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Que salissoient les immondices
De ce palais témoin de ses supplices:
Ce fut-là que finit son cours;
Et c'est ainsi que le bon pédagogue,
La larme à l'œil, termina son discours.

L'un des enfans, touché de l'apologue,
Se reconnut, se fixa pour toujours

Dans la demeure de ses pères;
L'autre en divers climats, à différentes cours,
S'en fut chercher des biens imaginaires:
Qu'arriva-t-il? Les deux jumeaux
Eurent le sort des deux ruisseaux.

Le Duc de Nivernois.

§ 62. Fable 45. La Coquette et l'Abeille. Chloé, jeune, jolie, et surtout fort coquette, Tous les matins, en se levant,

Se mettoit au travail, j'entends à sa toilette;
Et là, souriant, minaudant,

Elle disoit à son cher confident

Les peines, les plaisirs, les projets de son âme.
Une abeille étourdie arrive en bourdonnant,
Au secours au secours! crie aussitôt la dame:
Venez, Lise, Marton, accourez promptement,
Chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment
Aux lèvres de Chloé se pose.

Chloé s'évanouit, et Marton en fureur
Saisit l'abeille et se dispose

A l'écraser.

Hélas! lui dit avec douceur

L'insecte malheureux, pardonnez mon erreur:
La bouche de Chloé me sembloit une rose,
Et j'ai cru...Ce seul mot à Chloé rend ses sens:
Faisons grâce, dit-elle, à son aveu sincère;

D'ailleurs sa piqûre est légère;
Depuis qu'elle te parle à peine je la sens.

Que ne fait-on passer avec un peu d'encens!

De Florian.

§ 63. Fable 46. Le Léopard et l'Ecureuil.

Un écureuil, sautant, gambadant sur un chêne,
Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard,
Tomber sur un vieux léopard
Qui faisoit sa méridienne.

Vous juges s'il eut peur! En sursaut s'éveillant,
L'animal irrité se dresse;

Et l'écureuil s'agenouillant

Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse.
Après l'avoir considéré,

Le léopard lui dit: Je te donne la vie,
Mais à condition que de toi je saurai

Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j'envie,
Embellissent teš jours, ne te quittent jamais,
Tandis que moi, roi des forêts,

Je suis si triste et je m'ennuie.
Sire, lui répond l'écureuil,
Je dois à votre bon accueil

La vérité: nais, pour la dire,

Sur cet arbre un peu haut je voudrois être assis.
-Soit; j'y consens; monte.-J'y suis...

A présent je peux vous instruire,

Mon grand secret pour être heureux

C'est de vivre dans l'innocence;

Lignorance du mal fait toute ma science,
Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux.
Vous ne connoissez pas la volupté suprême

De dormir sans remords; vous mangez les chevreuils,
Tandis que je partage à tous les écureuils

Mes feuilles et mes fruits; vous haïssez, et j'aime :-
Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu
De cette vérité que je tiens de mon père:
Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu,
La gaîté vient bientôt de notre caractère,

La même.

§ 64. Fable 47. Le Jardinier et son Maître.

Un honnête bourgeois possédoit un terrain,
Où maison, potager, bosquet, verger, parterre,
Se trouvoient renfermés; c'étoit tout son butin,
Son château, ses bois et sa terre:
Jugez s'il étoit occupé

D'y mettre l'agrément, d'y semer l'abondance.
Le premier alla bien; sur l'autre il fut trompé,
Tout y frustra son espérance.

L'ensemble offroit aux yeux un spectacle charmant;
D'arbres taillés à point, longue et superbe file;
Iminense potager, bosquet fort élégant;
Maison de belle forme, à gentil péristile,
Parterre d'un dessin léger, neuf et galant,

Cascade contenant des bassins plus de mille;
Mais rien à mettre sous la dent:

Ce point manquoit tout net, et ce point est utile;
Sans lui tout le reste n'est rien.

Notre ho:nme le comprit fort bien;
Au milieu de son luxe il sentit le malaise,
Et voulut sur ce chef avoir un entretien
Avec son vieux jardinier Blaise.
Ecoutez, lui dit-il, pourquoi d'un potager
Si bien ensemencé, si vaste,

Ne puis-je avoir de quoi manger?
De celui du voisin le mien est le contraste,
Et tout va même train. Voyez ces arbrisseaux,
Au lieu de profiter, voilà qu'ils dépérissent.

D'où vient que ces fleurs se flétrissent ?
Quel sort afflige mon enclos?

