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Qu'il faut faire aux méchans guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi;

J'en conviens: mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?

La Fontaine.

§ 25. Fable 8. Le Vieillard et ses Enfans.

Toute puissance est foible, à moins que d'être unie.
Ecoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.

Si j'ajoute du mien son invention,

C'est pour peindre nos mœurs, et non pas par envie;
Je suis trop au-dessous de cette ambition.

Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire:
Pour moi, de tels pensers me seroient mal-séans.
Mais venons à la fable, ou plutôt à l'histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfans.

Un vieillard près d'aller où la mort l'appeloit,
Mers chers enfans, dit-il (à ses fils il parloit),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble:
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.
L'ainé les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit en disant: Je le donne aux plus forts.
Un second lui succède, et se met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.
Tous perdirent leur temps, le faisceau résista:
De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.
Foibles gens! dit le père, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en semblable rencontre.
On crut qu'il se moquoit, on sourit, mais à tort:
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.
Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde.
Soyez joints, mes enfans; que l'amour vous accorde.
Tant que dura son mal, il n'eut autre discours.
Enfin se sentant près de terminer ses jours,
Mes chers enfans, dit-il, je vais où sont nos pères:
Adieu: promettez-moi de vivre comme frères ;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.
Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.
Il prend à tous les mains, il meurt.

Et les trois frères

Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès :

D'abord notre trio s'en tire avec succès.

Leur amitié fut courte autant qu'elle étoit rare;
Le sang les avoit joints, l'intérêt les sépare:
L'ambition, l'envie, avec les consultans,
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane:
Le juge sur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire:
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part.

La Fontaine.

§ 26. Fable 9. Le Laboureur et ses Enfans.

Travaillez, prenez de la peine:

C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,

T. III. p. 3.

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Fit venir ses enfans, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parens:

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit: mais un peu de courage
Vous le fera trouver; vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût :
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort,
Que le travail est un trésor.

§ 27. Fable 10. Les Médecins.

La Fontaine

Le médecin Tant-pis alloit voir un malade
Que visitoit aussi son confrère Tant-mieux..
Ce dernier espéroit, quoique son camarade
Soutînt que le gissant iroit voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différens pour la cure,
Leur malade paya le tribut à nature,
Après qu'en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.
L'un disoit: Il est mort; je l'avois bien prévu.

S'il m'eût cru, disoit l'autre, il seroit plein de vie.

La Fontaine.

§ 28. Fable 11. Le Lion s'en allant en guerre.

Le lion dans sa tête avoit une entreprise.
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévots,
Fit avertir les animaux:

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise.
L'éléphant devoit sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;
L'ours s'apprêter pour les assauts;

Le renard ménager de certaines pratiques;
Et le singe amuser l'ennemi par ses tours.

Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,

Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.

Point du tout, dit le roi, je les veux employer.
Notre troupe sans eux ne seroit pas complète.
L'âne effraira les gens, nous servant de trompette;
Et le lièvre pourra nous servir de courrier.

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connoît les divers talens.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

La Fontaine.

29. Fable 12. Phébus et Borée.

Borée et le soleil virent un voyageur

Qui s'étoit muni par bonheur

Contre le mauvais temps. On entroit dans l'automne, Quand la précaution aux voyageurs est bonne :

Il pleut; le soleil luit, et l'écharpe d'Iris

Rend ceux qui sortent avertis

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire:
Les Latins les nommoient douteux, pour cette affaire,
Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu:
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidens; mais il n'a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte,

Qu'il n'est bouton qui tienne: il faudra, si je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.
L'ébattement pourroit nous en être agréable:
Vous plaît-il de l'avoir ? Eh bien! gageons nous deux,
Dit Phébus, sans tant de paroles,

A qui plutôt aura dégarni les épaules

Du cavalier que nous voyons.

Commencez: je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,

Siffle, souffle, tempête et brise en son passage
Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau;
Le tout au sujet d'un manteau.
Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans.

Cela le préserva. Le vent perdit son temps;
Plus il se tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avoit mis,
Le soleil dissipe la nue,

Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras fait qu'il sue,
Le contraint de s'en dépouiller:
Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

Plus fait douceur que violence,

La Fontaine.

§30. Fable 13. Les Animaux malades de la Peste.

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,

La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Acheron,

Faisoit aux animaux la guerre.

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés;
On n'en voyoit point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitoit leur envie.
Ni loups ni renards n'épioient
La douce et l'innocente proie:
Les tourterelles se fuyoient;
Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit: mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune:

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidens
On fait de pareils dévoûmens,

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,

J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait ? nulle offense.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévoûrai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non: vous leur fites, seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il étoit digne de tous maux,

Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étoient de petits saints.
L'ane vint à son tour, et dit: J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net.

A ces mots, on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce gleux, d'où venoit tout le mal.

Sa pécadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'étoit capable

D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugemens de cour vous rendront blanc ou noir.

La Fontaine,

§ 31. Fable 14. Le Coche et la Mouche.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,

Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiroient un coche.

Femmes, moines, vieillards, tout étoit descendu,
L'attelage suoit, souffloit, étoit rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée: il semble que se soit
Un sergent de bataille allant à chaque endroit
Faire avancer ses gens, et håter la victoire.
La mouche en ce commun besoin,
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin:
Qu'aucun u'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disoit son breviaïre:

Il prenoit bien son temps! Une femme chantoit:

C'étoit bien de chansons qu'alors il s'agissoit :
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la mouche aussitôt ;
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Cà, messieurs les chevaux, payez moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,

Et partout, importuns, devroient être chassés.

La Fontaine.

§ 32. Fable 15. La Laitière et le pot au lait.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,
Bien posé sur un coussinet,

Prétendoit arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle alloit à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptoit déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait: en employoit l'argent;
Achetoit un cent d'œufs; faisoit triple couvée;
La chose alloit à bien par son soin diligent.
Il m'est, disoit-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison:
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon,
Le
porc à s'engraisser coûtera peu de son:
Il étoit, quand je l'eus, de grosseur raisonnable;
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée:
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue.
Le recit en farce en fut fait;
On l'appela le pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Pichrocole, Pyrrhus, lą laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous,

Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux,
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;
Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi:
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi:

On m'élit roi; mon peuple m'aime:

Les diadêmes vont sur ma tête pleuvant.

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ?
Je suis Gros-Jean comme devant.

La Fontaine;

33. Fable 16. Le Chat, la Belette et le petit Lapin,

Du palais d'un jeune lapin
Dame belette, un beau matin,

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