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Et quel siècle jamais mérità mieux sa haine!
Quel âge plus fécond en Titans orgueilleux ?
En quel temps a-t-on vu l'impiété hautaine
Lever contre le ciel un front plus sourcilleux?

La
peur de ses arrêts n'est plus qu'une foiblesse ;
Le blasphême s'érige en noble liberté,
La fraude au double front en prudente sagesse,
Et le mépris des lois en magnanimité.

Voilà, peuples, voilà ce qui sur vos provinces
Du ciel inexorable attire la rigueur;

Voilà le dieu fatal qui met à tant de princes
La foudre dans les mains, la haine dans le cœur.

Des douceurs de la paix, des horreurs de la guerre,
Un ordre indépendant détermine le choix:
C'est le courroux des rois qui fait armer la terre :
C'est le courroux des dieux qui fait armer les rois.

C'est par eux que sur nous la suprême vengeance
Exerce les fléaux de sa sévérité,

Lorsque après une longue et stérile indulgence
Nos crimes ont du ciel épuisé la bonté.

Grands dieux! si la rigueur de vos coups légitimes
N'est point encor lassée après tant de malheurs;
Si tant de sang versé, tant d'illustres victimes,
N'ont point fait de nos yeux couler assez de pleurs ;

Inspirez-nous du moins ce repentir sincère,
Cette douleur soumise, et ces humbles regrets,
Dont l'hommage peut seul en ces temps de colère,
Fléchir l'austérité de vos justes décrets.

Echauffez notre zèle, attendrissez nos âmes,
Elevez nos esprits au céleste séjour;

Et remplissez nos cœurs de ces ardentes flammes
Qu'allument le devoir, le respect, et l'amour.

Un monarque vainqueur, arbitre de la guerre,
Arbitre du destin de ses plus fiers rivaux,
N'attend que ce moment pour poser son tonnerre,
Et pour faire cesser la rigueur de nos maux.

Que dis-je? ce moment de jour en jour s'avance:
Les dieux sont adoucis, nos vœux sont exauces:
D'un ministre adoré l'heureuse providence
Veille à notre salut: il vit; c'en est assez.

Peuples, c'est par lui seul que Bellone asservie
Va se voir enchaîner d'un éternel lien :
C'est à votre bonheur qu'il consacre sa vie ;
C'est à votre repos qu'il immole le sien.

Reviens donc, il est temps que son vœu se consomme,
Reviens, divine Paix, en recueillir le fruit;
Sur ton char lumineux fais monter ce grand homme;
Et laisse-toi conduire au dieu qui le conduit.

Ainsi, du ciel calmé rappelant la tendresse,
Puissions-nous voir changer par ses dons souverains,
Nos peines en plaisirs, nos pleurs en allégresse,
Et nos obscures nuits en jours purs et sereins!

Le méme.

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§ 12. Ode à une Veuve.

Quel respect imaginaire
Pour les cendres d'un époux
Vous rend vous-même contraire
A vos destins les plus doux?
Quand sa course fut bornée
Par la fatale journée
Qui le mit dans le tombeau,
Pensez-vous que l'hyménée
N'ait pas éteint son flambeau?

Pourquoi ces sombres ténèbres
Dans ce lugubre réduit?
Pourquoi ces clartés funèbres
Plus affreuses que la nuit?
De ces noirs objets troublée,
Triste, et sans cesse immolée
A de frivoles égards,
Ferez-vous d'un mausolée
Le plaisir de vos regards?

Vovez les Grâces fidèles
Malgré vous suivre vos pas,
Et voltiger autour d'elles
L'Amour qui vous tend les bras:
Voyez ce dieu plein de charmes,
Qui vous dit, les yeux en larmes :
Pourquoi ces pleurs superflus?
Pourquoi ces cris, ces alarmes?
Ton époux ne t'entend plus.

A sa triste destinée

C'est trop donner de regrets;
Par les larmes d'une année
Ses mânes sont satisfaits.
De la célèbre matrone
Que l'antiquité nous prône
N'imitez point le dégoût;
Ou, pour l'honneur de Pétrone,
Imitez-la jusqu'au bout.

Les chroniques les plus amples
Des veuves du premier temps
Nous fournissent peu d'exemples
D'Artémises de vingt ans :
Plus leur douleur est illustre,
Et plus elle sert de lustre
A leur amoureux essor:
Andronaque, en moins d'un lustre,
Remplaça deux fois Hector.

De la veuve de Sichée
L'histoire vous a fait peur;
Didon mourut attachée
Au char d'un amant trompeur.
Mais l'imprudente mortelle
N'eut à se plaindre que d'elle;
Ce fut sa faute, en un mot:
A quoi songeoit cette belle
De prendre un amant dévot?