Puisque vous l'ignorez, je vais vous en instruire,
Reprit l'homme au rateau. Vous avez fait construire
Tous ces maudits bassins l'un sur l'autre perchés:
C'est ce chef-d'œuvre-là que vous nommez cascade,
Et dont vos yeux sont entichés,

Qui rend tout votre enclos malade.
La source qui vient de là haut,

Pour rafraîchir le tout, seroit bien assez forte;
Mais vos bassins reçoivent l'eau,

Un bassin prend sa part, au suivant il en porte,
Ils s'en emplissent tous, et foi de jardinier,
Avant qu'ils se la soient passé de l'un à l'autre,
Il ne reste rien au dernier.

Ce dernier, pourtant, c'est le vôtre,
C'est l'unique du moins où je saurois puiser:
Comment, en bonne conscience,
Voulez-vous qu'on puisse arroser?

Aussi tout meurt, tout sèche, et j'y perds ma science,
Détruisez ce bel ornement,

Culbutez ces bassins, souffrez qu'on les déniche;
Vous verrez votre enclos reprendre un air vivant

Il sera moins brillant, mais il sera plus riche.
Commençons par avoir du pain,
Et foin de la magnificence,

Qui nous fera mourir de faim,
Sous les dehors de l'opulence.

Blaise raisonnoit bien, et son maître le crut:
La cascade sauta. Bientôt on s'aperçut
Que Blaise avoit fait un miracle.

La source est le tribut de plus d'une province;
La cascade dépeint financiers et traitans,
Et le dernier bassin, c'est le coffre du prince.

Le Chevalier de Lisle.

§ 65. Fable 48. Le Merle et le Ver luisant.

Pendant une nuit assez sombre,

Tout fier de son étoile, un jeune ver luisant
Se pavanoit dans l'épaisseur de l'ombre,
Et s'enivroit d'orgueil en se considérant.
Sur ce globe où chacun m'admire avec justice,
Je ne vois rien, dit-il, de comparable à moi;
Des insectes je suis le roi;

Eh qui d'entre eux pourroit entrer en lice,
Quand mon empire est si bien affermi?
Est-ce l'active abeille, ou la sobre fourmi?
Ces orbes éclatans qui versent la lumière,
Pour briller empruntent mes feux;
Et l'astre qu'adore la terre,

N'est que le ver luisant des cieux.
Comme il parloit, d'une branche voisine,
Un merle fond soudain, et gobe l'orgueilleux.
Ton éclat cause ta ruine,

Pauvre insecte !... moins lumineux,
Tu pouvois vivre, enseveli sous l'herbe:
Que je te plains d'être né si superbe!
L'obscurité t'eût rendu plus heureux.

§ 66. Fable 49. Le Fils ingrat.

Des dons de la nature

Un enfant

En naissant

Reçut ample mesure;
Air de dignité,

Esprit et beauté,

Ame simple et pure,
Il eut tout hors un point,
Encor pourquoi ne l'eut-il point ?
C'est qu'il étoit en sa puissance
De l'avoir ou ne l'avoir pas.
Ce point, c'étoit l'obéissance;
Notre enfant n'en fit aucun cas :-
Il préféra l'indépendance

Et sa dangereuse douceur

Aux loix qu'un père, avec prudence,
Lui prescrivoit pour son bonheur.
Ce fils rebelle est placé par son pèrẹ
Dans un verger délicieux.

Entre mille fruits savoureux,

Dont le choix est permis à son goût, à ses yeux,
(Entre mille, c'est bien de quoi se satisfaire)
Un seul est défendu comme pernicieux;

Dorat,

Eh bien, celui-là seul eut le droit de lui plaire.
Il est bientôt cueilli, mangé,
Et bientôt le père est vengé.
De malheurs une longue file
Accable ce fils indocile:

Mais de ces maux le plus affreux,
Celui qui plus le désespère,

C'est de se voir privé de la clarté des cieux.
Si l'on juge qu'alors le père
N'écoutant plus que sa colère,

Abandonna l'aveugle à son mauvais destin,
Et que le fils puni cessa d'être mutin,
C'est mal juger, chacun garda son caractère;
Même tendresse d'un côté,

Et de l'autre toujours même indocilité.
A la voix de l'enfant qui pleure et se désole,
On voit bientôt le bon père accourir;
Il le rassure, il le console;

Il fait bien plus encore, il va le secourir.

