un geste, un regard!

Que de fois dans cet art instruite,
Thémire au milieu des jaloux,
Jeta dans des discours sans suite
Le mot, signal du rendez-vous!

O comment remplacer l'ivresse
Que l'amour répand dans ses jeux?
Non, la gloire, autre enchanteresse,
N'a point d'instans si précieux.

Du soin d'une vaine mémoire
Pourquoi voudrois-je me remplir?
Pourquoi voudrois-je de la gloire,
Quand je n'ai plus à qui l'offrir?

Les arts dont la pompe éclatante
A mes yeux vient se déployer,
Me rappellent à mon amante,
Loin de me la faire oublier!

A ce spectacle où l'harmonie
A tous nos sens donne la loi,
Je dis, celle qui m'est ravie
Chantoit mieux et chantoit pour moi.

Dans le temple de Melpomène
Je songe qu'en nos jours heureux,
Nos cœurs retrouvoient sur la scène
Tout ce qu'ils sentoient encor mieux,

Souvent un trouble involontaire
Me dit que je ne suis pas loin
De cette retraite si chère,
Qui nous recevoit sans témoin.

Souvent elle ne put se rendre
Au lieu qui dut nous réunir.
Que ne puis-je encore l'attendre,
Dut-elle encor ne pas venir !

Mon âme aujourd'hui solitaire,
Sans objet comme sans désir,
S'égare et cherche à se distraire
Dans les songes de l'avenir.

Tel, quand la neige est sur la plaine,
L'oiseau n'osant plus la raser,
Voltige d'une aile incertaine,
Sans savoir où se reposer.

Je m'aperçois que sans contrainte,
Mon cœur pour tromper son ennui,
Se permet une longue plainte
Qui ne veut occuper que lui.

Mais qu'importe qu'on s'intéresse
Aux maux qu'on ne peut soulager!
Je veux épancher ma tristesse,
Et non la faire partager.

Que dis-je ? hélas! je me repose
Sur ces désolans souvenirs.
Ce sentiment est quelque chose;
C'est le dernier de mes plaisirs.

Un jour quand la froide vieillesse
Viendra retrancher mes erreurs,
Peut-être que de la tendresse
Je regretterai les douleurs.

[blocks in formation]

La plus fertile des années
N'a commencé que pour finir.

La même loi partout suivie,
Nous soumet tous au même sort.
Le premier moment de la vie
Est le premier pas vers la mort.

Fourquoi donc en si peu d'espace,
De tant de soins m'embarrasser ?
Pourquoi perdre le jour qui passe
Pour un autre qui doit passer?

Si tel est le destin des hommes
Qu'un instant peut les voir finir;
Vivons pour l'instant où nous sommes
Et non pour l'instant à venir.

Cet homme est vraiment déplorable,
Qui, de la fortune amoureux,
Se rend lui-même misérable
En travaillant pour être heureux.

Dans des illusions flatteuses
Il consume ses plus beaux ans.
A des espérances douteuses
Il immole les biens présens.

Insensés! votre âme se livre
A de tumultueux projets.
Vous mourez sans avoir jamais
Pu trouver le moment de vivre.

De l'erreur qui vous a séduits
Je ne prétends pas me repaître.
Ma vie est l'instant où je suis,
Et non l'instant où je dois être.

Ne laissons point évanouir

Des biens mis en notre puissance;
Et que l'attente d'en jouir
N'étouffe point leur jouissance.

Le moment passé n'est plus rien;
L'avenir peut ne jamais être.

Le présent est l'unique bien

Dont l'homme soit vraiment le maître.

[blocks in formation]

J'ai vu du ténébreux empire
Accourir, avec un pétard,
Cinquante lutins pour détruire
Un palais de papier brouillard,

J'ai vu des dragons fort traitables
Montrer les dents sans offenser;
J'ai vu des poignards admirables
Tuer les gens sans les blesser.

J'ai vu l'amant d'une bergère,
Lorsqu'elle dormoit dans un bois,
Prescrire aux oiseaux de se taire,
Et lui, chanter à pleine voix.