Pouvoit-elle mieux attendre
De ce pieux voyageur,
Qui, fuyant sa ville en cendre
Et le fer du Grec vengeur,

Chargé des dieux de Pergame,
Ravit son père à la flamme
Tenant son fils par la main;
Sans prendre garde à sa femme,
Qui se perdit en chemin?

Sous un plus heureux auspice
La déesse des amours
Veut qu'un nouveau sacrifice
Lui consacre vos beaux jours:
Déjà le bûcher s'allume,
L'autel brille, l'encens fume,
La victime s'embellit,
L'amour même la consume;
Le mystère s'accomplit.

Tout conspire à l'allégresse
De cet instant solennel:
Une riante jeunesse
Folâtre autour de l'autel;
Les Grâces à demi nues
A ces danses ingénues
Mêlent de tendres accens;
Et sur un trône de nues
Vénus reçoit votre encens.

Le même.

§ 13. Ode à M. d'Ussé. Esprit né pour servir d'exemple Aux cœurs de la vertu frappés, Qui sans guide as pu de son temple Franchir les chemins escarpés, Cher d'Ussé, quelle inquiétude Te fait une triste habitude Des ennuis et de la douleur? Et, ministre de ton supplice, Pourquoi, par un sombre caprice, Veux-tu seconder ton malheur?

Chasse cet ennui volontaire
Qui tient ton esprit dans les fers,
Et que dans une âme vulgaire
Jette l'épreuve des revers;
Fais tête au malheur qui t'opprime:
Qu'une espérance légitime
Te munisse contre le sort.
L'air siffle, une horrible tempête
Aujourd'hui gronde sur ta tête;
Demain tu seras dans le port.

Toujours la mer n'est pas en butte
Aux ravages des aquilons;
Toujours les torrens par leur chute
Ne désolent par nos vallons.
Les disgrâces désespérées,
Et de nul espoir tempérées,
Sont affreuses à soutenir;

Mais leur charge est moins importune,
Lorsqu'on gémit d'une infortune
Qu'on espère de voir finir.

Un jour, le souci qui te ronge,
En un doux repos transformé
Ne sera plus pour toi qu'un songe
Que le réveil aura calmé.

Espère done avec courage.
Si le pilote craint l'orage
Quand Neptune enchaîne les flots,
L'espoir du calme le rassure
Quand les vents et la 'nue obscure
Glacent le cœur des matelots.

Je sais qu'il est permis au sage
Par les disgrâces combattu
De souhaiter pour apanage
La fortune après la vertu.

Mais dans un bonheur sans mélange,
Souvent cette vertu se change
En une honteuse langueur :
Autour de l'aveugle richesse
Marchent l'orgueil et la rudesse
Que suit la dureté du cœur.

Non que ta sagesse, endormie
Au temps de tes prospérités,
Eût besoin d'être raffermie
Par de dures fatalités;
Ni que ta vertu peu fidèle
Eût jamais choisi pour modèle
Ce fou superbe et ténébreux
Qui, gonflé d'une fierté basse,
N'a jamais eu d'autre'disgrâce
Que de n'être point malheureux.

Mais si les maux et la tristesse
Nous sont des secours superflus
Quand des bornes de la sagesse
Les biens ne nous ont point exclus,
Ils nous font trouver plus charmante
Notre félicité présente
Comparée au malheur passé ;
Et leur influence tragique
Réveille un bonheur léthargique
Que rien n'a jamais traversé.

Ainsi que le cours des années
Se forme des jours et des nuits,
Le cercle de nos destinées
Est marqué de joie et d'ennuis.
Le ciel, par un ordre équitable,
Rend l'un à l'autre profitable;
Et, dans ces inégalités,
Souvent sa sagesse suprême
Sait tirer notre bonheur même
Du sein de nos calamités.

Pourquoi d'une plainte importune
Fatiguer vainement les airs?
Aux jeux cruels de la fortune
Tout est soumis dans l'univers.
Jupiter fit l'homine semblable
A ces deux jumeaux que la fable
Plaça jadis au rang des dieux;
Couple de déités bizarre,
Tantôt habitans du Ténare,
Et tantôt citoyens des cieux.

Ainsi de douceurs en supplices
Elle nous promène à son gré.
Le seul remède à ses caprices,
C'est de s'y tenir préparé;
De la voir du même visage
Qu'une courtisane volage,
T. III. p. 2.