"Fils ingrat, lui dit-il, mais fils ingrat que j'aime, "Si ton malheur est grand, mon amour est extrême; "Ton infortune et tes besoins

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Exigent les plus tendres soins: "De mon cœur tu peux les attendre;

"Pour guider tes pas incertains,

"Sers-toi de ce bâton que je mets en tes mains;

"Entre mes bras j'aurai soin de te prendre,
"S'il se trouve un chemin difficile et glissant,
"Où ton bâton seroit un secours impuissant;
Voilà ce que promet et ce que fait le père.
Pouvoit-il plus promettre, et pouvoit-il mieux faire?
Voyons comment se comporta l'enfant.
Tout l'effraye d'abord, l'intinide, l'étonne;
Avec son bâton il tâtonne,
Puis quand il a bien tâtonné,
Il lêve un pied timide,
Le porte où le bâton le guide,
Le pose à terre, est encore étonné;
Vers ce pied précurseur, bientôt l'autre s'avance,
Et mon aveugle a fait un pas;

Au second, au troisième, encor même embarras;
Mais le temps et l'expérience,
Amènent la facilité,

Et le voilà qui trotte avec agilité,

C'est-à-dire avec imprudence.
Le bâton n'est plus consulté,
Et ne sert que de contenance.

Le père a beau crier: "Mon fils, prends garde à toi,
"Sers-toi de ton bàton, par ici, viens, suis-moi;
"Où vas tu, malheureux? Arrête....
L'enfant laisse crier, et n'en fait qu'à sa tête;
Aussi Dieu sait comme il tombe souvent,

En arrière tantôt, et tantôt en avant.

A chaque chute il pleure, il gémit, il s'afflige;
Mais jamais il ne se corrige.

Si le père lui prend la main
Pour le sauver d'un précipice,
Et le remettre en bon chemin,
Comment paye-t-il ce service?

Je vais le dire: mais, hélas! le croira-t-on?
Il le frappe de son bâton.

De son bâton! comment! son père !
Qui, son père et son bienfaiteur.
Ah! Dieu! quel mauvais caractère!
Puisse le ciel, juste vengeur !...

Prenez garde, qu'allez-vous dire? C'est tout le genre hunain que vous allez maudire.

Le père, l'enfant, le bâton,

Ce sont Dieu, l'homme, la raison.

L'Abbé le Monnier.

§ 67. 1. Conseils à Thémire,

Songez bien que l'amour sait feindre; Redoutez un sage berger:

STANCES.

On n'est que plus près du danger, Quand on croit n'avoir rien à craindre.

Je voyois sans être inquiète, Daphnis m'aborder quelquefois : Il me trouvoit seulette au bois, Sans me conter jamais fleurette.

"D'aimer on doit bien se défendre,”
Me disoit-il, dans ses chansons:
Mais il formoit de si beaux sons,
Qu'on s'attendrissoit à l'entendre.

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§ 68. 2. La Bergère délaissée, De mon berger volage, J'entends le flageolet; De ce nouvel hommage, Je ne suis point l'objet; Je l'entends qui fredonne Pour un autre que moi. Hélas! que j'étois bonne De lui donner ma foi!

Ce n'est plus un mystère,
Quand tu vois ma douleur;
Tu sais qu'une bergère
Ne connoît qu'un malheur;
L'ingrat que je préfère,
Tircis que j'aimois tant,
A qui je fus si chère;
Tircis est inconstant,

Autrefois l'infidele
Faisoit dire à l'écho
Que j'étois la plus belle
Qui fût dans le hameau;
Que j'étois sa bergère,
Qu'il étoit mon berger;
Que je serois légère,
Sans qu'il devint léger,

J'avois su me défendre
Pendant près de deux ans;
On croit pouvoir se rendre
Après mille sermens;
Son art fut de séduire,
De plaire et d'enflammer:
Il feint ce qu'il inspire;
Mon art fut de l'aimer,

Faut-il que je rappelle
Ces dangereux momens;
Momens où l'infidèle
Préparoit mes tourmens?
Que ne sut-il pas dire,
Pour vaincre mes refus?
Devrois-je l'en instruire?
L'ingrat ne m'aime plus.

Un jour, c'étoit ma fête,
Il vint de grand matin;
De fleurs ornant ma tête,
Il plaignoit son destin;
Il dit: veux-tu, cruelle,
Jouir de mes tourmens?
Je dis sois-moi fidèle
Et laisse faire au tenips,

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