J'ai vu des guerriers en alarmes,
Les bras croisés et le corps droit,
Crier cent fois: courons aux armes,
Et ne point sortir de l'endroit.

J'ai vu, ce qu'on ne pourra croire,
Des tritons, animaux marins,
Pour danser, troquer leurs nageoires
Contre une paire d'escarpins.

Dans des chaconnes et gavotes,
J'ai vu des fleuves sautillans;
J'ai vu danser deux matelotes,
Trois jeux, six plaisirs et deux vents.

Dans le char de monsieur son père,
J'ai vu Phaeton tout tremblant
Mettre en cendre la terre. entière,
Avec des rayons de fer-blanc.

[blocks in formation]

Jouissant enfin de moi-même,
Ne formant plus de vains désirs,
J'éprouve que le bien suprême,
C'est la paix et non les plaisirs.

Ici rien ne manque à ma vie,

Mes fruits sont doux, mon lait est pur,
Sous mes pieds la terre est fleurie,
Le ciel sur ma tête est d'azur.

Si quelquefois un noir orage
Me cause un moment de frayeur,
Elle passe avec le nuage,
L'arc-en-ciel me rend inon bonheur.

Dans le monde où tout inquiète,
L'homme est en proie à la douleur;
A peine est-il dans la retraite,
Que le calme naît dans son cœur.

De même cette onde en furie,
Court dans ces rocs en bouillonnant:
Dès qu'elle arrive à ma prairie,
Elle serpente doucement.

Florian.

§73. 7. A Madame la Dauphine, Infante d'Espagne.

Souvent la plus belle princesse
Languit dans l'âge du bonheur;
L'étiquette de la grandeur,

Quand rien n'occupe et n'intéresse,
Laisse un vide affreux dans le cœur.

Souvent même un grand roi s'étonne,
Entouré de sujets soumis,
Que tout l'éclat de sa couronne
Jamais en secret ne lui donne
Ce bonheur qu'elle avoit promis.

On croiroit que le jeu console:
Mais l'ennui vient à pas comptés,
A la table d'un cavagnole,
S'asseoir entre des Majestés.

On fait tristement grande chère,
Sans dire et sans écouter rien,
Tandis que l'hébété vulgaire
Vous assiége, vous considère
Et croit voir le souverain bien.

Le lendemain quand l'hémisphère
Est brûlé des feux du soleil,
On s'arrache aux bras du sommeil,
Sans savoir ce que l'on va faire.

De soi-même peu satisfait,

On veut du monde; il embarrasse; Le plaisir fuit; le jour se passe, Sans savoir ce que l'on a fait

32

O temps, ô perte irréparable!
Quel est l'instant où nous vivons!
Quoi la vie est si peu durable,
Et les jours paroîtroient si longs!
Princesse au-dessus de votre âge,
De deux cours auguste ornement,
Vous employez utilement
Ce temps qui si rapidement
Trompe la jeunesse volage.

Vous cultivez l'esprit charmant
Que vous a donné la nature:
Les réflexions, la lecture,
En font le solide aliment,
Et son usage est sa parure.

S'occuper c'est savoir jouir;
L'oisiveté pèse et tourmente,
L'âme est un feu qu'il faut nourrir,
Et qui s'éteint, s'il ne s'augmente.

Voltaire.

§ 74. 8. Sur différens sujets de Morale.

Que l'homme connoit peu la mort qu'il appréhende,
Quand il dit qu'elle le surprend!

Elle naît avec lui, sans cesse lui deinande
Un tribut dont en vain son orgueil se défend.
Il commence à mourir long-temps avant qu'il meure:
Il périt en détail imperceptiblement.

Le nom de mort qu'on donne à notre dernière heure,
N'en est que l'accomplissement.

Etres inanimés, rebut de la nature,

Le

Ah! que vous faites d'envieux!

Le temps, loin de vous faire injure,
Ne vous rend que plus précieux.

On cherche avec ardeur une médaille antique :
D'un buste, d'un tableau le temps hausse le prix:
voyageur s'arrête à voir l'affreux débris
D'un cirque, d'un tombeau, d'un temple magnifique;
Et pour notre vieillesse on n'a que du mépris.