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§14. Ode à l'Abbé Courtin.
Abbé chéri des neuf sœurs,
Qui dans ta philosophie
Sais faire entrer les douceurs
Du commerce de la vie,
Tandis qu'en nombres impairs
Je te trace ici les vers
Que m'a dictés mon caprice,
Que fais-tu, dans ces déserts
Qu'enferme ton bénéfice?

Vas-tu, dès l'aube du jour,
Secondé d'un plomb rapide,
Ensanglanter le retour
De quelque lièvre timide?
Ou chez tes moines tondus,
A t'ennuyer assidus,
Cherches-tu quelques vieux titres,
Qui, dans ton trésor perdus,
Se retrouvent sur leurs vitres?

Mais non, je te connois mieux:
Tu sais trop bien que le sage
De son loisir studieux

Doit faire un plus noble usage,
Et, justement enchanté
De la belle antiquité,
Chercher dans son sein fertile
La solide volupté,

Le vrai, l'honnête, et l'utile.

Toutefois de ton esprit
Bannis l'erreur générale
Qui jadis en maint écrit
Plaça la saine morale:
On abuse de son nom.
Le chantre d'Agamemnon
Sut nous tracer dans son livre,
Mieux que Chrysippe et Zénon,
Quel chemin nous devons suivre.

Homère adoucit mes mœurs
Par ses riantes images:
Sénèque aigrit mes humeurs
Par ses préceptes sauvages.
En vain, d'un ton de rhéteur,
Epictète à son lecteur

Prêche le bonheur suprême;
J'y trouve un consolateur
Plus affligé que
moi-même.

Dans son flegme simulé
Je découvre sa colère;
J'y vois un homme accablé
Sous le poids de sa misère;
Et, dans tous ces beaux discours
Fabriqués durant le cours
De sa fortune maudite,
Vou reconnoissez toujours
L'esclave d'Epaphrodite.

Mais je vois déjà d'ici Frémir tout le zénonisme

D'entendre traiter ainsi

Un des saints du paganisme.
Pardon: mais, en vérité,
Mon Apollon révolté
Lui devoit ce témoignage
Pour l'ennui que m'a coûté
Son insupportable ouvrage.

De tout semblable pédant
Le commerce communique
Je ne sais quoi de mordant,
De farouche, et de cynique.
O le plaisant avertin
D'un fou du pays latin,
Qui se travaille et se gêne,
Pour devenir à la fin
Sage comme Diogène !

Je ne prends point pour vertu
Les noirs accès de tristesse:
D'un loup-garou revêtu
Des habits de la sagesse:
Plus légère que le vent,
Elle fuit d'un faux savant
La sombre mélancolie,
Et se sauve bien souvent
Dans les bras de la folie.

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Qui, par les leçons d'Aristippe,
De la sagesse de Chrysippe
As su corriger l'âpreté,

Et, telle qu'aux beaux jours d'Astrée,
Nous montrer la vertu parée

Des attraits de la volupté.

Ce feu sacré que Prométhée
Osa dérober dans les cieux,
La raison, à l'homme apportée,
Le rend presque semblable aux dieux.
Se pourroit-il, sage La Fare,
Qu'un présent si noble et si rare
De ros maux devint l'instrument,
Et qu'une lumière divine
Pût jamais être l'origine
D'un déplorable aveuglement?

Lorsqu'à l'époux de Pénélope
Minerve accorde son secours,
Les Lestrigons et le Cyclope
Ont beau s'armer contre ses jours:
Aidé de cette intelligence,
Il triomphe de la vengeance
De Neptune en vain courroucé ;
Par elle il brave les caresses
Des sirènes enchanteresses,
Et les breuvages de Circé.

De la vertu qui nous conserve
C'est le symbolique tableau;
Chaque mortel a sa Minerve,
Qui doit lui servir de flambeau.
Mais cette déité propice

Marchoit toujours devant Ulysse,
Lui servant de guide ou d'appui ;
Au lieu que, par l'homme conduite,
Elle ne va plus qu'à sa suite,
Et se précipite avec lui.

Loin que la raison nons éclaire
Et conduise nos actions,
Nous avons trouvé l'art d'en faire
L'orateur de nos passions:
C'est un sophiste qui nous joue,
Un vil complaisant qui se loue
A tous les fous de l'univers,
Qui, s'habillant du nom de sages,
La tiennent sans cesse à leurs gages,
Pour autoriser leurs travers.

C'est elle qui nous fait accroire
Que tout cède à notre pouvoir;
Qui nourrit notre folle gloire

De l'ivresse d'un faux savoir;

Qui, par cent nouveaux stratagêines

Nous masquant sans cesse à nous-mêmes, Parmi les vices nous endort,

Du furieux fait une Achille,

Du fourbe un politique habile,

Et de l'athée un esprit for.

Mais vous, mortels qui, dans le monde
Croyant tenir les premiers rangs,
Plaignez l'ignorance profonde
De tant de peuples différens;
Qui confondez avec la brute

Ce Huron caché sous sa hute,
Au seul instinct presque réduit;
Parlez: Quel est le moins barbare
D'une raison qui vous égare,
Ou d'un instinct qui le conduit?

La nature, en trésors fertile,
Lui fait abondamment trouver
Tout ce qui lui peut être utile,
Soigneuse de le conserver.
Content du partage modeste
Qu'il tient de la bonté céleste,
Il vit sans trouble et sans ennui;
Et si son climat lui refuse
Quelques biens dont l'Europe abuse,
Ce ne sont plus des biens pour lui.

Couché dans un antre rustique,
Du nord il brave la rigueur;
Et notre luxe asiatique
N'a point énervé sa vigueur:
Il ne regrette point la perte
De ces arts dont la découverte
A l'homme a coûté tant de soins,
Et qui, devenus nécessaires,
N'ont fait qu'augmenter nos misères,
En multipliant nos besoins.

Il méprise la vaine étude
D'un philosophe pointilleux
Qui, nageant dans l'incertitude,
Vante son savoir merveilleux:
Il ne veut d'autre connoissance
Que ce que la Toute-Puissance
A bien voulu nous en donner;
Et sait qu'elle créa les sages
Pour profiter de ses ouvrages,
Et non pour les examiner.

Ainsi d'une erreur dangereuse
Il n'avale point le poison;
Et notre clarté ténébreuse
N'a point offusqué sa raison.
Il ne se tend point à lui-même
Le piége d'un adroit systême
Pour se cacher la vérité :

Le crime à ses yeux paroît crime;
Et jamais rien d'illégitime
Chez lui n'a pris l'air d'équité.

Maintenant, fertiles contrées,
Sages mortels, peuples heureux,
Des nations hyperborées
Plaignez l'aveuglement affreux;
Vous qui, dans la vaine noblesse,
Dans les honneurs, dans la mollesse,
Fixez la gloire et les plaisirs ;
Vous de qui l'infâme avarice
Promène au gré de son caprice
'Les insatiables désirs.

Oui, c'est toi, monstre détestable,
Superbe tyran des humains,
Qui seul du bonheur véritable
A l'homme as fermé les chemins.
Pour apaiser sa soif ardente,
La terre, en trésors abondante,

Feroit germer l'or sous ses pas.
Il brûle d'un feu sans remède;
Moins riche de ce qu'il possède
Que pauvre de ce qu'il n'a pas.

Ah! si d'une pauvreté dure
Nous cherchons à nous affranchir,
Rapprochons-nous de la nature,
Qui seule peut nous enrichir.
Forçons de funestes obstacles;
Réservons pour nos tabernacles
Cet or, ces rubis, ces métaux;
Ou dans le sein des mers avides
Jetons ces richesses perfides,
L'unique élément de nos maux.

Ce sont là les vrais sacrifices
Par qui nous pouvons étouffer
Les semences de tous les vices
Qu'on voit ici-bas triompher.
Otez l'intérêt de la terre,
Vous en exilerez la guerre,
L'honneur rentrera dans ses droits;
Et, plus justes que nous ne somines,
Nous verrons régner chez les hommes
Les mœurs à la place des lois.

Surtout réprimons les saillies
De notre curiosité,

Source de toutes nos folies,
Mère de notre vanité.

Nous errons dans d'épaisses ombres,
Où souvent nos lumières sombres
Ne servent qu'à nous éblouir.
Soyons ce que nous devons être;
Et ne perdons point à connoître
Des jours destinés à jouir.

J. B. Rousseau.

§ 16. Ode à l'Abbé de Chaulieu.

Tant qu'a duré l'influence
D'un astre propice et doux,
Malgré moi de ton absence
J'ai supporté les dégoûts.

Je disois: Je lui pardonne
De préférer les beautés
De Palès et de Pomone
Au tumulte des cités:

Ainsi l'amant de Glycère,
Epris d'un repos obscur,
Cherchoit l'ombre solitaire
Des rivages de Tibur.

Mais aujourd'hui qu'en nos plaines
Le chien brulant de Procris
De Flore aux douces haleines
Dessèche les dons chéris,

Veux-tu d'un astre perfide
Risquer les âpres chaleurs,
Et, dans ton jardin aride,
Sécher ainsi que tes fleur?

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