De ce sublime esprit dont ton orgueil se pique
Homme, quel usage fais-tu ?

Des plantes, des métaux tu connois la vertu ;
Des différens pays les mœurs, la politique;
La cause des frimas, de la foudre, du vent;
Des astres le pouvoir suprême:

Et sur tant de choses savant,
Tu ne te connois pas toi-même.

La pauvreté fait peur: mais elle a ses plaisirs.
Je sais bien qu'elle éloigne, aussitôt qu'elle arrive,
La volupté, l'éclat, et cette foule oisive
Dont les jeux, les festins remplissent les désirs.

Cependant, quoi qu'elle ait de honteux et de rude
Pour ceux qu'à des revers la fortune a soumis,
Au moins dans leurs malheurs ont-ils la certitude
De n'avoir que de vrais amis.

Pourquoi s'applaudir d'être belle ?

Quelle erreur fait compter la beauté pour un bien ?
A l'examiner, il n'est rien

Qui cause tant de chagrin qu'elle.
Je sais que sur les cœurs ses droits sont absolus;
Que tant qu'on est belle on fait naître
Des désirs, des transports et des soins assidus:
Mais on a peu de temps à l'être,

Et long-temps à ne l'être plus.

Misérable jouet de l'aveugle fortune,
Victime des maux et des lois,

Homme, toi qui par mille endroits
Dois trouver la vie importune,

D'où vient que de la mort tu crains tant le pouvoir ?
Lâche, regarde-la sans changer de visage;
Songe que si c'est un outrage,
C'est le dernier à recevoir.

Que chacun parle bien de la reconnoissance!
Et que peu de gens en font voir !
D'un service attendu la flatteuse espérance,
Fait porter dans l'excès les soins, la complaisance.
A peine est-il rendu qu'on cesse d'en avoir.
De qui nous a servi la vue est importune:
On trouve honteux de devoir

Les secours que dans l'infortune
On n'avoit pas trouvé honteux de recevoir.

Quel poison pour l'esprit sont les fausses louanges! Heureux qui ne croit point à de flatteurs discours! Penser trop bien de soi fait tomber tous les jours En des égaremens étranges.

L'amour-propre est, hélas! le plus sot des amours; Cependant des erreurs il est la plus commune. Quelque puissant qu'on soit en richesse, en crédit; Quelque mauvais succès qu'ait tout ce qu'on écrit, Nul n'est content de sa fortune,

Ni mécontent de son esprit.

On croit être devenu sage,

Quand, après avoir vu plus de cinquante fois
Tomber le renaissant feuillage,

On quitte des plaisirs le dangereux usage:
On s'abuse. D'un libre choix

Un tel retour n'est point l'ouvrage ;
Et ce n'est que l'orgueil dont l'homme est revêtu,
Qui, tirant de tout avantage,

Donne au secours de la vertu

Ce qu'on doit au secours de l'âge.

En grandeur de courage on ne se connoît guère,
Quand on élève au rang des hommes généreux
Ces Grecs et ces Romains dont la mort volontaire
A rendu le nom si fameux.

Qu'ont-ils fait de si grand? Ils sortoient de la vie
Lorsque de disgrâces suivie,

Elle n'avoit plus rien d'agréable pour eux.
Par une seule mort ils s'en épargnoient mille.
Qu'elle est douce à des cœurs lassés de soupirer!
Il est plus grand, plus difficile

De souffrir le malheur, que de s'en délivrer.

L'encens qu'on donne à la prudence
Met mon esprit au désespoir.

A quoi donc nous sert-elle? A faire voir d'avance
Les maux que nous devons avoir.

Est-ce un bonheur de les prévoir ?
Si la cruelle avoit quelque règle certaine
Qui pût les écarter de nous,

Je trouverois les soins qu'elle donne assez doux :
Mais rien n'est si trompeur que la prudence humaine.
Hélas! presque toujours le détour qu'elle prend,
Pour nous faire éviter un malheur qu'elle attend,
Est le chemin qui nous y mène.

« PreviousContinue »